ERNANI, Verdi (1844) – dossier

Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après la pièce homonyme de Victor Hugo, créé le 9 mars 1844 à Venise (La Fenice).

Le compositeur

Giuseppe Verdi (1813-1901)

Issu d’une famille très modeste, Verdi commence sa formation musicale auprès du chef de l’orchestre municipal de Busseto, petite ville située à quelques kilomètres de Parme et commune de rattachement des Roncole, le hameau où naquit le compositeur. Âgé de vingt ans, il dirige une exécution de La Création de Haydn et attire ainsi sur lui l’attention du public 

et de la critique. Il compose alors son premier opéra : Oberto, comte de S. Bonifacio, qui est représenté à la Scala en 1839. C’est une période très difficile pour le compositeur, qui voit disparaître successivement ses deux enfants et sa femme. En 1842, Nabuchodonosor triomphe à la Scala de Milan. Commence alors une période que le musicien qualifia lui-même d’« années de galère » au cours desquelles, tout en se débattant dans des préoccupations matérielles et commerciales, il s’efforce de se faire un nom en multipliant les créations : I Lombardi alla prima Crociata (1843), Ernani (1844), Attila (1846).Puis vient la trilogie qui consacre sa gloire : Rigoletto (1851), Le Trouvère et La Traviata (1853). La renommée de Verdi devient vite internationale. Il compose plusieurs œuvres pour Paris, notamment Les Vêpres siciliennes (1855) et Don Carlos (1867). Comme Victor Hugo incarne le romantisme littéraire français, Verdi est l’incarnation du romantisme musical italien. Le parallèle entre les deux hommes est frappant : tous deux s’engagèrent politiquement (Verdi fut un ardent partisan de l’unité italienne ; Cavour l’appela à la Chambre des députés, après quoi il fut élu sénateur), tous deux continuèrent de créer jusqu’à un âge avancé, en renouvelant constamment leur langage artistique (Aida est créée en 1871, Otello en 1887, Falstaff en 1893). Tous deux enfin, après leur disparition, plongèrent leur pays  dans un deuil national et se virent offrir de grandioses funérailles.

Le librettiste

Francesco Maria Piave (1810-1876)

D’origine vénitienne, Piave manifeste très tôt un intérêt marqué pour la littérature. Il devient dès 1831 membre de l’Accademia Tiberina (fondée à Rome le 9 avril 1813 par un groupe de 26 érudits et écrivains résidant à Rome, son but était de cultiver les sciences et les lettres latines et italiennes, et en particulier tout ce qui concernait Rome). Il est également secrétaire de rédaction chez un éditeur vénitien, puis acquiert la notoriété en tant que librettiste d’opéras, essentiellement pour Verdi pour lequel il écrivit 10 livrets : 

Ernani (1844), I due Foscari (1844), Macbeth (1847), Il Corsaro (1848),Stiffelio (1850), Rigoletto (1851), La Traviata (1853), Simon Boccanegra (1857), Aroldo (1857), La Forza del destino (1862).

La création

À la demande du directeur de la Fenice, Verdi accepte de composer un nouvel opéra pour Venise, et annonce en 1843 que son choix s’est porté sur le drame de Victor Hugo Hernani, qui avait été créé à la Comédie Française en 1830 dans l’ambiance survoltée que l’on connaît. Le drame mettant en scène un souverain, des conspirateurs et une tentative de régicide, le librettiste Piave (qui collabore ici pour la première fois avec Verdi) aura maille à partir avec la censure. Mais l’œuvre deviendra vite l’une des plus célèbres du musicien, et l’on raconte que tout Venise en  fredonnait  déjà les airs principaux avant même sa création – les copistes ayant contribué à diffuser la musique du maestro à travers la ville. La première a lieu à la Fenice le 9 mars 1844. Carlo Guasco interprète Ernani, Antonio Puperchi Carlo, Antonio Selva Silva et Sophie Loewe Elvira. Le succès d’Ernani devient très rapidement international, avant que l’oeuvre ne soit quelque peu éclipsée par la fameuse trilogie des années 1850 : Rigoletto, La Traviata, Le Trouvère.

