Shiruku : sur la route de la soie

Les artistes

Direction musicale : Emmanuel Bardon
Shakuhachi : Akihito Obama
Tsugaru-Shamisen : Yutaka Oyama
Koto : Tsugumi Yamamoto
Chant : Barbara Kusa, Emmanuel Bardon
Vièles & Luth : Nolwenn Le Guern
Vièles : Valérie Dulac, Emmanuelle Guigues
Nyckelharpa : Aliocha Regnard
Oud : Philippe Roche
Kanun : Spyros Halaris
Flûtes à bec : Guénaël Bihan
Flûtes Kaval & Ney : Léa Maquart
Percussions : Henri-Charles Caget, Ismaïl Mesbahi

Le programme

Shiruku : sur la route de la soie

Canticum Novum – Emmanuel Bardon, direction musicale
Editions Ambronay – enregistré en 2022

Il y eut le disque Al Basma, un programme reliant les deux rives de la Méditerranée et, bien avant, celui au titre d’une brûlante actualité, Paz, salam, shalom, suivi de Aasheyani[1]. Voici donc la suite des explorations musicales imaginaires entreprises par les musiciens de Canticum Novum et leur chef Emmanuel Bardon. Il se sont adjoint trois musiciens japonais en route sur cette mythique route de la soie. D’ailleurs, Shiruku veut dire soie en japonais…

Ce qui surprend, ce qui intrigue et séduit, c’est le choix des enchainements, particulièrement pensés.

Tout commence avec un appel de ney, flûte arabe venue du fond des âges, depuis les mondes persan et égyptien. Nous sommes à Tolède et rêvons déjà d’ailleurs. Et voici que les rythmes changent, tout comme la mélodie ouvrant vers une des Cantigas de Santa Maria bientôt chantée, que l’on doit à Alphonse le Sage au cœur du Moyen-Âge.

Sans nous en apercevoir, c’est un autre chemin qui s’invite puisque le kanun, cette cithare orientale jouée par Spyros Alaris, nous ouvre la Sublime Porte du monde ottoman. Pourtant non, voici que le Japon, déjà, s’impose avec le shakuashi, la flûte droite japonaise que souffle Akihito Obama, accompagné par le shamisen, ce luth japonais à trois cordes de Yutaka Oyama. Juste avant qu’une danse berbère endiablée nous emporte, à nouveau, ailleurs.

Ces chemins de traverses, ces chocs géographico-culturels ne cesseront pas tout au long de l’écoute, distillés avec subtilité par tous les musiciens et chanteurs. Alors, il n’est pas question de chercher une cohérence stylistique, un chemin logique comme dans les pérégrinations auxquelles Jordi Savall nous conviait, avec sa Route de l’Orient[2] ou son dialogue des musiques d’orient et occident[3].

Échanges, syncrétisme et enrichissements. Ici, la liberté de l’imaginaire règne en maître. Les musiques japonaises traditionnelles – revisitées par les percussions, quasi improvisées – s’enlacent avec les chansons italiennes venues de Venise ou de Florence par la voix de Barbara Kusa (magnifique Porte Llorax, romance sépharade que l’on voudrait voir s’éterniser sur ses rythmes lascifs d’instruments entremêlés !) ou d’Emmanuel Bardon.

Tradition bulgare ou grecque ici, berbère là, mais aussi romances sépharades, ce bouquet pourrait faire craindre une absence d’unité, voire des incohérences. Il n’en est rien. Car ces rencontres entre l’Orient plus ou moins proche et l’Occident, ce voyage aux confins des musiques traditionnelles, tout en jouant sur les contrastes des cultures, racontent une histoire commune autour de l’emblématique route de la soie.

Ce tourbillon inlassable nous projette de Venise à Constantinople, capitale des héritages byzantins, perses et turcs, de l’Espagne des trois religions au Japon, terre de mission du jésuite navarrais saint François-Xavier au XVIe siècle. Dans une liberté dont les musiciens se plaisent à jouer. Ainsi, le moment le plus étonnant est peut-être Una matika de ruda (plage 17), car tout débute dans les sonorités ottomanes et sépharades réunies. Oud, vièle, percussions cèdent la place aux flûtes qui se mêlent. Flûte baroque et ney se voient rejointes par le shakuachi et le koto de Tsugumi Yamamoto. Moment magique avant une apothéose aussi libre qu’endiablée, enivrée, débouchant sur une improvisation japonaise, sorte de bacchanale au titre qui tient ses promesses : Réjouissons-nous de ce temps de fête. Puis vient l’apaisement de la dernière romance : sépharade ? japonaise ? Tout se mêle, se brouille dans un temps suspendu.

Dans les années 1990 se développa, jusqu’à l’outrance, la world music. La fusion avait de beaux – et moins beaux – jours devant elle. Ici, c’est tout un monde qui nous offre ses musiques fusionnelles.

Avec Al Basma, Canticum Novum nous redisait le partage, le mélange, la tolérance. Shiruku nous invite à la rêverie et au voyage intérieur sur une route musicale rêveuse, joyeuse, soyeuse.

[1] Respectivement en 2011 et 2015 chez Ambronay.

[2] Fransisco Javier, enregistrement paru chez Alia Vox en 2007

[3] Mare Nostrum, enregistrement paru chez Alia Vox en 2011