SOUTH PACIFIC, Rodgers – Hammerstein (1949) – dossier

Comédie musicale en deux actes de Richard Rodgers, livret d’ Oscar Hammerstein II et Joshua Logan, d’après Pacific sud (Tales of the South Pacific) de James A. Michener, créée à Broadway en 1949.

Le compositeur :
Richard RODGERS (1902-1979)

Richard Charles Rodgers naît à New York en 1902. Producteur et scénariste, il est surtout passé à la postérité en tant que compositeur : il est en effet l’auteur d’une quarantaine de comédies musicales, mais aussi de plusieurs centaines de chansons. Il travailla pour la scène, pour le cinéma ou encore pour la télévision. Il remporta au cours de sa carrière les prix les plus prestigieux : Emmy Awards, Grammy Awards, Oscar,Tony Awards, prix Pulitzer… Il s’éteint  à New York le 30 décembre 1979.

Les librettistes : Oscar HAMMERSTEIN II et Joshua LOGAN

Au moment de la création de South Pacific, Richard Rodgers (compositeur) et Oscar Hammerstein II (parolier) sont déjà des maîtres de la comédie musicale américaine. Le premier, tout d’abord associé au parolier Lorenz Hart, a déjà donné à l’Amérique des années vingt-trente quelques-unes des chansons les plus iconiques de son Songbook [1]. Le nom du second est déjà en lui-même symbolique de l’histoire de l’entertainment outre-atlantique puisque son grand-père, producteur et propriétaire de théâtres autour de Times Square, a contribué à l’invention du genre au début du XXème s ! Hammerstein II, avant de s’associer à Rodgers, est l’un des auteurs de lyrics et de livrets les plus productifs et a travaillé avec les plus grands compositeurs du Broadway de l’époque, de Gershwin à Jerome Kern. En quarante de carrière, il écrira plus de 850 chansons !
C’est donc le 31 mars 1943, en plein conflit mondial, que la collaboration entre les deux hommes débute avec Ohlahoma ! Non seulement le show tient l’affiche pendant 2212 représentations, part en tournée à travers l’Amérique pendant dix ans et « labellise » ce nouveau duo sur Broadway mais, surtout, il fait prendre au théâtre musical un virage essentiel dans ses structures mêmes.
De 1943 à 1959, Rodgers et Hammerstein, à travers neuf ouvrages écrits pour le théâtre [2], modèlent une certaine idée du spectacle populaire et familial, délivrant à chaque fois un message d’humanisme intemporel.

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[1] Parmi les chansons de Rodgers et Hart pour leurs 26 comédies musicales écrites en commun, certaines, telles My Funny Valentine, The Lady is a tramp  ou Where or When,  sont systématiquement au programme des meilleurs clubs de jazz du monde entier depuis 90 ans !

[2] On compte également des collaborations pour le grand et le petit écran (State Fair, 1945- Cinderella, 1957)

Le livret : de quoi parle South Pacific ?        

L’action se déroule sur deux îles du Pacifique Sud, pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans une garnison américaine, l’infirmière Nellie Forbush, originaire de  l’Arkansas, est récemment devenue amoureuse du français Emile de Becque, propriétaire-planteur. Au lever de rideau, nous faisons connaissances avec les deux enfants métis que de Becque a eu de son mariage avec une polynésienne, aujourd’hui décédée. Nellie en ignore l’existence.
Sur la base américaine arrive un jeune lieutenant Joe Cable. Il vient rejoindre la garnison pour une mission secrète en territoire japonais. Le soldat Luther Billis, organisateur de distractions pour les marins américains, traficote à ses heures avec une tonkinoise d’âge mûr surnommée Bloody Mary qui n’a qu’une hâte : marier sa fille Liat avec un G.I .
L’arrivée de Cable est pour elle une opportunité qu’elle ne veut pas laisser passer. Billis, à qui les femmes commencent à manquer justement, aimerait découvrir Bali Ha’i, l’île mystérieuse qui abrite de jolies filles (dissimulées en particulier par les planteurs redoutant les soldats américains…) mais qui est interdite aux non-gradés.
Nellie Forbush, sur les conseils de sa mère par courrier interposé, considère que de Becque n’est pas fait pour elle…mais change d’avis lorsqu’il la demande en mariage. Parallèlement, Billis amène Joe Cable sur Bali Ha’i où Bloody Mary les attend. Cette dernière présente sa fille à Cable et les deux jeunes gens tombent amoureux l’un de l’autre.
Dans la maison d’Emile de Becque, à l’issue d’une soirée donnée en son honneur, Nellie découvre brutalement l’existence des deux enfants et apprend qu’Emile les a eus d’une polynésienne, une femme de « couleur ». Choquée et ne sachant comment faire face à cette révélation, elle quitte rapidement la maison de de Becque, l’éducation qu’elle a reçue et ses préjugés rendant inconcevables l’idée d’un mariage mixte.

Au début du deuxième acte, on s’active sur la base militaire pour les préparatifs d’un spectacle pour Thanksgiving.
Bloody Mary donne la main de sa fille à Cable mais celui-ci, qui a les mêmes préjugés que sa compatriote, la refuse.
Après la représentation, de Becque essaye de convaincre Nellie de rester avec lui mais elle lui explique qu’elle n’arrivera jamais à vaincre l’intolérance due à son éducation. Lassé, en proie à la colère, et après avoir écouté les explications de Cable sur l’éducation similaire qui a été la sienne, de Becque accepte de l’accompagner, derrière les lignes japonaises, dans sa mission dangereuse destinée à renseigner l’Etat-major américain sur les prochaines opérations à mener dans le secteur.
La mission est une réussite mais Joe Cable y laisse la vie tandis qu’Emile de Becque est porté disparu.
À l’annonce de cette  nouvelle, dont elle est chargée d’informer Liat et sa mère, et alors que les combats font désormais rage, Nellie décide de s’occuper des enfants du planteur, persuadée que ses préjugés lui ont coûté l’homme qu’elle aime. Alors qu’elle chante, en français, avec les deux enfants, de Becque apparaît sur le pas de la porte… pour chanter avec eux.