L’intrigue

Si l’intrigue suit d’assez près celle du drame homonyme de Hugo, les noms de Doña Sol  et Don Ruy Gomez ont été modifiés en Elvira et Silva.

Nous sommes en Espagne en 1519. Don Juan d’Aragon, dont le père a été assassiné, a pris, sous le nom d’Ernani, la tête d’un groupe de rebelles afin de venger son père et de détrôner Don Carlo, le roi de Castille – futur empereur Charles Quint. La tête d’Ernani est mise à prix. Il est par ailleurs amoureux de la belle Elvira, également courtisée par deux autres hommes : son oncle et tuteur, le vieux Silva, et le roi Carlo lui-même.

ACTE I – Le bandit
Ernani demande à sa troupe de l’aider à délivrer Elvira, tenue par le vieux Silva dans sa forteresse.
Elvira attend impatiemment l’arrivée de son bien-aimé.

Doña Sol –
Nous partirons demain.
Hernani, n’allez pas sur mon audace étrange
Me blâmer. Êtes-vous mon démon ou mon ange ?
Je ne sais, mais je suis votre esclave. Écoutez.
Allez où vous voudrez, j’irai. Restez, partez,
Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je l’ignore.
J’ai besoin de vous voir, et de vous voir encore
Et de vous voir toujours. Quand le bruit de vos pas
S’efface, alors je crois que mon cœur ne bat pas,
Vous me manquez, je suis absente de moi-même ;
Mais dès qu’enfin ce pas que j’attends et que j’aime
Vient frapper mon oreille, alors il me souvient
Que je vis, et je sens mon âme qui revient !

Victor Hugo, Hernani, Acte I, scène 2


Maria Callas : « Ernani, involami ! »

Mais c’est un autre homme (le roi Don Carlo lui-même, mais il ne dévoile pas tout de suite son identité) qui se présente à elle, et tente de l’enlever. Ernani, venant d’arriver au château, l’en empêche in extremis. Le vieux Silva arrive et, comprenant la situation, exige deux duels.

Don Ruy Gomez –
                                                                           Silence !
Quoi ! Vous avez l’épée, et la bague, et la lance,
La chasse, les festins, les meutes, les faucons,
Les chansons à chanter le soir sous les balcons,
Les plumes au chapeau, les casaques de soie,
Les bals, les carrousels, la jeunesse, la joie,
Enfants, l’ennui vous gagne ! à tout prix, au hasard,
Il vous faut un hochet : vous prenez un vieillard !
Ah ! Vous l’avez brisé, le hochet ! mais Dieu fasse
Qu’il vous puisse en éclats rejaillir à la face !
Suivez-moi !

Hernani –  
                          Seigneur duc…

Don Ruy Gomez –
                                                         Suivez-moi! Suivez-moi !
Messieurs, avons-nous fait cela pour rire ? Quoi !
Un trésor est chez moi ; c’est l’honneur d’une fille,
D’une femme, l’honneur de toute une famille ;
Cette fille, je l’aime, elle est ma nièce, et doit
Bientôt changer sa bague à l’anneau de mon doigt ;
Je la crois chaste et pure, et sacrée à tout homme,
Or il faut que je sorte une heure, et moi qu’on nomme
Ruy Gomez De Silva, je ne puis l’essayer
Sans qu’un larron d’honneur se glisse à mon foyer !
Arrière, jeunes gens ! Ah ! Ce sont là vos fêtes !
Des bâtards rougiraient d’agir comme vous faites !
Non. C’est bien. Poursuivez. Ai-je autre chose encor ?
Il arrache son collier.
Tenez, foulez aux pieds, foulez ma toison d’or!
Il jette son chapeau.
Arrachez mes cheveux, faites-en chose vile !
Et vous pourrez demain vous vanter par la ville
Que jamais débauchés, dans leurs jeux insolents,
N’ont sur plus noble front souillé cheveux plus blancs !

