Découvrez dans la rubrique Les Italiens à Paris un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !
La Favorite doit sa naissance aux déboires subis par Donizetti à Paris : le compositeur avait quasi achevé la partition de L’Ange de Nisida, destinée au Théâtre de la Renaissance, lorsque celui-ci fit faillite. Par ailleurs, la diva Rosine Stolz venait de refuser de chanter Le Duc d’Albe, composé pour l’Opéra. Donizetti reprit donc sa partition de L’Ange de Nisida et l’adapta sur un nouveau livret, afin de fournir l’œuvre qu’attendait de lui l’Opéra de Paris. La Favorite y fut créée (salle Le Peletier) le 2 décembre 1840. L’oeuvre, sans être un riomphe, est plutôt bien accueillie.
L’action prend place en Espagne, près de Cadix. Au monastère de Saint-Jacques de Compostelle, le jeune novice Fernand, explique au Père supérieur qu’il est tombé amoureux d’une jeune inconnue et qu’il renonce à la vie monacale afin de pour pouvoir vivre son amour. Nommé capitaine par le roi Alphonse XI de Castille, il contribue à la victoire des forces royales contre les Maures. Le roi fait venir Fernand pour le récompenser de sa bravoure. Le jeune homme demande alors l’autorisation d’épouser la femme qu’il aime, avant de découvrir, horrifié, que celle-ci (Leonor) n’est autre que la favorite du roi. Fernand, fou de douleur, brise son épée aux pieds du roi et maudit sa fiancée. De retour au monastère de Saint-Jacques de Compostelle, il s’apprête à prononcer ses vœux lorsqu’on annonce l’arrivée d’un jeune novice épuisé et très affaibli. Il s’agit en fait de Leonor, déguisée, qui supplie Fernand de lui pardonner. Le jeune homme avoue à Leonor qu’il n’a jamais cessé de l’aimer. La jeune femme meurt dans ses bras.
Comme celui de L’Ange de Nisida, le livret de La Favorite (signé Alphonse Royer et Gustave Vaëz, et revu par Eugène Scribe) est inspiré des Mémoires du comte de Comminge de Mme de Tencin (1764), ouvrage ayant rencontré un grand succès et adapté au théâtre quelques années plus tard par François-Thomas-Marie de Baculard d’Arnaud (1718-1805) : la pièce de ce dernier, Les Amants malheureux ou le Comte de Commines (un drame en trois actes en vers), paraît en 1769 et est créée en 1790. Cette pièce met en scène un homme, le Comte de Comminges, éperdument amoureux d’une femme (Adélaïde) qui lui est refusée pour des questions de querelles familiales. Il tue le prétendant d’Adélaïde et se réfugie à l’Abbaye de la Trappe, où il devient le frère Arsène. Malgré ses vœux, son esprit reste constamment occupé par le souvenir d’Adélaïde. La jeune femme de son côté a épousé un autre homme mais elle ne l’aime pas et en vient même à souhaiter sa mort.
Après la mort de son mari, elle se réfugie à son tour à l’Abbaye de la Trappe où elle peut côtoyer celui qu’elle n’a cessé d’aimer en se faisant passer pour un homme, le «frère Euthime». Le Duc de Comminges (ou frère Arsène) ne découvre la véritable identité du frère Euthime que pour voir sa bien-aimée expirer dans ses bras.
Ci-contre : illustration d’Augustin de Saint-Aubin pour la dernière scène des Amants malheureux de Baculard d’Arnaud.
Ce drame de Baculard d’Arnaud inspire à Gaetano Rossi le livret d’ un melodramma semiserio : Adelaide e Comingio, que Giovanni Pacini met en musique et qui est créé le 30 décembre 1817 au Teatro Re de Milan. En 1834, Donizetti s’empare de cet opéra pour composer un opéra-comique, Adélaïde, avec l’espoir de le faire représenter à Paris. Mais le projet est abandonné, avant d’être repris sous la forme d’une nouvelle œuvre : L’Ange de Nisida. Ce dernier opéra ne pouvant être créé en raison de la faillite du théâtre qui devait l’accueillir, il sera à son tour remanié pour devenir La Favorite.
Bien qu’issue pour l’essentiel d’une autre œuvre, la musique « colle » de manière étonnante au nouveau livret sur lequel Donizetti a travaillé. Mais faut-il réellement s’en étonner? Les intrigues et les situations dramatiques sont souvent très proches entre La Favorite et L’Ange de Nisida. Quoi qu’il en soit, la partition est l’une des meilleures dans le genre sérieux composée par Donizetti. Son seul (relatif) point faible réside dans le finale de l’acte III, acmé de l’œuvre sur le plan dramatique, mais qui peine à décoller musicalement.
Mais ailleurs, l’opéra compte de nombreuses beautés, les trois personnages principaux disposant chacun d’un ou de deux airs splendides, sans compter les duos entre Fernand et Léonor (celui du premier acte, « Toi, ma seule amie », et celui de la scène finale qui voit mourir l’héroïne). Leonor est, dans tous les cas, l’un des premiers et des plus touchants premiers rôles écrits pour un mezzo à l’époque romantique. Son air du 3e acte, impressionnant de dramatisme, est un incontournable du répertoire du mezzo.
La Favorite est jouée sans interruption à l’Opéra jusqu’en 1894. La citation de cet opéra dans La Périchole d’Offenbach en 1868 (avec le chœur « Quel marché de bassesse ») témoigne de sa grande popularité. L’œuvre se fait nettement plus rare aux XXe et XXIesiècles. En France du moins : en Italie, elle est restée plus populaire, notamment dans ses traductions italiennes. Elle quitte définitivement l’affiche de l’Opéra de Paris en 1918, et n’a connu depuis que quelques reprises sporadiques en province… Fedora Barbieri, Giulietta Simionato, Rita Gorr, Simone Couderc, Viorica Cortez, Shirley Verrett autrefois, plus récemment Sonia Ganassi, Violeta Urmana, Vesselina Kasarova ou Elīna Garanča ont interprété le rôle-titre avec succès.
Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.