Fidélio en bande dessinée – Fidèle au poste

Lentement mais sûrement, les éditions Kifadassé poursuivent leur folle entreprise : transformer des opéras en bandes dessinées, non seulement à partir de textes en français, mais également en traduisant les livrets initialement rédigés en italien ou, c’est la nouveauté cette fois, en allemand. L’équipe aux commandes reste la même : Guy Delvaux pour la traduction (et versification), Antonio Ferrara pour la mise en images. Après Thaïs en 2019, Alcina en 2020 et Norma en 2021, le quatrième de la série s’est un peu fait attendre, mais voici que Fidélio vient de paraître. Le principe directeur n’a pas non plus changé : un titre qui se confond à chaque fois avec le nom de l’héroïne (ou son pseudonyme, en l’occurrence). En matière de répertoire, si la fourchette chronologique n’est pas bouleversée – on se situe toujours entre 1735 pour le titre le plus ancien et 1894 pour le plus récent – on ne peut que noter un élargissement en termes de répertoire puisque, comme on l’a fait remarquer plus haut, c’est l’opéra allemand qui fait son entrée dans la collection. Le prochain titre annoncé reviendra au répertoire français de la fin du XIXe siècle, puisqu’il devrait s’agir de Lakmé.


Beaucoup moins exotique et beaucoup moins spectaculaire (pas de forêt vierge, pas de fête de Durga), Fidélio n’en est pas moins dépaysant. Car à force de voir l’unique opus lyrique de Beethoven transposé à Guantanamo ou dans les caves de la Stasi, on en avait presque oublié que l’action se situe « au XVIe siècle, dans une prison d’état espagnole, à quelques lieues de Séville ». Même les productions les plus traditionnelles se déroulent en général dans un vague XVIIIe siècle, la libération de Florestan se superposant à la Révolution. C’est donc une vraie surprise de voir les protagonistes habillés comme les personnages de Don Carlos. Même si, fidèle à son habitude, Antonio Ferrara ne se prive pas de dénuder plusieurs de ses héros : pour la couverture du volume, Florestan perd même la chemise en lambeaux qu’il porte dans son cachot, l’autre nudité étant celle, moins jeune et plus charnue, de Rocco qui travaille en tablier de cuir à même son torse.


Autre caractéristique qui frappe toujours le lecteur de cette série : les moments les plus passionnants pour le mélomane ne sont pas forcément ceux auxquels sont consacrés un grand nombre d’image. Les dialogues prennent ici beaucoup de place, mais au moins les principaux airs occupent-ils en général une page entière. On regrettera seulement que le chœur des prisonniers soit plus rapidement traité. Pour le reste, c’est dans un décor de film de cape et d’épée – on songe au Robin des Bois d’Errol Flynn – que l’intrigue se déploie, avec beaucoup d’escaliers dans lesquels on discute, la lecture devant parfois se faire du bas de la page vers le haut quand l’image est en contre-plongée. Une fois encore, Antonio Ferrara s’en donne à cœur joie en matière de découpage des cases, qui imitent l’architecture des geôles, ou avec des diagonales qui traversent toute une page, par exemple.

Bien sûr, pour des raisons de rime et de métrique, la traduction de Guy Delvaux ne se réduit pas un simple mot-à-mot, et doit donc parfois s’écarter un tant soit peu du texte de départ, pour que le lecteur ait bien la sensation de lire un « poème », comme on appelait autrefois les livrets. Pour autant, la lecture de ce Fidélio n’en constitue pas moins une excellente préparation à une première représentation, ou un parfait accompagnement à la découverte auditive de l’œuvre.

Fidélio, BD d’Antonio Ferrara et Guy Delvaux, Kifadassé, col. « Si l’opéra m’était dessiné », 23 avril 2024 (60 p.)