SIBERIA, Giordano (1903) – dossier

Le compositeur

Umberto Giordano (1867-1948)

C’est André Chénier, créé à la Scala de Milan en 1896, qui apporte la notoriété à Giordano.  Deux ans plus tard, Fedora, qui révèle le ténor Caruso, est également un succès, mais aucun autre opéra de Giordano n’atteindra par la suite une telle notoriété : ni Siberia (1898), ni Marcella (1907), Madame Sans-Gêne (1915), Giove a Pompei (1921),…  Outre le genre lyrique, Giordano s’illustra également dans la mélodie, les pièces pour piano, les œuvres orchestrales,… Avec Leoncavallo et Mascagni, il est considéré comme l’un des principaux représentants du mouvement vériste

 

Le librettiste

Luigi Illica (1857-1919)

Luigi Illica fut l’un des plus célèbres librettistes italiens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle.  Il travailla le plus souvent en duo avec Giuseppe Giacosa, notamment pour Puccini (Manon Lescaut, La Bohème, Tosca, Madama Butterfly). Parmi les livrets qu’il rédigea seul, il y eut celui de La Wally pour Catalani (1892), d’Iris pour Mascagni (1898) ou de Siberia pour Giordano (1903)

 

La création – les différentes versions

L’œuvre est créée à la Scala de Milan le 19 décembre 1903, avec dans les rôles principaux Rosina Storchio (Stephana), Giovanni Zenatello (Vassili) et Giuseppe de Luca (Gléby). L’opéra fut très bien accueilli en Italie, mais aussi à l’étranger et notamment en France où il fut créé dès 1905, puis présenté au Palais Garnier (en français) en 1911.

L’œuvre est reprise à la Scala en 1927 : à cette occasion, Giordano retouche sa partition et en propose une nouvelle version. Dès lors, l’opéra sombre progressivement dans l’oubli pour ne (presque)  plus être du tout représenté, jusqu’à au début du XXIe siècle où il intéresse de nouveau les programmateurs… et le public ! Il fut notamment donné au Festival Della Valle D’Itria (Martina Franca) en 2003, au Festival de Radio-France Occitanie Montpellier en 2015, puis au Maggio Musicale Fiorentino en 2021.

Siberia à la Scala en 1903

L’intrigue

ACTE I – La femme (Saint -Petersbourg)
Stephana est la maîtresse du prince Alexis, qui vit dans un élégant palais. Elle a été séduite par Gleby, un scélérat, qui l’a vendue au prince et vit depuis d’une pension que celui-ci lui a accordée. Stephana aime Vassili, un lieutenant qui correspond avec elle mais croit qu’elle n’est une simple ouvrière (les deux amants ne se rencontrent que secrètement). Lorsqu’il est appelé à la guerre, Vassili décide de se rendre à la rencontre de Stephana : il pénètre dans le palais du prince, et découvre alors qu’il aime une courtisane ; il reste cependant amoureux d’elle. Le prince entre et exige une explication, laquelle se transforme en un duel au cours duquel Vassili tue le prince : il est aussitôt arrêté.

ACTE II – L’amoureuse (La frontière entre la Russie et la Sibérie, en hiver)
Les prisonniers cheminent dans la neige jusqu’aux mines où ils travaillent. Parmi eux, Vassili, épuisé, est désespéré. Un groupe de femmes et d’enfants attend le long de la route pour faire ses adieux aux prisonniers. Stephana arrive dans un traîneau, elle a tout quitté pour rejoindre son bien-aimé et renonce définitivement à la vie luxueuse qu’elle a connue jusqu’alors.

ACTE III – L’héroïne (Une cabane de bagnards dans les mines du Transbaïkal, la veille de la Pâque russe).
En raison de l’approche de Pâques, les prisonniers sont autorisés à organiser une fête. Stephana  élabore un plan pour s’échapper avec Vassili, mais Gleby, l’entremetteur, a lui aussi été conduit au camp de prisonniers après avoir finalement été arrêté pour l’un de ses nombreux crimes. Il reconnaît Stephana et l’insulte devant tout le monde, y compris Vassili, qui tente de la défendre.  La cloche de l’église sonne et les prières commencent. Pendant la nuit, Vassili et Stephana tentent de mettre leur évasion à exécution ;  mais Gleby donne l’alarme, les troupes poursuivent les fugitifs. Un coup de feu retentit : on ramène Vassili, et Stephana, mortellement blessée, meurt dans les bras de son bien-aimé.

 

La musique

Après le succès de Fedora (1998), Giordano puise de nouveau son inspiration dans la culture russe : Dostoïevski est la source du livret commandé par Luigi Illica, tant pour le thème des déportés en Sibérie (Souvenirs de la maison des morts) que pour celui de la femme perdue se rachetant par le sacrifice : les Katjuša, Anna, Sonja ou Grušenka de ses autres romans offrent le modèle de Stephana. Mais si Illica développe le thème politique et social, Giordano, lui, s’attache à traduire le drame de la passion, ce à quoi le musicien excelle, réservant aux rôles principaux des lignes vocales enflammées, portées par un orchestre faisant l’objet de soins tout particuliers. 

Giordano a toujours considéré Siberia comme son chef-d’œuvre, et de fait l’œuvre présente  un aspect dramatique très moderne, surtout au deuxième acte. La partition utilise des thèmes russes populaires, notamment l’hymne « Slava », le chant des bateliers de la Volga, qui revient plusieurs fois comme un leitmotiv, et la chanson « Ou vorot », que Tchaïkovski utilise également dans l’ouverture 1812.

À la différence d’Andrea Chénier, la partition ne comporte pas d’ariosi accrocheurs, mais se développe en une alternance de declamato et de cantabile avec des moments plus mélodiques comme la « mattinata » à quatre voix ou la « quasi romanza » de Stephana « Io l’amai | per l’esistenza | rinnovata : | pura in me » au premier acte, ou encore l’ « Orride steppe » avec laquelle Vassili prévient la femme de ce qui l’attend en Sibérie.
L’opéra commence d’une manière inhabituelle : la voix d’un moujik, dans le silence et hors scène, chante la fatalité du mal de vivre, véritable thème de la Sibérie : « Profite donc du soleil, s’il y a du soleil ; profite de la lune, s’il y a une lune ; et profite de ta vie aussi, car, si Dieu le veut, il y a aussi la mort au bout pour toi ». Ce préambule jette une couleur particulièrement sombre sur l’ensemble de l’œuvre, que le livret et la partition viendront confirmer au fil des actes…

Gabriel Fauré, dont l’esthétique est pour le moins éloignée de celle de Giordano, devait déclarer à l’occasion de la création française de l’œuvre (en 1905) : « Je ne crois pas exagérer en disant que le deuxième acte de Siberia prendra certainement place parmi les pages les plus singulières et les plus captivantes que la musique dramatique moderne puisse offrir. »

Pour écouter l’œuvre

Luisa Maragliano, Amedeo Zambo, Walter Monachesi. Orchestre et choeurs de la RAI de Milan, dir. Danilo Bernardinelli (2CD Bongiovanni, 2004. Enregistré le 5 février 1974).

Francesca Scaini, Jeon-Won Lee, Vittorio Vitelli. Orchestra Internazionale d’Italia, Bratislava Chamber Choir, dir. Manlio Benzi  (2CD Dynamic, 2004, enregistré en 2003).

Comptes rendus des représentations de SIBERIA :