CD – Lully, ad majorem dei gloriam

Les artistes

Les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
Les Épopées, dir. Stéphane Fuget

 

Le programme

Jean-Baptiste Lully
Te deum et Exaudiat te Dominus

1CD, Château de Versailles spectacles.

Le Te deum de Lully n’est pas une œuvre comme les autres. Son histoire n’est d’ailleurs pas banale.

6 septembre 1677 : c’est à Fontainebleau, lors du baptême de Louis, le fils aîné de Lully, que fut joué le brillant Te Deum de Lully, en présence du parrain et de la marraine, c’est à dire du Roi et de la Reine en personne.

8 janvier 1687 : une décennie plus tard, l’étoile de l’ami Lully a pâli auprès du souverain. Pour regagner du crédit, Baptiste voit grand avec la reprise de l’œuvre dans l’église des Feuillants. Le décorum est impressionnant et l’occasion festive : il s’agit de fêter le rétablissement du Roi après une délicate opération. Mais c’est à ce concert qu’intervint le geste fatal puisque Lully, « dans la chaleur de l’action[1] », se blessa fortement le pied avec cette lourde canne qui lui servait de bâton pour diriger. On en connaît les terribles suites : la gangrène et le décès du musicien quelques semaines plus tard, le 22 mars.

Avec ce dernier volume d’enregistrements consacrés aux grands motets lullystes, c’est un quatrième coup de maître que réalise Stéphane Fuget dans un parcours qui fera date, tant par sa réalisation somptueuse que par un engagement de tous les instants. Une fois de plus, chanteurs et instrumentistes des Épopées se révèlent superlatifs, en totale osmose avec les exigences de leur chef.

Car en réunissant pour l’occasion une centaine de musiciens, Stéphane Fuget ne laisse rien au hasard. Ni les splendeurs instrumentales, ni la poésie prenante (écoutez le Tu ad liberandum de Cyril Auvity, d’une intériorité à faire pleurer les pierres), ni la diction parfaite, habitée des solistes et des chœurs, ni la subtilité de la gradation sonore. Il y a du théâtre dans ce Te Deum, bien au-delà de toute anecdote.

Précédée par un impressionnant roulement de timbales (somptueusement interprété par l’indispensable Marie-Ange Petit) et des appels de trompettes (quels souffleurs !), l’entrée nous plonge dans un tout autre univers que celui convoqué par Hervé Niquet en 1993 (Fnac Musique) ou par Leonardo García Alarcón en 2019 (Alpha), plus vifs et joyeux. Ici, la majesté l’emporte et nous fait savourer tous les délices colorés des instruments qui se répondent, des vingt-quatre violons aux bassons et hautbois, timbales et trompettes.

D’emblée nous voici dans la forêt d’un orchestre très fourni, avec une petite cinquantaine d’instrumentistes, ce qui donne une chaire très dense à la polyphonie, de superbes moments individualisés, de formidables contrastes. Les vingt-quatre violons du roi rivalisent de subtilité, tout comme chacun des solistes ; il faudrait les nommer tous, mais ce qui ressort de l’interprétation de Stéphane Fuget, c’est une vision d’ensemble, où chacun se fond dans une partition grandiose, ensemble d’un tout, ad majorem dei gloriam.

Aux fastes royaux de ces premiers numéros, où le chœur est omniprésent, succèdent de délicats mélismes des instruments, comme dans l’ouverture du Te ergo – grand moment de douceur poétique, ensuite déployé par les voix. Le texte est tour à tour susurré, déclamé avec force (Salvum fac populum), ou comme jeté à la face du public (Judex crederis). Et le contraste entre les voix solistes et le chœur, impressionnant de force, nous cloue littéralement sur notre fauteuil. Voilà un classicisme musical versaillais qui nous plonge « en même temps » dans le théâtre des passions baroques.

A-t-on jamais entendu une telle richesse, une telle profusion de tous les instants, habitant chaque note de chacun des musiciens ? La précision et la cohésion, l’autorité et la ductilité des chœurs admirables des Pages et Chantres du CMBV, préparés par Clément Buonomo, font merveille. Le Per singulos dies en est une des pépites, en contraste avec le Dignare domine porté par Luc Bertin Hugault et la déploration du Miserere qui suit, soutenu par une si délicate basse de viole et un chœur devenu complice de la prière. Avant une fin en tutti exultant sur le In te domine speravi.

Après de tels moments, il serait totalement faux de penser que la deuxième partie du programme ne soit qu’un complément. Écouter le début de cet Exaudiat te Dominus le révèle d’emblée par sa scansion, son rythme joyeux, ses chœurs enflammés. Mais quel contraste avec le texte chanté ! « Que le seigneur vous exauce au jour de l’affliction… que votre holocauste lui soit agréable ! » L’affliction musicale vient ensuite, passagère, avant la ferveur chorale chantant le salut est dans sa dextre toute puissante. L’animation du Hi in curribus évoquerait plutôt la furie des songes funestes d’Atys alors que la tonalité du Domine, salvum fac regem (Seigneur, sauve le roi) est emprunte d’une piété sincère et brûlante. Et le Gloria patri et filio referme, triomphant, avec trompettes et timbales, un autre grand moment de cet enregistrement où triomphe l’impressionnant les chœurs, dont celui mené de main de maître par Lucille de Trémoilles.

C’est donc de façon rayonnante que se referme ce cycle des grands motets lullystes (voir ici et ici nos comptes rendus) portés par la vision et le souffle de Stéphane Fuget, en nous laissant de multiples pépites. Et maintenant ?

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[1] D’après le témoignage de Le Cerf de La Viéville cité dans l’excellent livret du disque, signé Thomas Leconte.