CD – Scylla et Glaucus, un disque Glossa – Sans écueils ni naufrage

Les artistes

Circé : Véronique Gens
Scylla : Judith Van Wanroij
Glaucus : Cyrille Dubois
Le Chef des Peuples, Hécate : David Witczak
Vénus, Dorine : Hasnaa Bennani
L’Amour, Trémire : Jehanne Amzal
Deux Propétides : Jószef Gál, Márton Kámaroni

Orchestre Orfeo et le chœur Purcell, dir.  György Vashegyi

Le programme

Scylla et Glaucus

Tragédie en un prologue et cinq actes de Jean-Marie Leclair, livret d’Albaret, créée à Paris en 1746.

2 CD Glossa. Enregistré à Budapest en mars 2022

C’est à peine croyable, mais Scylla et Glaucus, l’unique opéra du violoniste Jean-Marie Leclair, bénéficie à présent de quatre intégrales concurrentes. La première, déjà « historiquement informée » mais qui fait presque figure d’enregistrement historique, remonte à 1986 : après assuré la résurrection moderne de la partition, en concert à Londres en 1979, John Eliot Gardiner la présentait en version scénique à l’Opéra de Lyon, en février 1986, et la gravait dans la foulée, à la tête des English Baroque Soloists et du Monteverdi Choir, avec des solistes « d’un autre temps » : Howard Crook, qui serait l’un des interprètes du rôle-titre lors des représentations d’Atys dirigé par William Christie, et Rachel Yakar, pionnière du baroque avec Harnoncourt notamment, qui nous a quittés en juin dernier.

Après cela, l’œuvre retomba dans un long sommeil, au disque du moins. Pour un deuxième enregistrement de Scylla et Glaucus, il faudrait attendre 2014, quand Sébastien d’Hérin en fit paraître sa version chez Alpha, dans la collection « Château de Versailles ». Ayant créé son propre label, Laurent Brunner en voulut une autre intégrale pour Château de Versailles Spectacles, parue en 2022. Et voilà qu’à peine un an après, un nouveau Scylla et Glaucus est publié chez Glossa, dans le cadre d’une éblouissante série de disques enregistrés dans le cadre du partenariat conclu par le Centre de musique baroque de Versailles avec György Vashegyi, l’orchestre Orfeo et le chœur Purcell. Précisons que le chef hongrois avait déjà abordé l’œuvre à Budapest en 2013, avec sa compatriote Emöke Baráth. Mais il a remis son ouvrage sur le métier avec cette fois les solistes choisis par le CMBV, autrement dit, pour les trois personnages principaux, des habitués de ces productions.

En 1746, la tragédie lyrique était déjà un peu passée de mode et le public préférait les pastorales. De fait, l’intrigue de Scylla et Glaucus est assez mince : Scylla méprise l’amour mais succombe vite aux avances de Glaucus, et tout irait bien sans la jalousie de Circé. Conçus pour Marie Fel et Jélyotte, les deux rôles-titres privilégient le registre galant. Miracle : à partir de ce livret à peu près aussi consistant qu’une bulle de savon, Leclair a su écrire une musique, que beaucoup n’hésitent à même sur le même plan que celle de Rameau. Le rôle le plus intéressant est celui de la magicienne, personnage tourmenté, qui tourmente donc les deux amoureux. Désormais familière des « rôles à baguette », Véronique Gens y impose sans peine son autorité et ses accents dramatiques. A ses côtés, Judith Van Wanroij est une Scylla pleine de charme, à la diction ciselée, tandis que Cyrille Dubois prête son ardeur habituelle à Glaucus. Autour de ce trio, trois artistes se partagent dans les différents personnages épisodiques : David Witczak pour les rôles de basse, Hasnaa Bennani en Vénus majestueuse, et Jehanne Amzal, dont le timbre cristallin séduit à chacune de ses interventions.

Le chœur Purcell a désormais une totale maîtrise de notre langue et du style français, comme on peut le constater une fois de plus. L’orchestre Orfeo sonne lui aussi de manière assez idéale dans ce répertoire, et profite de tous les divertissements pour montrer de quoi il est capable, sous la baguette toujours pleine de mesure de György Vashegyi, qui refuse toute esbroufe pour proposer une lecture équilibrée et élégante. Il est décidément bien dommage que ce partenariat entre Versailles et Budapest touche à sa fin, mais il aura laissé bien des traces mémorables.