OTELLO, Rossini (1816) – dossier

Dramma en trois actes de Gioacchino Rossini, livret du Marquis Francesco Maria Berio di Salsa d’après la tragédie homonyme de Shakespeare et le drame Otello (1813) de Giovanni Carlo Cosenza, créé à Naples (Teatro del Fondo) le 4 décembre 1816.

L’ŒUVRE

Le compositeur

Gioacchino Rossini (Pesaro, 1792 – Paris, 1868)

Rossini reçoit sa formation musicale à Bologne. Après quelques succès dans le genre bouffe (La Scala di seta, 1812; La Pietra del paragone, 1812 ; Il Signor Bruschino, 1813), il rencontre un véritable triomphe avec Tancrède, représenté à Venise en février 1813.  Cet opera seria ainsi que le dramma buffo Le Barbier de Séville, pourtant accueilli plus que froidement à sa création (Rome, 1816) feront de lui le compositeur italien le plus célèbre de son temps. 

Il continuera, au cours de sa carrière, de faire alterner des œuvres bouffes ou semiserie (L’Italienne à Alger, 1813 ; Le Turc en Italie, 1814 ; La Gazza ladra, 1817 ; La Cenerentola, 1817) avec (surtout) des ouvrages sérieux (Otello, 1816 ; Mosè in Egitto, 1818 ; Ermione, 1819 ; La Donna del lago, 1819 ; Semiramide, 1823). Il voyage à Vienne (où il rencontre Beethoven), à Londres puis à Paris où il est nommé directeur du Théâtre-Italien, compositeur du roi – il compose Le Voyage à Reims (1825) à l’occasion du sacre de Charles X – et inspecteur général du chant en France. Il compose plusieurs opéras pour la France (ou adapte d’anciens ouvrages italiens sur des livrets français) : Le Siège de Corinthe (1826) ;  Moïse et Pharaon (1827) ; Le Comte Ory (1828);  Guillaume Tell (1829). Après la Révolution de 1830, Rossini se détourne de l’opéra et ne composera plus que de la musique sacrée (le Stabat mater, dont la première version est créée en 1831 ; la Petite messe solennelle, 1863), des mélodies et quelques pages instrumentales. Il meurt à Paris. Inhumé au Père Lachaise, son corps sera rapatrié en Italie quelques années plus tard et repose désormais à Florence (basilique Santa Croce).

Le librettiste

Buste de Berio par Giovanni Battista Sartori

Francesco Maria Berio (1765-1820)

Le marquis Francesco Berio et issu d’une ancienne famille noble de Naples. Homme de grande culture, il fut collectionneur d’art, bibliophile (il possédait une des bibliothèques les plus importantes de Naples) et également poète. Il fréquentait les plus grands artistes de l’époque, dont Antonio Canova et Gioacchino Rossini, pour qui il écrivit les livrets d’Otello ossia il moro di Venezia et de Ricciardo et Zoraide.

La création


Manuel Garcia dans le rôle d’Otello aux Italiens

La création eut lieu le 4 décembre 1816 au Teatro del Fondo de Naples.  Andrea Nozzari interprétait Otello, Isabella Colbran Desdémone et Giovanni David Rodrigo.  L’oeuvre remporte un grand succès : elle sera rapidement représentée dans l’Europe entière, dont à Paris au Théâtre-Italien dès 1821 : Manuel Garcia remportera dans le rôle-titre un très grand succès, aux côtés de Giuditta Pasta et  Nicolas-Prosper Levasseur

Maria Malibran elle-même, grande interprète de Desdémone, interpréta un jour le rôle-titre de l’œuvre en travesti au cours d’une soirée de bienfaisance. 
Cette rare version pour mezzo-soprano a été donnée au Festival della Valle d’Itria (Martina Franca) et a fait l’objet d’un CD paru chez Dynamic (voir discographie ci-dessous). Vesselina Kasarova, dans son album Rossini Aria & Duets (RCA) en chante un extrait.