Victor Hugo, Hernani, Acte I scène 3


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Paata Burchuladze, « Che mai vegg’io… »

Carlo révèle alors son identité, et explique que, souhaitant devenir empereur, il est venu demander le soutien de la famille à laquelle appartient Silva – de même que le gîte pour la nuit. Silva accepte, tandis qu’Ernani s’enfuit.

ACTE II – L’hôte
Alors que le mariage de Silva et Elvira est imminent, un pèlerin demande l’hospitalité. Il s’agit en fait d’Ernani, qui constate qu’Elvira était prête à se poignarder plutôt que d’épouser le vieillard. Silva surprend les amants, mais décide de ne pas se venger tout de suite d’Ernani : il le cache à Carlo, lequel est toujours à sa recherche. Elvira supplie le roi de pardonner à Ernani. En vain : le roi quitte le château, emportant Elvira en otage. Lorsqu’Ernani quitte sa cachette, Silva s’apprête à le faire tuer. Ernani demande cependant au vieillard la faveur de voir Elvira une dernière fois avant de mourir. Après quoi, il jure de se tuer dès que le vieillard fera entendre son cor de chasse.

Hernani – 

                                              Non, non, à toi ! Vieillard,
Frappe-moi. Tout m’est bon, dague, épée ou poignard !
Mais fais-moi, par pitié, cette suprême joie !
Duc ! Avant de mourir, permets que je la voie !

Don Ruy Gomez –
La voir !

Hernani –
                 Au moins permets que j’entende sa voix,
Une dernière fois ! Rien qu’une seule fois !

Don Ruy Gomez –
L’entendre !

Hernani –
                        Oh ! je comprends, seigneur, ta jalousie.
Mais déjà par la mort ma jeunesse est saisie.
Pardonne-moi. Veux-tu, dis-moi, que, sans la voir,
S’il le faut, je l’entende ? et je mourrai ce soir.
L’entendre seulement ! contente mon envie !
Mais, oh ! qu’avec douceur j’exhalerais ma vie,
Si tu daignais vouloir qu’avant de fuir aux cieux
Mon âme allât revoir la sienne dans ses yeux !
— Je ne lui dirai rien. Tu seras là, mon père.
Tu me prendras après.

Victor Hugo, Hernani, Acte III, scène 7

ACTE III – La clémence
Carlo, dont le couronnement en tant qu’empereur est imminent, se rend au tombeau de Charlemagne à Aix-la-Chapelle afin de démasquer les conjurés qui cherchent à l’assassiner – et au nombre desquels se trouvent Ernani et Silva. Lorsque l’élection de Carlo aura eu lieu, il est décidé que le canon retentira trois fois, et que les électeurs et Elvira rejoindront le roi. Carlo se cache dans le tombeau.

Renato Bruson : « Oh, de’ verd’ anni miei… »

Les conjurés arrivent : le sort désigne Ernani comme assassin du roi. Le bandit refuse de céder cet honneur à Silva qui le lui réclame en échange de sa vie et de sa fortune. Mais le canon retentit, les électeurs, le roi et Elvira apparaissent, et les conjurés sont sur le point d’être conduits en prison ou à l’échafaud. Elvira cependant rappelle à l’empereur son devoir de clémence, et Carlo décide de laisser la vie sauve à tous les conjurés.

Acte IV – le masque
Au palais de Don Juan d’Aragon, jadis connu sous le nom d’Ernani, les noces du maître et d’Elvira se préparent. Mais Silva, masqué, est présent parmi la foule des invités, et il fait retentir son cor avant qu’Ernani n’épouse sa bien-aimée. Ni les suppliques d’Ernani, ni les prières d’Elvira ne parviennent pas à l’attendrir : il offre à son ennemi le choix entre le poison ou le poignard. Ernani se poignarde sous les yeux horrifiés d’Elvira qui s’évanouit.

Le masque –
                                          « Quoi qu’il puisse advenir,
« Quand tu voudras, vieillard, quel que soit le lieu, l’heure,
S’il te passe à l’esprit qu’il est temps que je meure,
« Viens, sonne de ce cor, et ne prends d’autres soins.
« Tout sera fait. » — Ce pacte eut les morts pour témoins.
Hé bien ! Tout est-il fait ?

