CD – Marie-Nicole Lemieux en romantique

Les artistes

Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano

Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, dir.  Kazuki Yamada

Le programme

Les nuits d’été de Berlioz – Mélodies persanes de Saint-Saens – Shéhérazade de Ravel

1 CD Erato / Palazzetto Bru Zane (70’54 ), enregistré en mai 2021 et juillet 2022

On aime la voix de Marie-Nicole Lemieux, sa jovialité, sa présence sur scène, ses interprétations et jusqu’à ses pas de côté dans le domaine baroque[1]. Il y a chez elle une gourmandise des mots et de la langue (« dis-moi de ta voix si douce : toujours… »), un vrai plaisir du texte. Et quelle diction ! Alors, l’annonce de ce programme est alléchante. Que devenaient ces Nuits d’été une vingtaine d’années après son enregistrement de 2001, alors accompagné au piano ?

D’emblée, dès cette Villanelle un doute vient : la voix n’est-elle pas trop ample ? En fait, cet enregistrement n’arrive-t-il pas un peu tard pour Marie-Nicole Lemieux ? Pourtant, quelle science du chant, du souffle, du poème.

Il y a une douceur mordorée dans Le spectre de la rose. Mais avec un forte trop démonstratif et un orchestre manquant de poésie. Sur les lagunes, le vibrato est bien large, dans un tempo trop étale, malgré une vocalise de fin comme hors du monde. L’absence aussi vibre beaucoup, Au cimetière manque parfois de mystère. Est-ce dû au choix du tempo du chef Kazuki Yamada, qui peine à nous emporter sur les ailes de la musique ? Car l’orchestre manque vraiment de couleurs, de frémissement, d’ardeur. L’île inconnue est un exemple frappant de prosaïsme…

De fait, voilà une version inégale et décevante de ce cycle berliozien célèbre. C’est ensuite que la magie opère pour Lemieux, avec ces trop rares et splendides Mélodies persanes, de Saint-Saens. On y trouvera les mêmes qualités et les mêmes problèmes dans la voix de la cantatrice québécoise. Mais avec plus d’alanguissement, d’appropriation de textes que l’on doit au poète parnassien Armand Renaud, venus de son recueil Nuits persanes, publié en avril 1870. Il y raconte le cheminement d’un homme qui se livre au rêve, à l’imagination puis à l’amour d’une femme. Mais la mort de cette dernière le laisse dévasté. Il part alors faire la guerre avant de sombrer dans l’alcool puis l’opium, et de mourir à son tour.

Saint-Saens choisit six poèmes et composa ces mélodies à l’automne 1870, au moment du siège de Paris. Ami de Renaud, il est alors aussi très proche du peintre Henri Regnault qui avait une superbe voix de ténor et créa deux mélodies, avant de mourir le 21 janvier 1871, lors de la bataille de Buzenval. Ainsi, Sabre en main, qu’il créa, lui est dédié.

Ernest Meissonnier, Le Siège de Paris (1884 – Musée d’Orsay). Au second plan, adossé au socle blanc, Henri Regnault mourant.

La voix de contralto de Marie-Nicole Lemieux se glisse parfaitement dans ces œuvres. C’est sur des rythmes mauresques que La brise s’élève alors que La splendeur vide comporte des moments diaphanes de pure poésie. Le rythme allant et sensuel de La solitaire contraste avec un martial Sabre en main. Au cimetière, d’un calme et sinistre balancement hypnotique, fait dialoguer la voix avec le violoncelle. Une hypnose différente termine le cycle avec un Tournoiement mystique.

C’est donc logiquement que les sonorités d’Asie venues de la Shéhérazade plus tardive de Ravel (1904) s’enchaînent, mystérieusement. Avec une douceur et des sons que l’Orchestre de Monte Carlo distillent ici savamment : « il me semble que chaque note s’envole (…) comme un mystérieux baiser » comme il est chanté dans La flûte enchantée. Là, comme dans L’indifférent,  Marie-Nicole Lemieux nous emporte dans un rêve éveillé.

On l’aura compris, plus que pour Berlioz, c’est bien pour les deux autres compositeurs que ce disque rayonne d’une vocalité capiteuse.

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[1] A propos de son récital « Enchanteresses » de janvier dernier.