CD – The World Feels Dusty, récital de Sarah Connolly – Le cercle des poètes reparus

Les artistes

Sarah Connolly, mezzo-soprano

Joseph Middleton, piano

Le programme

The World Feels Dusty

Mélodies de Barber, Chausson, Copland, Debussy, Wallen.

1 CD Chandos, 12 septembre 2025 (enregistré en septembre 2024).

Sans Ernest Chausson, qui connaîtrait encore Maurice Bouchor ? D’ailleurs, qui connaît vraiment ce poète et dramaturge parisien (1855-1929), dont Sartre enfant lut les Contes folkloriques ? Grâce à Chausson, qui fut inspiré par plusieurs de ses textes et composa des musiques de scène destinée à ses pièces pour marionnettes, les mélomanes entendent régulièrement la poésie de Maurice Bouchor.
De même, sans Debussy (qui conçut aussi, à vingt ans, deux mélodies sur des textes de Bouchor), qui saurait encore que Pierre Louÿs, non content d’être un romancier qui échappe à un oubli total grâce à La Femme et le pantin, fut aussi un poète ? Sans les Chansons de Bilitis, qui s’intéresserait encore à son antiquité érotique et décadente ?

La situation est différente dans le monde anglo-saxon : plusieurs compositeurs, dont Samuel Barber, ont été sensibles à l’invitation lancée par James Joyce lorsqu’il donna Chamber Music pour titre à son recueil de poèmes ; depuis Aaron Copland et jusqu’à John Adams, les textes d’Emily Dickinson continuent de susciter des partitions.
Grâce à la musique, les illustres et les oubliés se rejoignent à travers les siècles, dès lors qu’ils trouvent des interprètes aptes à donner vie à leurs vers. Sans oublier Haendel, qu’elle continue à servir après avoir été un Jules César mémorable, Sarah Connolly se consacre de plus en plus à la musique du xxe siècle et d’aujourd’hui. Son dernier disque le reflète, puisque le répertoire couvre une période allant de 1890 à 2023.
Ces mélodies plus ou moins familières (gageons que, pour plus d’un mélomane français, les Barber et Copland seront des découvertes), la mezzo irlandaise britannique les aborde dans une approche qu’on pourra d’abord trouver très opératique. Mais après tout, ce choix convient bien au Poème de l’amour et de la mer, avec son ampleur wagnérienne – bravo à Joseph Middleton, qui accompagne la chanteuse dans la version pour piano, celle que Chausson lui-même joua deux mois avant la création de la partition pour voix et orchestre. Evidemment, le passage du temps n’a pas totalement épargné la voix de Sarah Connolly, dont le vibrato peut se faire assez prononcé dans la nuance forte.
On admire néanmoins l’art de la diseuse, qui s’exprime dans un français pratiquement irréprochable, et qui sait donner vie à ces textes poétiques. Et comme devrait le faire tout grand artiste, Dame Sarah se consacre aussi à la création de notre temps, le disque s’achevant sur le cycle Night Thoughts, commandé à son intention à la compositrice Errolyn Wallen, née en 1958 au Belize : sur une musique d’une modernité très raisonnable, qui lorgne parfois vers le jazz, la mezzo y retrouve Emily Dickinson, que rejoint Shakespeare (un fragment de Macbeth) et deux poèmes écrits par Errolyn Wallen elle-même, qu’elle interprète avec le même engagement que les œuvres de ses glorieux aînés.