CD – Psyché d’Ambroise Thomas ? Un joyau !

Psyché : Hélène Guilmette
Eros : Antoinette Dennefeld
Mercure : Tassis Christoyannis
Dafné : Mercedes Arcuri
Bérénice: Anna Dowsley
Antinoüs: Artavazd Sargsyan
Gorgias : Philippe Estèphe
Le Roi : Christian Helmer
Chœur et Orchestre Philharmonique National Hongrois, dir. György Vashegyi
Psyché
Opéra-comique en trois actes d’Ambroise Thomas, livret de Michel Carré et Jules Barbier, créé à l’Opéra-Comique le 26 janvier 1857.
2 CDs Palazzetto Bru Zane, 2025
Découverte d’une partition attachante dans une interprétation superlative : peut-être l’une des plus belles réussites du Palazzetto Bru Zane !
Pauvre Ambroise Thomas ! Alors que ses compositions attiraient l’hommage d’un Giuseppe Verdi, ses œuvres se sont-elles vraiment remises du jugement, aussi célèbre que vachard, que l’on doit à Emmanuel Chabrier : « Il y a deux espèces de musiques : la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas. »
Que nous reste-t-il de lui parmi ses nombreux opéras ? Hamlet et plus encore Mignon qui, en moins de trente ans, atteignait la millième représentation. Mais oubliés La double échelle qui connut pourtant un succès européen, Le perruquier de la Régence ou Le Caïd, son Songe d’une nuit d’été, son Carnaval de Venise ou Françoise de Rimini.

Né en 1811 dans la génération des Chopin, Liszt, Mendelssohn ou Schumann, Ambroise Thomas traversa le siècle du romantisme avec succès et honneurs. Il fut un pédagogue sévère, voire autoritaire, régnant 25 années sur le Conservatoire de Paris, de 1871 à sa mort en 1896. Il n’eut rien d’un novateur, mais tout d’un conservateur, celui d’une certaine idée de l’opéra français : ses musiques sont légères et harmonieuses, faciles et toujours agréables à entendre. C’est le cas de cette Psyché dont le sujet regarde vers l’Antiquité, comme ce fut si souvent le cas aux XVIIe et XVIIIe siècles. Décalé ? Après tout, il y eut bien Les Troyens que Berlioz composait exactement au même moment et la mode était encore antiquisante. Près d’un siècle après Thomas, Richard Strauss signa son dernier opéra sous les auspices de L’Amour de Danaé.
Pourquoi pas l’Antiquité donc ? D’autant que le livret est signé par des orfèvres du genre, Jules Barbier et Michel Carré, ceux qui deux ans plus tard, offraient au Faust de Gounod un succès qui ne se dément pas depuis. Ce n’est pas le cas de Psyché qui fut créé à l’Opéra Comique en janvier 1857 et remanié pour une reprise en 1878, mais très vite perdu dans les limbes. Cet enregistrement vient réparer cet oubli, après un unique concert donné à Budapest au printemps dernier, où la lumineuse Hélène Guilmette a chanté la tendre Psyché.
Tout en conservant le canevas de l’intrigue originelle, ici, rien à voir avec la tragédie lyrique de Lully de 1671, ni avec le premier semi-opéra anglais signé Matthew Locke en 1675, car le livret a transformé l’action en opéra-comique, ce qui permet de vrais contrastes dramatiques, où la carrure de tous les airs est bâtie de façon à susciter les applaudissements : les spectateurs de la première, en janvier 1857, ne s’y sont pas trompés.
Trois actes, avec dialogues parlés (pas toujours des plus naturels) et une action pour le moins surannée. Pourtant, dès les premières notes, le charme opère. Une douce mélodie s’installe, puis une tempête orchestrale se lève, puis cède la place à un chœur chantant un hymne à Vénus. Mais la foule éblouie se prosterne aux pieds de la belle Psyché qui en appelle à la déesse dans un air aux délicates vocalises. Ses deux sœurs, Dafné et Bérénice, sont jalouses de son succès : « on nous prend, je crois, pour ses servantes. » Ce duo musicalement superbe, tirant vers le comique, met en valeur le superbe timbre cuivré de la mezzo australienne Anna Dowsley en contraste avec la soprano de Mercedes Arcuri aux aigus légèrement acidulés.
Arrivent Eros, fils de Vénus (dans un rôle travesti) accompagné de Mercure qui, dans son air « Des dieux je suis le messager », chante non sans malice, empruntant même une voix de falsettiste, « l’époux de Junon m’a donné des ailes ». Le baryton Tassis Christoyannis y déploie une verve comique et lyrique à la fois, en parfait comédien sachant colorer chaque mot et chaque note.
Vénus, jalouse, l’a dépêché pour punir Psyché de sa trop grande beauté, ce que refuse Eros : « Psyché, c’est pour te voir que je descends des cieux », chante-t-il, avec harpe diaphane et tapis langoureux de cordes, par la voix suave et les vocalises vertigineuses de la mezzo-soprano Antoinette Dennefeld qui est la grande triomphatrice de cet enregistrement, tant son incarnation est parfaite de subtilité vocale et d’intelligence du texte.
