DVD – BEETHOVEN : Léonore. Une jument grise plutôt qu’un éléphant blanc !

BEETHOVEN, Léonore (DVD Naxos)

Les artistes

Leonore    Nathalie Paulin
Marzelline    Pascale Beaudin
Florestan    Jean-Michel Richer
Rocco    Stephen Hegedus
Pizarro    Matthew Scollin
Jaquino    Keven Geddes
Don Fernando    Alexandre Sylvestre

Mise en scène : Oriol Tomas
Décors et costumes : Laurence Mongeau

Chœur et orchestre Opera Lafayette, dir. Ryan Brown

Le programme

Léonore

Opéra en trois actes deLudwig van Beethoven, livret de Joseph Sonnleithner d’après Jean-Nicolas Bouilly. Version de 1805.

1 DVD Naxos
Filmé du 2 au 4 mas 2020 au Kaye Playhouse, Hunter College, New York

Longtemps, Fidelio fit figure d’OVNI fulgurant, unique opéra dans l’œuvre de Beethoven, et œuvre fondatrice dans le genre lyrique allemand. Mis sous verre, inclus sous résine et conservé dans du formol, Fidelio fut longtemps interprété avec des tempos pachydermiques qui correspondaient à son statut d’éléphant blanc, et confié à des voix hors normes, de format wagnérien, heldentenor obligé pour Florestan, soprano-mezzo apte à chanter Isolde pour le rôle-titre.

Sauf qu’il y avait aussi Leonore. Le brouillon, l’esquisse préparatoire qu’on voulut reléguer dans l’ombre sinon dans l’oubli total, puisqu’on savait bien qu’il y avait une ouverture « de Leonore III ». Et puis, alors que se raréfiaient les moutons à cinq pattes aptes à wagnériser Fidelio par leur chant, et tandis que les baroqueux exhumaient et redécouvraient tant et plus, on s’est avisé qu’il n’était peut-être pas aberrant de s’intéresser à Leonore. On réévalua le jugement de la postérité (l’œuvre avait été créé devant un parterre clairsemé de militaires français qui n’y avaient rien compris) et d’aucuns n’hésitent même pas à déclarer que Leonore est bien mieux faite pour la scène que son illustre descendant Fidelio, à condition de vraiment beaucoup aimer le singspiel traditionnel.

Il y a peu, René Jacobs proposait une belle intégrale de Leonore. Naxos publie à présent en DVD la première Leonore à regarder, captée à New York où elle était présentée par la troupe Opera Lafayette, à laquelle on doit notamment la première intégrale au disque de Lalla-Roukh de Félicien David. À la mise en scène, Oriol Thomas, qui avait été choisi en 2014 par le CFPL pour monter Les Caprices de Marianne. Dans un décor minimaliste et paradoxalement très ouvert, avec des costumes situant l’intrigue dans un passé imprécis, l’action se déroule tant bien que mal, avec un chœur très dégraissé (à peine huit prisonniers dans la geôle de Rocco). L’attention s’en reporte d’autant mieux sur la musique. Passé une ouverture un peu lourde, la direction de Ryan Brown devient bien plus vitaminée dès le lever du rideau, très loin de toute tradition emphatique.

De manière générale, il faudrait pouvoir oublier Fidelio pour apprécier Leonore, et oublier les illustres interprètes du passé. Malgré un costume peu flatteur, Nathalie Paulin n’en est pas moins une excellente héroïne, qui concilie l’exigence de noblesse à la maîtrise de la virtuosité, Leonore étant ici plus proche de Konstanze de L’Enlèvement au sérail. Par chance, Pascale Beaudin en Marzelline possède un timbre argentin plus riche que le tout-venant des soubrettes. Jean-Michel Richer est un ténor agréable, qui n’a pas à surmonter les obstacles que Beethoven a ensuite semés sur la route de Florestan. Sans être une basse caverneuse, Stephen Hegedus n’en est pas moins un Rocco tout à fait satisfaisant. Dommage que Pizarro devienne ici un personnage comique, car Matthew Scollin avait les moyens d’en tirer davantage.

Bref, rien d’indigne, à condition d’être prêt à découvrir une jolie jument grise plutôt qu’un majestueux éléphant blanc.