Maria Malibran en Desdémone dans l’Otello de Rossini, par Henri Decaisnes (vers 1831, © Musée Carnavalet)

Le livret

Chassériau, Othello et Desdémone à Venise (1849)

ACTE I

Alors que le Maure Otello revient vainqueur d’une expédition à Chypre, Iago et Rodrigo (le fils du doge), jaloux de son pouvoir grandissant, méditent sa chute. Rodrigo aimerait épouser Desdémone, fille d’Elmiro. Mais Desdémone et Otello sont tombés amoureux l’un de l’autre et souhaitent s’unir. Elmiro s’oppose fermement à ce mariage. Rodrigo craint cependant que la gloire d’Otello ne fasse changer d’avis le père de Desdémone. Mais Iago (qui lui aussi souhaita autrefois épouser Desdémone) assure Rodrigo de son aide : tous deux trouveront le moyen de se venger. À cette fin, Iago garde précieusement avec lui une lettre d’amour et une mèche de cheveux que Desdémone souhaitait faire parvenir à Otello, mais qu’il a interceptées…
Elmiro demande à sa fille de se préparer pour ses noces. Desdémone espère que son père lui accordera enfin la main du Maure, mais elle comprend vite qu’Elmiro n’a pas changé d’avis et lui destine Rodrigo. La jeune femme refuse, tandis qu’arrive Otello, stupéfait de constater  qu’un mariage se prépare. Il déclare alors devant tous être aimé de Desdémone, ce que confirme la jeune femme, provoquant la fureur de son père.

ACTE II

Iago tente de faire naître la jalousie dans l’esprit d’Otello, en lui montrant la lettre et la mèche de cheveux et en lui faisant croire qu’elles étaient destinées à Rodrigo. Otello, anéanti, jure de se venger. Lorsque paraît Rodrigo, une violente querelle éclate entre les deux hommes, que les interventions désespérées de Desdémone, qui se voit accusée d’infidélité, ne peuvent calmer. Otello et Rodrigo se battent en duel. Lorsqu’on annonce à Desdémone qu’Otello est sain et sauf, la jeune femme est immensément soulagée. Mais Elmiro, furieux, maudit sa fille et déclare que la colère a éteint en lui tout sentiment de pitié.

Chassériau, Le coucher de Desdémone (1849)

ACTE III

Desdémone, effondrée, s’apprête à se coucher. Elle se prépare en chantant la triste chanson du Saule, évoquant le tragique destin d’une des ses amies, Isaura, morte d’amour… Alors qu’elle s’endort, Otello pénètre dans la chambre. Dans son sommeil, Desdémone murmure des mots d’amour qu’Otello croit destinés à Rodrigo. Desdémone se réveille et essaie de se défendre auprès d’Otello. Celui-ci lui apprend  que Rodrigo a été tué par Iago. Desdémone comprend alors que ce dernier est le traitre qui a fomenté toute cette intrigue, mais elle n’a pas le temps de s’expliquer : Otello, qui interprète le désespoir de Desdémone comme une preuve d’amour de la jeune femme pour Rodrigo, la poignarde.
Entrent alors le doge, Elmiro, et Rodrigo : ce dernier, en effet n’a pas été assassiné par Iago ; c’est Iago qui a été tué, avouant tous ses crimes au moment de mourir. La vérité ayant été révélée, tout est pardonné : Elmiro accepte de donner sa fille à Otello, et Rodrigo lui-même est prêt à renoncer à Desdémone. Mais il est trop tard : Otello, horrifié d’avoir causé la mort de sa bien-aimée, se poignarde.

Chassériau, Othello étouffe Desdémone (1849)

La partition

Si l’œuvre connut rapidement un très grand succès international, elle disparut progressivement de l’affiche au fil du XIXe siècle, pour devenir une véritable rareté au XXe siècle. À cela, plusieurs raisons :

  • l’évolution du goût, le public se détournant petit à petit de l’esthétique du bel canto appliquée au répertoire serio pour lequel il goûtera tout à la fois des partitions aux orchestres plus nourris et plus denses que ceux du début du XIXe siècle, et des lignes vocales moins ornées ;
  • l’oubli progressif du style et de la technique permettant d’interpréter le Rossini serio de façon idoine (ce second critère étant en partie une conséquence du premier) ;
  • la difficulté du public à apprécier l’œuvre indépendamment de la tragédie de Shakespeare, dont elle est très éloignée ;
  • l’apparition, à la fin du siècle, du terrible chef-d’œuvre homonyme de Verdi, qui relégua durablement celui de Rossini dans l’ombre.

