I DUE FOSCARI, Verdi (1844) – dossier

Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après la tragédie de Byron The two Foscari, créé le 03 novembre 1844 à Rome (Teatro Argentina). 

L’ŒUVRE

Le compositeur

Giuseppe Verdi (1818-1893)

Issu d’une famille très modeste, Verdi commence sa formation musicale auprès du chef de l’orchestre municipal de Busseto, petite ville située à quelques kilomètres de Parme et commune de rattachement des Roncole, le hameau où naquit le compositeur. Âgé de vingt ans, il dirige une exécution de La Création de Haydn et attire ainsi sur lui l’attention du public 

et de la critique. Il compose alors son premier opéra : Oberto, comte de S. Bonifacio, qui est représenté à la Scala en 1839. C’est une période très difficile pour le compositeur, qui voit disparaître successivement ses deux enfants et sa femme. En 1842, Nabuchodonosor triomphe à la Scala de Milan. Commence alors une période que le musicien qualifia lui-même d’« années de galère » au cours desquelles, tout en se débattant dans des préoccupations matérielles et commerciales, il s’efforce de se faire un nom en multipliant les créations : I Lombardi alla prima Crociata (1843), Ernani (1844), Attila (1846).Puis vient la trilogie qui consacre sa gloire : Rigoletto (1851), Le Trouvère et La Traviata (1853). La renommée de Verdi devient vite internationale. Il compose plusieurs œuvres pour Paris, notamment Les Vêpres siciliennes (1855) et Don Carlos (1867). Comme Victor Hugo incarne le romantisme littéraire français, Verdi est l’incarnation du romantisme musical italien. Le parallèle entre les deux hommes est frappant : tous deux s’engagèrent politiquement (Verdi fut un ardent partisan de l’unité italienne ; Cavour l’appela à la Chambre des députés, après quoi il fut élu sénateur), tous deux continuèrent de créer jusqu’à un âge avancé, en renouvelant constamment leur langage artistique (Aida est créée en 1871, Otello en 1887, Falstaff en 1893). Tous deux enfin, après leur disparition, plongèrent leur pays  dans un deuil national et se virent offrir de grandioses funérailles.

Le librettiste

Francesco Maria Piave (1810-1876)

D’origine vénitienne, Piave manifeste très tôt un intérêt marqué pour la littérature. Il devient dès 1831 membre de l’Accademia Tiberina (fondée à Rome le 9 avril 1813 par un groupe de 26 érudits et écrivains résidant à Rome, son but était de cultiver les sciences et les lettres latines et italiennes, et en particulier tout ce qui concernait Rome). Il est également secrétaire de rédaction chez un éditeur vénitien, puis acquiert la notoriété en tant que librettiste d’opéras, essentiellement pour Verdi pour lequel il écrivit 10 livrets : 

Ernani (1844), I due Foscari (1844), Macbeth (1847), Il Corsaro (1848),Stiffelio (1850), Rigoletto (1851), La Traviata (1853), Simon Boccanegra (1857), Aroldo (1857), La Forza del destino (1862).

La création

Prévue pour la Fenice de Venise, l’œuvre fut finalement créée à Rome : il faut dire que la Cité des Doges et ses institutions – notamment le fameux Conseil des Dix – n’y sont pas présentées de façon très flatteuse. Plus que le méchant Loredano, le Conseil des Dix  incarne en effet tout à la fois le véritable ennemi des héros du drame, ainsi qu’une justice particulièrement brutale et agissant sans aucun discernement. 

Le 3 novembre 1844, au Teatro Argentina, l’œuvre – sans renouer avec le grand succès d’Ernani créé huit mois plus tôt à Venise – est accueillie favorablement. Achille de Bassini (futur Miller) interprétait Francesco Foscari, et Marianna Barbieri-Nini, qui créera Gulnara dans Il Corsaro et Lady Macbeth, était Lucrezia.

Le livret

Piave a tiré son livret d’une tragédie historique en cinq actes et en vers de Lord Byron : Les Deux Foscari (1821), dont l’intrigue prend appui sur des personnages et des faits réels s’étant déroulés à Venise au milieu du XVe siècle.

N.B. :

  • Dans la pièce de Byron, la femme de Jacopo Foscari s’appelle Marina et non Lucrezia.
  • Les extraits de la tragédies de Byron que nous proposons sont tirés de la traduction française de Louis Barré, Œuvres complètes de lord Byron illustrées par Ch. Mettais, E. Bocourt, Paris : Bry Aîné, 1856.

ACTE I
Si le vieux Doge Francesco Foscari règne sur Venise, son fils Jacopo est dans la tourmente : injustement accusé du meurtre d’un membre du Conseil des Dix, son sort est d’autant plus incertain que Jacopo Loredano s’acharne contre lui : Loredano voue en effet une haine terrible contre les Foscari depuis que Francesco a accédé au trône que convoitait son père…

Alors que Le Conseil des Dix et la Junte délibèrent sur le sort de Jacopo Foscari, sa femme, Lucrezia, prie pour le salut de son mari. Sa suivante vient lui annoncer le verdict prononcé par le Conseil. Jacopo est condamné à l’exil : il finira ses jours loin de Venise, en Crète. 

Lucrezia se rend alors auprès du vieux Francesco Foscari et lui demande d’intercéder en faveur de son fils. Las ! En dépit de son titre, le Doge ne dispose que de très peu de pouvoirs et n’est nullement libre de ses actions ou de ses décisions. 

https://www.youtube.com/watch?v=-jo33DY587g

Renato Bruson, « O vecchio cor, che batti » (Scala, 1988, dir. G. Gavazzeni)

ACTE II
Emprisonné, Jacopo Foscari a du moins la consolation de recevoir la visite de sa femme (qui lui annonce qu’il ne mourra pas mais sera exilé), puis de son père, venu lui faire ses adieux. 


