Reflets et éclats de la mélodie avec Sandrine Piau et l’Orchestre Victor Hugo

Les artistes

Sandrine Piau, soprano
Orchestre Victor Hugo, dir. Jean-François Verdier

 

Le programme

Mélodies pour soprano et orchestre d’Hector Berlioz (Le Spectre de la rose), Henri Duparc (Chanson triste ; Invitation au voyage), Charles Koechlin (Pleine eau ; Au temps des fées, Epiphanie), Maurice Ravel (3 Poèmes de Stéphane Mallarmé), Benjamin Britten (Quatre chansons françaises).
Claude Debussy, « Clair de lune » de la Suite Bergamasque L. 75 ; 6e Epigraphe antique L. 131 pour orchestre

Reflet, 1 CD, label Alpha-Classics, sortie le 12 janvier 2024.

Après la réussite célébrée de leur album de Lieder Clair-Obscur,  Sandrine Piau et l’Orchestre Victor Hugo poursuivent leur démarche complice avec Reflet. De Berlioz à Koechlin, la mélodie française avec orchestre y réserve quelques raretés (4 Chansons françaises de Britten) en sus de titres connus. La soprano et les musiciens les investissent avec d’infinis miroitements.

La sélection poético-musicale

Côté poésie, la sélection de l’album couvre la poésie romantique, symbolique et parnassienne dans sa prédilection pour des bulles rêveuses, songeuses, ambivalentes, qui tissent une temporalité hors du réel. L’auditeur y perçoit des reflets luminescents (Au temps des fées), transparents (Le Spectre de la rose), mais aussi des miroitements (Pleine eau) et de furtifs éclats. Kaléidoscopiques, ceux-ci touchent aux couleurs et sonorités, tout en effleurant nos sens et émotions d’auditeur. Les éclats de l’amour et ses épiphanies (Leconte de Lisle) côtoient ceux de la mort (Gautier, Haraucourt) dans une sorte de cycle saisonnier façonné par la Belle Epoque. Aux lumières des Nuits de juin succède « l’automne jonché de taches de rousseur ». Et l’orchestration se plaît à suggérer l’immersion du sujet dans « le rayon de l’aube sur la neige (Leconte de Lisle) ou le troublant clair de lune (H. Cazalis) ; ailleurs elle anticipe sur l’engloutissement (« Descendre »), capte la diffraction des « soleils mouillés » de L’invitation au voyage.

Côté musique, la sélection de mélodies avec orchestre consacre seulement deux cycles : les Trois poèmes de Mallarmé de Ravel et Quatre chansons françaises de Britten (1928), composées à l’âge de 14 ans (quelle précocité !) Du milieu du 19e siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres, elle propose un cheminement chez les compositeurs sensibilisés aux correspondances baudelairiennes, et par-là, orchestrateurs de génie. D’aucuns par leurs Traités – celui de Berlioz en 1844, celui de Koechlin en 1941 -, d’autres par leur expérience inventive – Duparc, Ravel, Britten. Dans ce corpus sélectionné, sons et couleurs sont absorbés et réverbérés.

Faire miroiter chaque reflet

Aux confins de l’évanescence, la voix au timbre si identifiable de Sandrine Piau se faufile dans ce parcours subtil avec une aisance radieuse et intime. Grâce à la synesthésie de l’artiste – sa perception simultanée des sons et couleurs – chaque reflet poétique caresse l’auditeur. « Je me noierai dans ta clarté » susurre la Chanson triste (Duparc). Touchée par la reine Mab dans Au temps des fées, elle devient fleur par une métamorphose tant vocale qu’instrumentale. Dans L’Enfance, saynète tragique de Hugo/ Britten conduite par une comptine à la flûte, la soprano se dédouble en enfant et mère. Notre coup de cœur pour Epiphanie de Charles Koechlin est-il à justifier ? Il semble que l’intensité vocale plane sur l’étirement de l’orchestre (depuis la pédale introductive) qui prolonge « les belles nuits du Pôle » au fil d’interludes.

La capacité de l’artiste à moduler les émotions est celle d’une musicienne chambriste (harpiste de formation) sachant s’intégrer au tissu orchestral tout en conduisant sa ligne de chant (en chanteuse lyrique).  En nous référant au coussin moelleux des violons avec sourdine (Le Spectre de la rose), pouvons-nous affirmer que les consignes berlioziennes s’appliquent aussi à son nuancier vocal : « les sourdines aux premiers violons coloreront l’instrumentation par le mélange des sons clairs et des sons voilés ». Si la prosodie n’est pas toujours au niveau des grands mélodistes (Véronique Gens ou encore Stéphane Degout dans le même cycle ravélien, CD Les Siècles, label H. Mundi 2022 ), ses qualités ne sont pas moins précieuses.

La subtile direction de Jean-François Verdier parachève la qualité de l’album par l’esthétique chambriste de l’Orchestre Victor Hugo dont il est le directeur musical. Tous les instrumentistes font respirer leurs soli comme autant de halos nuancés dans lesquels se love la voix. Signalons non seulement le fréquent emploi de la harpe (Chanson triste de Duparc), le duo de flûtes faunesques dans le prélude ravélien (Surgi de la croupe), mais également l’utilisation du piano dans l’orchestre, que Koechlin a théorisé dans son Traité.  Quant aux deux « entractes » instrumentaux de Debussy, nous apprécions d’avantage celui orchestré par Ansermet (6e Epigraphe antique), mais aurions préféré le Fauré de Pelléas et Mélisande pour la parenté stylistique…

Tout ouïe avec l’album Reflet (Alpha-Classics), l’auditeur devient lui-même poésie dans un transfert inspirant d’hyperacuité. Aussi, est-on impatient de connaître la date d’un éventuel concert de lancement de l’album ….

Pour aller plus loin …