LINDA DI CHAMOUNIX, Donizetti (1842) – dossier

Opera semiseria en trois actes de Gaetano Donizetti, livret de Gaetano Rossi d’après La Grâce de Dieu, ou la Nouvelle Fanchon, drame en 5 actes mêlé de chant de d’Adolphe-Philippe d’Ennery et Gustave Lemoine (1841). Créé le 19 mai 1842 au Kärtnerntortheater de Vienne. 

Le compositeur

Gaetano Donizetti (1797-1848)

Donizetti est né à Bergame le 29 novembre 1797, où il mourut également quelque 50 ans plus tard (le 08 avril 1848). Cette ville de Lombardie honore depuis la mémoire du musicien, avec notamment un festival qui lui est consacré chaque automne.
Avec Rossini et Bellini, Donizetti régna sur l’Europe musicale pendant la première moitié du XIXe siècle. Il s’installa notamment à Paris (en 1839), où il prit la direction de la salle Ventadour. Trois ans plus tard, il fut nommé maître de chapelle à Vienne. Il fit représenter dans la capitale française plusieurs ouvrages importants : La Fille du régiment (1840), La Favorite (1840), ou encore Don Pasquale (1843).

Extrêmement prolixe, il composa plus de 500 œuvres dont 71 opéras, parmi lesquels Anna Bolena (1830), L’Elisir d’amore (1832), Maria Stuarda (1834), Lucia di Lammermoor (1835), Roberto Devereux (1837). Atteint de la syphilis, il ne peut plus composer dès 1845 et sombre progressivement dans la folie.
Pendant la première moitié du XXe siècle, on ne jouait plus guère de ce musicien que Lucia, Don Pasquale et L’Elisir d’amore, avant qu’on ne se réintéresse progressivement à l’ensemble de son œuvre, notamment sous l’impulsion de Maria Callas, qui redonna à Lucia di Lammermoor ses lettres de noblesse et mit également à son répertoire Anna Bolena et Poliuto. Aujourd’hui, la fameuse « trilogie Tudor » (Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux) est régulièrement proposée à l’attention des spectateurs. Mais il reste encore de très nombreux opéras de Donizetti à redécouvrir, notamment en France où l’on continue de se montrer assez frileux envers ce compositeur. (Des ouvrages aussi importants que les opéras de la trilogie Tudor, Poliuto ou Belisario – entre autres – attendent toujours d’être créés à l’Opéra de Paris !)

Le librettiste

Gaetano Rossi (1774-1855)

Gaetano Rossi (18 mai 1774 – 25 janvier 1855) est l’un des librettistes italiens les plus célèbres et les plus prolifiques du XIXe siècle. Il rédigea plus de cent livrets pour les plus grands compositeurs de l’époque, parmi lesquels Rossini, Donizetti ou Meyerbeer. Il dirigea également le Teatro Filarmonico de Vérone pendant six ans (1841-1847). Il puisa son inspiration dans des œuvres littéraires italiennes, mais aussi, plus largement, européennes. Ses livrets les plus célèbres sont ceux de La cambiale di matrimonio (Rossini, 1810), Tancredi (Rossini, 1813)

Semiramide (Rossini, 1823)Il crociato in Egitto (Meyerbeer, 1824), Il giuramento (Mercadante, 1837), Il bravo (Mercadante, 1839), Maria Padilla (Donizetti, 1841), Linda di Chamounix (Donizetti, 1842).

La création

L’œuvre (une commande de Bartolomeo Merelli, le directeur de la Scala et du Kärntnertortheater de Vienne) fut créée le 19 mai 1842 au Kärntnertortheater. Eugenia Tadolini (créatrice de  Maria di Rohan en 1843, Ernani en 1844 ou Alzira en 1845)  chantait le rôle-titre ; Napoleone Moriani (créateur d’Enrico dans Maria di Rudenz) celui de Carlo ; Felice Varesi (baryton verdien par excellence, 

créateur des rôles de Macbeth, Rigoletto et Germont) celui d’Antonio. L’opéra remporta un grand succès, comme en témoignent les deux reprises qui eurent lieu l’année même de la création en Italie (à Turin) et en France (à Paris, au Théâtre-Italien, avec Fanny Persiani dans le rôle-titre).

Eugenia Tadolini (© BnF)

Fanny Persiani (© BnF)

Le livret

Adolphe-Philippe d’Ennery

La Grâce de Dieu, costume de Melle Clarisse (rôle de Marie)


Gaetano Rossi suit assez fidèlement une pièce française créée un an avant l’Opéra de Donizetti : La Grâce de Dieu, d’Adolphe-Philippe d’Ennery et Gustave Lemoine. (Adolphe-Philippe d’Ennery est un dramaturge extrêmement prolifique, auteur notamment des Deux Orphelines – 1874, écrit avec Eugène Cormon – d’adaptations pour la scène de romans de Jules Verne – Le Tour du monde en quatre-vingts jours, 1874, Michel Strogoff, 1880 – et librettiste pour Adam – Si j’étais roi,  1852 –, Gounod – Le Tribut de Zamora,  1881 – et Massenet – Don César de Bazan, 1872, et Le Cid, 1885). Dans la pièce de d’Ennery et Lemoine, Linda s’appelle Marie; Antonio, Loustalot ; Maddalena, Madeleine ; Pierotto, Pierrot ; Carlo (le vicomte de Sirval)  André (marquis de Sivry) ;  et Boisfleury n’est pas marquis mais «commandeur».

