CD Contes mystiques – Fructueuses contraintes

Les artistes

Enguerrand de Hys, ténor
Paul Beynet, piano

 

Le programme

Contes Mystiques
Mélodies de Stephan Bordèse (1847-1919)

Mel Bonis, Allons prier
Jules Massenet, Souvenez-vous, Vierge Marie !
Guy Ropartz, Vierge Sainte

Augusta Holmès, Ce que l’on entendit dans la nuit de Noël – Prélude
Edmond Diet, Les premiers pas de Jésus
Théodore Dubois, Pourquoi les oiseaux chantent
Gabriel Fauré, En Prière
Charles Lecocq, Berceuse des Anges
Charles Lenepveu, Les Fils de la Vierge
Henri Maréchal, La Rosée
Jules Massenet, La Neige
Emile Paladilhe, Premier Miracle de Jésus
Camille Saint-Saëns, Présage de la Croix
Pauline Viardot, Le Rêve de Jésus
Charles-Marie Widor, Non Credo

Pauline Viardot, Divin sommeil !
Maria Malibran, Prière à la Madonne
Reynaldo Hahn, Cantique (sur le bonheur des justes et le malheur des réprouvés)
Francis Poulenc, Priez pour paix

Créé en 2006, le festival de musique sacrée de Rocamadour s’est doté en 2020 de son propre label. Comme on peut s’y attendre, les compositions pour orgue ou pour chœur dominent les six premiers disques publiés dans ce cadre. Mais pour le septième volume, sorti en février de cette année, le directeur du festival, l’organiste Emmeran Rollin, a voulu innover. Il a demandé au ténor Enguerrand de Hys et au pianiste Paul Beynet de concevoir un récital de mélodies françaises d’inspiration religieuse, mais qui ne soient pas la simple mise en musique de prières préexistantes. Grâce à cette contrainte, les deux artistes se sont mis en quête d’œuvres entrant dans les limites ainsi définies, et c’est par hasard – ou plus précisément, sur la suggestion de Jacques-François Loiseleur des Longchamps – que leur choix s’est finalement porté sur un recueil intitulé Contes mystiques, qui n’avait encore jamais fait l’objet d’un enregistrement.

Un recueil, oui, mais pas n’importe lequel. Un volume réunissant onze mélodies plus un prélude pour piano, qui ont pour particularité d’avoir en commun l’auteur des poèmes et non celui des partitions. On connaît le principe grâce aux albums conçus au XXe siècle par des compositeurs proches, mais il semble – « semble », car l’information manque, et les chercheurs seraient bien inspirés de se pencher sur la question – que le poète Stéphan Bordese (1847-1919), travaillant pour les éditions Durand, n’ait pas eu grand mal à contacter les compositeurs maison pour qu’ils déposent de la musique sur ses vers. Contes mystiques se présente donc comme une sorte de capsule temporelle qui réunit douze compositeurs de notoriété variable, et aux styles bien différents, mais qui reflètent l’état de la création musicale en France à la toute fin du XIXe siècle. On sait que l’œuvre fut donnée en décembre 1896 au théâtre de la Bodinière, par Blanche Marchesi, fille de Mathilde dont de très grandes chanteuses suivirent les cours.

Même si l’on est loin de la parité, les compositrices avaient leur place en 1896 aux côtés de leurs homologues masculins, puisqu’elles sont deux dans ce recueil : Augusta Holmès pour le prélude instrumental, et Pauline Viardot, la doyenne du groupe car les autres sont nés dans les années 1830-40, pour un très théâtral « Rêve de Jésus ». Quant aux dix messieurs, on trouve parmi eux de parfaits inconnus, comme Edmond Diet ou Henri Maréchal, aussi bien que des stars telles que Massenet ou Fauré (« En prière », de ce dernier, est la seule page vraiment passée à la postérité au sein du recueil), sans oublier Charles Lecocq, auteur d’opérettes assez inattendu dans cet aréopage. Evidemment, les esthétiques sont très variées, du néo-médiéval au wagnérisme tempéré.

Pour interpréter ces mélodies, il fallait un interprète capable de transcender le style parfois un peu sulpicien des textes. Face à cette contrainte, Enguerrand de Hys chante chaque page avec une sincérité et une ferveur qui emportent l’adhésion, les distillant par une diction exemplaire, avec notamment une superbe maîtrise du e muet et un art admirable de la demi-teinte, parfaitement soutenu par le pianiste Paul Beynet. Et le chanteur sait trouver les ressources expressives pour traduire les mélodies les plus exigeantes, comme « Passage de la Croix », de Saint-Saëns, où passe l’ombre de Samson et Dalila.

Pour compléter ce plat de résistance, d’autres mélodies à caractère sacré ont été ajoutées en tête et en fin de disque, qui élargissent un peu la fourchette chronologique, puisque l’on va de Maria Malibran (née en 1808) à Francis Poulenc (né en 1899). C’est aussi l’occasion de renforcer la présence féminine, avec une très belle page de Mel Bonis, « Allons prier », et une deuxième mélodie de Pauline Viardot. Et on remarque le pastiche louis-quatorzien auquel se livre Reynaldo Hahn dans son « Cantique », pastiche sans doute inspiré par le texte de Racine.