Les deux amants de Dafné et Bérénice, Antinoüs et Gorgias – dans les voix très complémentaires du ténor Artavazd Sargsyan et du baryton Philippe Estèphe, tous deux excellents – se retrouvent et avouent leur penchant pour Psyché. S’ensuit un quatuor comique « La voici ! » – qui doit tout à Rossini comme à Offenbach et quelques autres, évoquant même un instant le Benvenuto Cellini de Berlioz. Et voilà les prétendants dépités face au refus de la belle : « Je ne désire ni l’un ni l’autre d’entre vous. »
C’est alors la première rencontre entre Psyché et Eros dans un duo tendu avec vocalises ad-hoc, « D’effroi saisi, mon cœur frissonne », où l’orchestre mugit avant le grand finale dramatique de ce premier acte qui garde l’ombre des opéras de Donizetti, avec chœur et rebondissement inattendu : car Psyché, condamnée par Vénus à être « plongée au sein des flots amers » des enfers, est enlevée à son sinistre destin par Eros qui charge Zéphir de la ravir.
Dans un deuxième acte à la première partie très bucolique, nous sommes transportés dans les jardins du Palais d’Eros. Un autre air d’Eros aux vertigineuses vocalises (fabuleuse Antoinette Dennefeld) charge les nymphes de veiller sur sa bien-aimée. Mercure lui rapporte alors que Vénus s’est radoucie, à une condition : « Psyché ne verra jamais votre visage. » Sinon ? La mort et les enfers.
La belle s’éveille et apprend, par un chœur invisible, qu’elle se trouve dotée d’un époux mais qu’elle ne doit jamais le regarder. Se développe alors un long duo d’amour où la Psyché d’Hélène Guilmette déploie un émerveillement vocal en s’ouvrant à la voix d’Eros déguisé en berger. Mais les deux sœurs jalouses viennent casser l’ambiance dans un trio dont Bizet se souvenait sans doute en composant son Trio des cartes de Carmen. Puis Mercure entonne des couplets du vin « qui change les hommes en dieux », avec un chœur si joyeux qu’il se transforme bientôt en galop effréné alla Offenbach, quand la grande scène célébrant l’hymen d’Eros et de Psyché a des inflexions de Verdi.
Eros se désole du trouble de Psyché et dans un air splendide, il succombe au sommeil, non sans quelques délicates vocalises où excelle à nouveau Antoinette Dennefeld. Psyché a été plus que troublée par les insinuations de ses sœurs : si son sauveur et mari était un monstre ? Mais ne pouvant réussir à voir le visage de son époux à la lueur des étoiles, elle s’empare de la lampe que Mercure lui tend très à-propos. Et la tragédie se réalise : le palais se change « en un désert affreux ». Le grand air de Psyché, avec harpe et flûte, a beau chanter « l’extase divine », c’est la fin d’un doux rêve enchanté – et de l’acte II – avec la voix si poétique, aérienne et cristalline d’Hélène Guilmette.
Le climat du dernier acte est tout autre, débutant par une bacchanale débridée au cours de laquelle Mercure vante à nouveau Bacchus. Pour entrainer Psyché dans sa chute finale, il suffit qu’Eros lui donne un baiser. Mais le comique s’installe avec les prétendants Antinoüs et Gorgias buvant l’eau du Léthé ; ils oublient tout, jusqu’à leur nom, alors que les deux sœurs Dafné et Bérénice avalent un élixir de vieillissement… Et tout bascule en version « Psyché aux enfers » lorsque la belle veut mourir, certaine que son amant ne l’aime plus. Eros, lui prouvant le contraire, l’embrasse d’un baiser fatal : désormais « le Styx est ton époux, l’Achéron te réclame » chante le chœur infernal.
Pourtant, Eros retrouve son statut divin, arrache Psyché des enfers et l’emporte au ciel dans l’éternité des dieux de l’Olympe dans un final majestueux, voire pompeux, digne du grand opéra à la française.
On l’aura compris, c’est bien plus par sa musique et son interprétation que s’impose cet opéra au livret bien ficelé mais très improbable. Il s’agit donc d’une vraie découverte dans la présentation luxueuse qui est la marque de fabrique de la collection. D’excellents solistes, un Chœur National Hongrois superbe, homogène, très bien préparé, ce qui permet une réelle clarté de prononciation, un Orchestre Philharmonique National Hongrois en état de grâce (clarinette, flûte et hautbois rêveurs, cordes soyeuses…), une direction engagée et inspirée sous la baguette de György Vashegyi, désormais rompu à ce répertoire : tout contribue à faire de ce Psyché l’un des plus beaux joyaux de l’incroyable aventure lyrique du Palazzetto Bru Zane. À quand le prochain ?