CD – Jamais deux sans trois Belles Meunières !

Les artistes

  1. Samuel Hasselhorn, baryton
    Ammiel Bushakevitz, piano
  2. Daniel Johannsen, ténor
    Christoph Hammer, piano – Quatuor Alinde (Version quatuor à cordes signée Tom Randle)

  3. Klaus Florian Vogt, ténor
    Ensemble Acht  (Arrangement pour ensemble de chambre signé      Andreas N. Tarkmann)

Le programme

Die schöne Mullerin (La Belle Meunière)

Cycle de lieder de Franz Schubert, composés en 1823 sur des poèmes de Heinrich Müller

  1. 1 CD Alpha, 2023
  2.  2 CD Hännsler Classic
  3.  1 CD CPO, 2023

 

Peut-on rêver plus différent ? Une version « classique » avec baryton ; une version ténor aux deux facettes : avec piano et avec un quatuor à cordes ; et une autre version ténor avec un ensemble instrumental. Tout cela à l’occasion du deux-centième anniversaire de cette Belle Meunière que Schubert publia en août 1824 à Vienne.

Schubert composa le cycle en 1823 sur des textes de Wilhelm Müller, également l’auteur des textes du Winterreise, son cycle suivant.  C’est l’histoire d’un amour déçu, celui d’un jeune voyageur, qui arrive chez un meunier et tombe amoureux de sa fille. Mais la belle préfère les avances d’un chasseur. Alors, le Wanderer se noie dans le désespoir.

Il y a une vraie recherche dans l’interprétation originale, habitée, de Samuel Hasselhorn et de son complice le pianiste Ammiel Bushakevitz. Le timbre, la voix sombre et ductile du baryton séduit, beaucoup. Avec de très beaux moments. Ainsi, de Morgengruss à Tränenregen s’installe une ineffable douceur. Mais pourquoi ensuite une telle variation de tempo, surjouée, dans Mein !, comme c’était le cas dès le Das Wandern en ouverture[1] ? Pour le plaisir de l’effet ? Pour accentuer ce que chante le texte lui-même ? 

Puis Wohin ? est pris à un rythme d’enfer pour ensuite se calmer et à nouveau jouer sur les variations d’allure – qui sont une des marques de cet enregistrement. Car le pianiste ne cesse de jouer sur les effets (Halt ! martelé[2] et enchainé au quatrième lied jouant sur les rallentendos). Cela donne parfois le mal de mer et c’est dommage car l’interprétation musicale de Samuel Hasselhorn est magnifique, impressionnant d’autorité et de contrastes dans Am Feierabend. Et le souffle poétique passe souvent : avec Die liebe Farbe[3]ou l’admirable Trockne Blumen qui nous mène aux portes du silence et d’un désespoir qu’entretien Der Müller an der Bach. Et le cycle se referme avec la désolation lancinante de Des Baches Wiegendlied. L’émotion a gagné sur l’effet.

Les deux autres enregistrements sont proposés par des ténors. Ce n’est pas une nouveauté en soi, puisque de Fritz Wunderlisch à Jonas Kaufmann, d‘Eric Tapy Werner Güra, il n’est pas inhabituel d’entendre ce cycle dans des voix moins graves. L’originalité vient des choix d’accompagnement.

Le cas de Daniel Johannsen est passionnant par les deux versions dont il nous gratifie.
C’est tout d’abord la partition originale avec un piano viennois d’époque, un Conrad Graf de 1827, dont les couleurs subtiles sont mises en valeur par le jeu délicat de Christoph Hammer. La voix du ténor est claire, légère, mais son interprétation engagée. Ductilité de la ligne de chant, sans effet autre que ceux souhaités par Schubert (Ungeduld), précision et fluidité du texte (Der Jäger et tant d’autres) : ces petites miniatures dessinent un beau livre d’images musicales contrastées, baignées de pure poésie.

Dans le second disque, Daniel Johannsen est accompagné par le Quatuor Alinde, avec des tempos différents, dûs à l’arrangement de Tom Randle. L’ensemble est légèrement plus lent : 4 minutes de plus sur l’ensemble du cycle, ce qui nuit dans l’ensemble à la fluidité du chant : Am Feierabend, malgré de belles couleurs, parfois proche du son de la vièle, devient poussif et non plus inquiet.

Mais surtout, le paysage sonore dessiné est tout autre. Les sonorités des cordes renforcent le côté sombre du cycle et le rende aussi plus monotone. Si le ténor garde la même ligne de chant, celle-ci parait plus dramatique, moins dépouillée et parfois moins à l’aise (Halt !). Seul Der Jäger garde la même force grâce à un sprechgesang encore plus halluciné que dans la version avec pianoforte.

Pourtant, le résultat global n’est pas convainquant, trop en demi-teinte, amenant même une monotonie proche de l’ennui. Est-ce lié à la prise de son ou à l’interprétation du Quatuor Alinde, trop timide ? Davantage, semble-t-il, aux choix trop monochromes de Tom Randle – mais surement pas aux qualités de Daniel Johannsen.

La vraie surprise de la troisième version, enregistrement réalisé au sortir de la crise du Covid en juin 2020, ne vient pas tant de l’arrangement très original signé Andreas N. Tarkmann, mais plutôt du ténor Klaus Florian Vogt, à la voix quasi blanche, désagréable, désinvestie. Quelle déception, car il s’agit là d’un des plus grands ténors wagnériens actuels, dont les interprétations divisent profondément.

Ce n’est pas cet enregistrement qui va rehausser son étoile. Un chant recto-tono, sans couleur et sans affect… Cela rend l’écoute très pénible. Klaus Florian Vogt semble réciter plus qu’incarner : quel ennui…

Et quel dommage, car l’instrumentation choisie est particulièrement pertinente et fait de cette Belle Meunière un pur moment viennois réinventé.     Ce qui frappe d’emblée, c’est que cette transcription ancre profondément le recueil dans le terroir autrichien. Une atmosphère particulière s’installe immédiatement, à la fois fidèle à l’esprit de Schubert et nous plongeant dans les sonorités de petits orchestres de Winstub, l’atmosphère des Heuriger, ces bars à vins si particuliers que l’on trouve à Grinzing, là où Schubert aimait tant s’échapper en compagnie de ses camarades.

Quelques musiciens s’assemblent. Ils sont huit au sein de l’ Ensemble Acht. Deux violons, un alto, un violoncelle et une contrebasse sont bien plus qu’un appoint. Mais si hautbois et basson ne sont qu’un appui, les deux instruments chéris de Schubert se taillent la part du lion. Ainsi, la clarinette est omniprésente et colore sans cesse la partition.  Sa vélocité nous ravit dans Am Feierabend et elle nous fait rêver dans Tränenregen, Morgengruss ou Trockne Blumen. Le cor est également très présent. Écoutez Ungeduld ou Mein ! : il fait revivre avec bonheur les paysages intérieurs imaginés dans tant d’autres partitions schubertiennes.

Alors ? On se plait à rêver de l’interprétation de Daniel Johannsen accompagné par l’ Ensemble Acht

https://www.youtube.com/watch?v=zX1lXkwqlb8

Die schöne Müllerin, Op. 25, D. 795: No. 20, Des Baches Wiegenlied. Daniel Johannsen (ténor), Christoph Hammer (piano)

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[1] La vidéo en est disponible ici.

[2] La vidéo en est disponible ici.

[3] La vidéo en est disponible ici.