La partition : une mine à « tubes » enracinée dans la culture populaire américaine

Crée le 7 avril 1949 au Majestic Theatre, South Pacific est conçu pour la scène par Joshua Logan, pas encore parti pour Hollywood. Sa collaboration étroite avec Oscar Hammerstein permet d’entremêler plusieurs des nouvelles de James A.Michener Tales of the South Pacific (1947), reporter de guerre dans le Pacifique et romancier spécialiste de l’histoire amérindienne. L’importance de la collaboration d’Hammerstein avec Logan dans l’écriture du livret est d’autant plus significative que le parolier, antimilitariste notoire, ne connaît pas grand-chose aux rudiments de la vie militaire mais qu’ainsi entouré, il va parfaitement réussir à traduire l’état d’esprit des Seabees  et autres personnels militaires et médicaux sur une base aérienne en pleine guerre du Pacifique Sud !

Pour leur nouveau spectacle, Rodgers et Hammerstein écrivent quelques-uns de leurs plus beaux titres, dont certains (le célébrissime Some Enchanted Evening) vont devenir des hits de la chanson populaire et du jazz américain.

De plus, les deux compères veulent, pour la première fois, une distribution de grands noms. Très vite s’impose à eux le choix de Mary Martin pour le rôle de l’infirmière Nellie Forbush. Connue du grand public depuis l’avant-guerre, en particulier grâce la chanson de Cole Porter My Heart Belongs to Daddy, cette pétillante artiste ne se laissera pas immédiatement convaincre, redoutant en particulier de partager l’affiche avec un illustre chanteur d’opéra  Ezio Pinza [1]. Véritable coup de génie des producteurs, l’idée de demander à Pinza, retraité du Metropolitan Opera (il a alors 56 ans) et totalement étranger au monde de Broadway, d’incarner le personnage du planteur français Emile de Becque, va se révéler payante. Rodgers est séduit par cette voix de basse et conçoit l’écriture de sa partition de telle sorte que les duos entre les deux principaux protagonistes soient davantage des « soliloques » (un procédé qu’il avait déjà utilisé avec grand succès pour Carousel) ne mettant jamais en difficulté Mary Martin. Si Pinza aura quelques difficultés pour apprendre et prononcer correctement son texte mais, surtout, pour garder le rythme des 8 représentations par semaine pendant des mois (!), la voix et le charisme de l’un des plus fameux Don Giovanni de l’histoire de l’art lyrique rallient tous les suffrages.

Dans le livret de South Pacific, il est question de racisme, un thème que Broadway, pas seulement temple du divertissement, avait déjà traité dès 1927 lors de la création triomphale de Show Boat (sur un livret déjà d’Hammerstein II !).Une chanson en particulier, You’ve Got to Be Carefully Taught (« On vous a éduqué avec soin ! »), dans laquelle Hammerstein parle rien moins que de l’éducation à la détestation et à la peur de l’autre dès le plus jeune âge, attire les foudres de groupes de pression qui veulent faire retirer la chanson du spectacle. Rodgers et Hammerstein tiennent bon et maintiennent le titre.

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[1] Mary Martin (1913-1990) : Chanteuse et comédienne parmi les plus glorieuses de l’Age d’Or de Broadway, elle sera en 1959 la créatrice sur scène de Maria von Trapp dans The Sound of Music (La Mélodie du bonheur). Pour l’anecdote, elle est la mère de l’acteur Larry Hagman, un certain JR Ewing…

https://www.youtube.com/watch?v=VPf6ITsjsgk

Côté orchestration, la magie opère une fois de plus. Les arrangements de Robert Russell Bennett – un autre nom illustre de la période !- traduisent la somptuosité du cadre exotique de l’ouvrage comme d’ailleurs ceux que signera Alfred Newman pour la version filmée par Joshua Logan en 1958. Le procédé en Eastmancolor de la Fox s’ajoutant aux décors naturels d’Hawaï et à la présentation en cinérama donnent évidemment un résultat somptueux…mais dénaturent totalement la comédie musicale originale !

https://www.youtube.com/watch?v=Dkqtlmrh-qk

Peu importe d’ailleurs car, sur scène, le succès de South Pacific est colossal (1925 représentations à la création, 9 Tony Awards et même le prix Pulitzer en 1950 !), la critique considérant la partition comme l’une des plus populaires jamais écrites dans l’histoire du théâtre musical

Pour voir et écouter l’œuvre

DVD et Blue-ray

Le film de Joshua Logan (1958), avec Rossano Brazzi, Mitzi Gaynor, John Kerr, Ray Walston, Juanita Hall.

Avec Reba McEntire, Brian Stokes Mitchell, Alec Baldwin.  1 DVD Rhino Music Video, 2006 (Carnegie Hall).

Avec Glenn Close et Harry Connick Jr. 1 DVD Disney Studios, 2001.

CD

Avec Ezio Pinza et Mary Martin. 1 CD Columbia, 1998 (enregistré en 1949, distribution de la création)

Avec Mitzi Gaynor et Giorgio Tozzi, 1 CD Legacy Recodings, 2006 (enregistré en 1958, BO du film)

Avec Kiri Te Kanawa et Jose Carreras. 1 CD Sony, 1986.

Comptes rendus de productions de South Pacific