L’Otello de Rossini, le dix-neuvième composé par le Cygne de Pesaro, regorge de beautés. Le héros éponyme y est finement caractérisé dès sa scène d’entrée, qui fait entendre tout à la fois sa bravoure et sa tendresse, les deux principales caractéristiques du personnage. Desdémone est également très subtilement dessinée, du duo du premier acte avec Emilia, d’une adorable délicatesse, à l’air du Saule (dont chaque reprise, finement ornée, traduit l’émoi grandissant du personnage, contraint d’interrompre son chant sous le poids de l’émotion : nous ne sommes pas très loin, finalement, d’une véritable « scène de folie »), et la prière finale, d’une pureté et d’une sobriété saisissantes. Les scènes pathétiques (le court mais bouleversant chant du gondolier au début du 3e acte) ou puissamment dramatiques ne manquent pas. Ainsi au second acte se succèdent le duo entre Iago et Otello, au cours duquel le héros laisse percevoir la violence qui sommeille en lui (« Non m’inganno »), l’affrontement entre Rodrigo et Otello (« Ah vieni, nel tuo sangue »), interrompu de façon surprenante par l’irruption de Desdémone (« Ahimè! fermate, udite ») dont l’orchestre traduit merveilleusement la frayeur et l’émotion, un irrésistible trio entre les trois personnages (« Tra tante smanie »), puis la malédiction d’Elmiro suivie du chant désespéré de Desdémone (« L’error d’un’ infelice… Se il padre m’abbandona ») : magistral ! Quant au dernier acte, Rossini lui-même le comptait au nombre de ses plus belles réussites.

L’œuvre connaît un regain d’intérêt en Europe et dans le monde depuis la Rossini Renaissance des années 70/80, sauf en France, où les opere serie de Rossini continuent, à quelques exceptions près, d’être méprisés. Otello, comme Tancredi, Semiramide, Zelmira ou Ermione, attendent notamment toujours d’être créés à l’Opéra de Paris…

Pour écouter l’œuvre

CD

Carreras, Von Stade, Pastine, Fisichella, Ramey / Philharmonia Orchestra, Ambrosian Opera Chorus, dir. López Cobos. 2CD Philips, 1978.

Ford, Frutal, Lopera, Matteuzzi, D’Arcangelo /  Philharmonia Orchestra, dir. Parry. 3 CD Opera Rara, 2000.

(Version pour mezzo-soprano) – Ratiani, Ciofi, Bonfatti, Edwards, Kang  / Orchestra Internazionale d’Italia, Bratislava Chamber Choir, dir. Arrivabeni. 3 CD Dynamic, 2000.

Spyres, Pratt, Trucco, Adami, Guagliardo / Transylvania State Philharmonic Choir, Cluj Virtuosi Brunensis, dir. Fogliani. 2 CD Naxos, 2010.

Kunde, Romeu, McPherson, Wagner, Mironov, , Symphony Orchestra Chorus and Opera Vlaanderen Antwerp/Ghent, dir. Zedda. 3 CD Dynamic, 2015.

Pour voir et écouter l’œuvre

Streaming

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Pesaro, 1988. Pritchard – Pizzi / Merritt, Anderson, Di Cesare, Blake, Surjan. ST anglais.

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Zurich, 2012. Tang – Leiser et Caurier / Osborn, Bartoli, Rocha, Camarena, Kálmán.

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Naples, 2017. Ferro – Gitai / Osborn, Machaidze, Gatell, Korchak, Palazzi.

DVD et Blu-rays

Osborn, Bartoli, Rocha, Camarena, Kálmán / Tang- Leiser et Caurier, Chœur de l’Opéra de Zurich, Orchestra La Scintilla, 1 DVD Decca, 2012.

Comptes rendus de représentations d’Otello