Byron, Les Deux Foscari, acte III

Un nouveau conseil a lieu : la présence de Lucrezia et de ses enfants n’émeut nullement les juges qui, poussés par Loredano, confirment la sentence et vont même jusqu’à interdire à Lucrezia de suivre son mari en exil.

Eugène Delacroix, Les Deux Foscari (1855, Musée Condé de Chantilly)

ACTE III
Alors qu’on célèbre une régate, Jacopo s’apprête à quitter Venise : il fait ses adieux à Lucrezia. On annonce cependant à Francesco Foscari qu’un homme vient de s’accuser du meurtre dont on croyait son fils coupable : Jacopo est innocent ! Il est malheureusement trop tard pour le sauver : Lucrezia annonce à Francesco que le jeune homme, brisé par la douleur, a rendu l’âme au moment même où le bateau devait appareiller…

Le Conseil des Dix, toujours sous l’influence de Loredano, vient exiger la démission du Doge.  À peine a-t-on arraché son anneau au vieillard que les cloches de Saint-Marc se font entendre : le successeur de Francesco est déjà élu. Brisé, Francesco s’effondre tandis que Loredano triomphe. 




Byron, Les Deux Foscari, acte V

La partition

Dès les premières mesures, l’œuvre affiche une noirceur dont elle ne se départira plus au fil des actes. C’est même, peut-être, ce qui lui nuit en partie : nous sommes immédiatement plongés au cœur d’un drame qui ne peut guère évoluer que vers la catastrophe annoncée, sans véritable suspense, sans évolution possible des personnages. Seul l’épisode de la régate, au début du troisième acte, apporte une certaine respiration et un peu de légèreté. Par ailleurs, le personnage du « méchant », Loredano, semble ne pas avoir vraiment intéressé Verdi, qui n’en fait guère autre chose qu’un personnage (très) secondaire. Les autres personnages, en revanche, sont fort bien caractérisés et exigent des interprètes de talent : un ténor flamboyant pour Jacopo Foscari, une véritable soprano dramatique d’agilité pour Lucrezia, et un baryton au charisme à la puissance d’émotion certains pour le vieux doge, précurseur direct de Simon Boccanegra. Certaines pages sont très émouvantes (la scène de Jacopo au début du deuxième acte – une scène de « ténor en prison », telle qu’on en trouve dans l’Elisabetta de Rossini, le Roberto Devereux de Donizetti, et jusque dans… La Périchole d’Offenbach ! –, ou encore le célèbre « O vecchio cor » de Francesco Foscari). On note enfin l’utilisation originale de certains thèmes associés aux personnages principaux (celui de Jacopo, à la clarinette, entendu dès le prélude, est particulièrement beau). Et surtout, l’œuvre affiche une concision et une efficacité dans son économie qui la font se déployer d’une traite, sans temps mort ni digression inutile.

Pour écouter l’œuvre

CD

Giulini / Guelfi, Bergonzi, Vitale (Orchestre et choeurs de la RAI de Milan, live, 1951) – 2CD Cetra

Serafin / Guelfi, Pichi, Gencer (Orchestre et chœurs de la Fenice, live, 1957) – 2CD Myto

Rinaldi / Bruson, Prevedi, Vajna (Orchestre et chœurs de la RAI de Turin, live, 1971) – 2CD The Golden Age of Opera

Zedda / Cappuccilli, Scano, Ricciarelli (Orchestre Symphonique de Bari, chœur du Centre Lyrique de Padoue, live, 1973) – 2CD Myto

Gardelli / Cappuccili, Carreras, Ricciarelli (ORF-Symphonie-Orchester, Wien ; Chor des Österreichischen Rundfunks, 1977) – 2CD Philips

Repušić / Nucci, Magri, Yu (Chœur et Orchestre de la Radio bavaroise, live, 2018) – 2CD BR-Klassik

Pour voir et écouter l’œuvre

Streaming

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Scala, Muti- Lievi / Nucci, Casanova, Theodossiou (2003) – sous-titres en français

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Naples, Santi – Bauer / Nucci, La Scola,  Pendatchanska (2000) – sous-titres en italien

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Scala, Mariotti – Hermanis / Domingo, Meli, Pirozzi (2016) – pas de sous-titres

DVD et Blu-rays

Gavazzeni – Pizzi / Bruson, Cupido, Roark-Strummer, orchestre et chœur de la Scala, 1988, 1 DVD Elleu multimedia 

Santi – Bauer / Naples, Nucci, La Scola,  Pendatchanska, orchestre et choeur du San Carlo de Naples, 2000, 1 DVD TDK

Renzetti – Franconilee / Nucci, Di Biasio, Serjan, orchestre et chœur du Teatro Regio de Parme, 2009, 1 DVD Unitel Classica

Pappano – Strassberger / Domingo, Meli, Agresta, orchestre et choeurs du Royal Opera House, Covent Garden, 20164 1 DVD Opus Arte

Mariotti – Hermanis / Domingo, Meli, Pirozzi, orchestre et chœur de la Scala, 2016, 1 DVD Unitel

Arrivabeni – Muscato /  Stoyanov, Pop, Katzarava, Filarmonica Arturo Toscanini, choeur du Teatro Regio de Parme, 2019, 1 DVD Dynamic

I DUE FOSCARI : les comptes rendus de Première Loge

Dossier réalisé par Stéphane Lelièvre