Hernani, à voix basse –           
                                              C’est lui !

Le masque –
                                                                  Dans ta demeure
Je viens, et je te dis qu’il est temps. C’est mon heure.
Je te trouve en retard.

Hernani –
                                          Bien. Quel est ton plaisir ?
Que feras-tu de moi ? Parle.

Le masque –
                                                     Tu peux choisir.
Du fer ou du poison. Ce qu’il faut, je l’apporte.
Nous partirons tous deux.

Hernani –            
                                                 Soit.

Le masque –   
                                                            Prions-nous ?

Hernani –
                                                                                 Qu’importe ?

Le masque –
Que prends-tu ?

Hernani –    
                              Le poison.

Le masque – 
                                                   Bien ! – Donne-moi ta main.
Il présente une fiole à Hernani, qui la reçoit en pâlissant.
Bois, – pour que je finisse.
Hernani approche la fiole de ses lèvres, puis recule.

Hernani –
                                                Oh ! par pitié, demain ! –
— Oh ! S’il te reste un cœur, duc, ou du moins une âme,
Si tu n’es pas un spectre échappé de la flamme,
Un mort damné, fantôme ou démon désormais,
Si Dieu n’a point encor mis sur ton front : jamais !
Si tu sais ce que c’est que ce bonheur suprême
D’aimer, d’avoir vingt ans, d’épouser quand on aime,
Si jamais femme aimée a tremblé dans tes bras,
Attends jusqu’à demain ! Demain tu reviendras !

Victor Hugo, Hernani, Acte V, scène 5

La musique

Ernani est sans aucun doute l’un des opéras des années dites « de galère » les plus accomplis du compositeur. S’y amorce déjà le virage des années 1850, qui verra l’abandon des grandes fresques historiques au profits de drames mettant avant tout en jeu les passions humaines. La partition est d’une remarquable homogénéité d’inspiration, et le sens du drame y éclate à chaque acte, en particulier dans le troisième acte, remarquablement construit. L’air d’entrée d’Elvira est irrésistible de lyrisme et d’allant ; le rôle d’Ernani rappelle le souvenir de l’Arnold rossinien tout en annonçant les grands rôles de ténor romantique, tel le Manrico du Trouvère. Enfin, après Nabucco et avant  Rigoletto ou Simon Boccanegra, Carlo permet à Verdi d’affirmer son amour pour la voix de baryton, à qui il confie deux des plus belles pages de l’œuvre : « O de’ verd’anni miei » et « O sommo Carlo » à l’acte III.

Pour voir et écouter l’œuvre

CD

Thomas Schippers (dir.), Carlo Bergonzi, Leontyne Price, Mario Sereni, Ezio Flagello, RCA Italiana Opera Orchestra and Chorus (RCA, enreg. 1967)

Richard Bonynge (dir.), Luciano Pavarotti, Joan Sutherland, Leo Nucci, Paata Burchladze, orchestre et choeurs du Welsh National Opera (Decca, enreg. 1987)

DVD et Blu-rays

Riccardo Muti (dir.), Luca Ronconi (mise en scène), Placido Domingo, Mirella Freni, Renato Bruson, Nicolai Ghiaurov, choeurs et orchestre de la Scala de Milan (Warner Music, enreg. 1982)

James Levine (dir.), Pier Luigi Samaritani (mise en scène), Luciano Pavarotti, Leona Mitchell, Sherill Milnes, Ruggiero Raimondi, choeurs et orchestre du Metropolitan Opera (Decca, enreg. 1983)

Daniele Callegari (dir.), Jean-Louis Grinda (mise en scène), Ramon Vargas, Svetla Vassilieva, Ludovic Tézier, Alexander Vinogradov, choeurs de l’Opéra de Monte-Carlo, Monte-Carlo Philharmonic Orchestra ( ArtHaus Musik, enreg. 2014)