ACTE I – Le départ
Antonio et Maddalena sont un couple de fermiers vivant dans une ferme en Savoie, en compagnie de leur fille Linda et de Pierotto, un jeune orphelin, frère de cœur de Linda. La jeune fille est amoureuse du jeune Carlo, lequel lui dit qu’il n’est pas encore possible pour lui de l’aimer librement, mais que ce jour viendra bientôt et qu’il lui révélera alors un secret…
Antonio et Maddalena ont bon espoir que le marquis de Boisfleury signe la prolongation de leur bail. Le préfet, cependant, prévient Antonio que le marquis est un homme malhonnête et dangereux, dont le seul objectif est de séduire la jeune Linda. Il conseille à Antonio d’éloigner Linda du marquis,  en l’envoyant à Paris où son frère pourra l’accueillir et s’occuper d’elle. Alors que Linda arrive avec le document, signé du marquis de Boisfleury, autorisant Antonio et Maddalena à rester dans leur ferme, on signale à la jeune fille qu’elle doit immédiatement quitter les lieux.







Adolphe-Philippe d’Ennery et Gustave Lemoine,
La Grâce de Dieu, Acte I, scène 7

ACTE II – À Paris
Carlo a révélé son secret à Linda : il n’est autre que le vicomte de Sirval, neveu du marquis de Boisfleury. Le frère du préfet qui devait accueillir Linda étant mort, Carlo a logé la jeune fille dans un somptueux appartement. Sa mère a appris sa liaison avec la jeune paysanne : elle refuse que son fils l’épouse et lui destine une femme digne de son rang, au grand désespoir de Carlo…
Linda vit à Paris depuis maintenant trois mois. Elle a envoyé de l’argent à ses parents, mais souhaiterait ardemment avoir de leurs nouvelles… C’est alors qu’elle reconnaît, montant de la fenêtre, la voix de son frère de cœur Pierrotto : le garçon a quitté la Savoie pour se mettre à la recherche de Linda. Linda le fait monter chez elle et lui explique sa situation. La joie de leurs retrouvailles est interrompue par l’arrivée du marquis, qui a lui aussi retrouvé la trace de Linda et lui fait une cour de plus en plus pressante. La jeune fille parvient à l’éconduire.  On annonce alors l’arrivée d’un vieil homme, à la recherche du vicomte de Sirval. Linda, stupéfaite, reconnaît en ce vieil homme son propre père et lui donne une bourse d’argent. Antonio, cependant, voyant que Linda vit désormais dans l’opulence, estime qu’elle a trahi sa famille et se sent humilié d’avoir reçu l’aumône de sa propre fille, dont il pense qu’elle se fait entretenir par un vicomte de Sirval mal intentionné à son égard. 






Adolphe-Philippe d’Ennery et Gustave Lemoine,
La Grâce de Dieu, Acte IV, scène 5

Mais  Pierotto revient précipitamment : il vient d’apprendre que l’on prépare, dans un palais voisin, les noces imminentes de Carlo, qui a cédé à l’insistance de sa mère et est sur le point  d’épouser une noble dame : Linda sombre dans la folie…

ACTE III – Le retour
Carlo, pensant que Linda s’est enfuie de Paris parce qu’elle se croyait abandonnée, a refusé le mariage arrangé par sa mère et est revenu à Chamonix dans l’espoir de retrouver la trace de sa bien-aimée. Il rassure Antonio et Maddalena sur ses intentions envers Linda.
De fait, Antonio et Pierotto apparaissent avec la jeune fille, mais celle-ci n’a toujours pas retrouvé la raison. Ni la voix de Pierotto, ni celles de son père ou de sa mère Maddalena n’ont pu lui faire retrouver ses esprits. C’est alors que Carlo la prend dans ses bras et l’assure de son amour. La jeune fille, miraculeusement, recouvre la raison et l’opéra s’achève dans l’allégresse.






Adolphe-Philippe d’Ennery et Gustave Lemoine,
La Grâce de Dieu, Acte V, scènes 8 et 9

La partition

L’œuvre ressortit à l’opéra semiseria, un genre dont les codes et l’esthétique nous sont devenus de moins en moins familiers tant la programmation des œuvres qui le représentent se fait rare, pour ne pas dire rarissime : La Sonnambula a dû attendre 2010 pour entrer au répertoire de l’Opéra de Paris (!!) ; quant à Linda di Chamounix et La Pie voleuse, c’est peu de dire qu’elles ont depuis longtemps déserté les scènes françaises et européennes depuis très longtemps, à quelques exceptions près : Pesaro, bien sûr,  pour La Pie voleuse (mais aussi Massy en 2008) , Barcelone pour Linda di Chamounix en 2012,…)

L’opera semiseria se caractérise par un mélange des genres : le ton se fait tantôt léger, voire comique, tantôt sentimental, grave, voire tragique, si ce n’est que le dénouement de la pièce est toujours heureux. L’opera semiseria est proche de la tragi-comédie ou tragédie bourgeoise, appelées également « comédie larmoyante » (dont Nivelle de la Chaussée est l’un des plus illustres représentants), ou encore de la « comédie à sauvetage » : ces différents genres ont pour particularité d’avoir fleuri dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et de  présenter une action qui menace de basculer dans le tragique mais qui connaît in extremis un dénouement heureux (sauf dans le cas dans le cas de la tragédie bourgeoise dont l’issue peut être dramatique), les personnages étant sauvés et la vertu étant finalement récompensée.

Comme dans la Sonnambula ou La Pie voleuse, l’action prend place dans un cadre champêtre (et même plus précisément alpestre pour Linda et La Sonnambula !) ; certains personnages présentent une dimension sinon comique, du moins amusante, l’héroïne est de condition modeste ; elle est courtisée par un vieil homme plus ou moins bien intentionné ; sa destinée menace de se clore de façon tragique (l’abandon pour Amina, la folie pour Linda, la mort pour Ninetta).  

Cette co-présence d’éléments disparates dans le drame entraîne nécessairement une variété de tons dans la partition, qui se fait tour à tour brillante (l’ouverture), enjouée (« O luce di quest’anima », le duo final de l’héroïne avec Carlo), tendre et élégiaque (la romance de Carlo, son duo avec Linda au second acte),  buffo (le personnage de Boisfleury), dramatique (le duo entre Antonio et le préfet, le finale du second acte) ou pathétique (le duo du dernier acte entre Carlo et le préfet).

Il est à noter que ce qui est devenu l’air le plus célèbre de la partition (le « O luce di quest’ anima » du premier acte) ne faisait pas partie de la partition originale, mais a été composé par Donizetti pour Fanny Persiani à l’occasion de la création parisienne de l’œuvre – de même que la romance que chante Pierrotto au premier acte. A contrario, certaines pages, chantées lors de la création viennoise, ont été supprimées à Paris. Et Donizetti composa pour Carlo une romance (« Deh ! Non chiamarmi barbaro ! »), coupée avant la création et redécouverte au début du XXIe siècle (en 2007), lors du Caramoor Summer Music Festival.

Pour écouter l’œuvre

CD

Margherita Carosio, Gianni Raimondi, Rina Corsi, Giuseppe Taddei – Coro e Orchestra della Rai Milano, dir. Alfredo Simonetto – (2 CD Cantus Classics, enr. 1953)

 

Antonietta Stella, Cesare Valetti, Rina Corsi, Giuseppe Taddei – Choeur et orchestre du Teatro San Carlo de Naples, dir. Tullio Serafin (2 CD Philips, 1957)

Margherita Rinaldi, Alfredo Kraus, Elena Zilio, Renato Bruson – Coro e Orchestra del Teatro alla Scala, dir. Gianandrea Gavazzeni (2 CD Legato Classics, enr. 1972)

Edita Gruberova, Don Bernardini, Monika Groop, Ettore Kim – Mikaeli Chamber Choir, Swedish Radio Sympnony Orchestra, dir. Friedrich Haider – (Nightingale, 1993)

Eglise Gutiérrez, Stephen Costello, Marianna Pizzolato, Ludovic Tézier – Royal Opera Chorus, Orchestra of the Royal Opera House, dir.  Mark Elder (3 CD Opera Rara, enr. 2009).


Majella Cullagh, Roberto Iuliano, Chiara Chialli,  Giuseppe Altomare – Orchestra e Coro del Bergamo Musica Festival Gaetano Donizetti, di. Vito Clemente. (3 CD Dynamic, enr. 2009) 

Pour voir et écouter l’œuvre

Streaming

https://www.youtube.com/watch?v=WtG9g6yEl8Q

Edita Gruberova, Deon van der Walt, Cornelia Kallisch, Armando Ariostini – Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Zurich, dir. Adam Fischer, mise en scène Daniel Schmid. (Zurich, 1996. Pas de sous-titres). 

https://www.youtube.com/watch?v=D1lb_1pnR3I

Diana Damrau, Juan Diego Flórez, Silvia Tro Santafé, Pietro Spagnoli – Orchestre et chœur du Gran Teatre del Liceu de Barcelone, dir. Marco Armiliato. Mise en scène Emilio Sagi. (Barcelone, 2012. Pas de sous-titres).

 

  • Même captation avec sous-titres en anglais ici .

Edita Gruberova, Deon van der Walt, Cornelia Kallisch, Armando Ariostini – Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Zurich, dir. Adam Fischer, mise en scène Daniel Schmid. (1 DVD TDK, Zurich, 1996).