Caplet le conteur, un disque Klarthe – André entre Claude et Maurice

Les artistes

Cécile Achille, soprano
Laurent Deleuil, baryton
Iris Torossian, harpe
Emilie Heurtevent, saxophone
Ensemble Musica Nigella
Takénori Némoto, direction musicale

Le programme

Caplet le conteur

1 CD Klarthe, 72 minutes. Enregistré du 1er au 6 mai 2022 au Théâtre de Montreuil-sur-Mer. Mai 2023.

« Vous êtes un des rares hommes avec lesquels j’aime à échanger des idées, parce que vous répondez sans faire de fausses notes » : c’est ce qu’en 1912 Debussy écrivait à André Caplet, que l’on a coutume d’associer à son aîné, non sans plusieurs bonnes raisons. Une fois leur amitié nouée vers 1907-1908, c’est à Caplet chef d’orchestre que Debussy confia le soin de diriger la création mondiale du Martyre de saint Sébastien en 1910, après quoi André orchestra plusieurs pièces de Claude. En tant que compositeur, on connaît surtout Caplet pour ses œuvres sacrées, voire mystiques, comme Le Miroir de Jésus (1923), une de ses dernières puisqu’il mourut en 1925, moins de dix ans après Debussy, son aîné d’une quinzaine d’années.

Pourtant, ce que nous rappelle le disque Caplet le conteur, que vient de faire paraître le label Klarthe, c’est qu’il serait également possible, et fructueux, de rapprocher Caplet de l’autre très grand compositeur français de cette époque : Maurice Ravel, qui n’avait que trois ans de plus. L’histoire les réunit en 1901, lorsque Caplet fut l’heureux rival de Ravel pour l’obtention du prix de Rome : cette année-là, où il fallait composer une cantate sur le texte intitulé Myrrha, André obtint le Premier Grand Prix et partit donc pour la ville éternelle, tandis que Maurice n’obtenait qu’un « deuxième Second Grand prix » (!). Ravel devait encore échouer deux fois au concours, et Caplet allait démissionner de la Villa Médicis pour aller étudier la direction d’orchestre en Allemagne. En 1924, les deux hommes figureraient ensemble dans un Tombeau de Ronsard, recueil de huit pièces pour chant et piano confiées à huit compositeurs différents, dont Dukas, Roussel et Honegger : tandis que Caplet s’emparait du sonnet « Doux fut le trait », Ravel mettait en musique « Âmelette ronsardelette ».

Par ailleurs, les six œuvres de Caplet au programme du disque Klarthe montrent qu’André devait avoir les oreilles grandes ouvertes lorsque Maurice se faisait remarquer avec ses compositions. Lorsqu’on écoute les Trois fables de La Fontaine pour voix et ensemble (1919), comment ne pas songer aux Histoires naturelles de Ravel, dont on retrouve l’esprit et l’ironie, ici parfaitement rendus par le baryton Laurent Deleuil ? Quand on entend la Suite persane pour dixtuor à vents, on pense à cet orientalisme dont Shéhérazade est un magnifique exemple. Cela dit, Caplet avait son propre génie, que l’on ne cherche en rien à diminuer, et son inspiration personnelle s’exprime notamment dans Les Prières (1914-17) pour voix, harpe et quatuor à cordes, interprétées avec beaucoup de pudeur par la soprano Cécile Achille.

À la tête de son ensemble Musica Nigella, Takénori Némoto a l’habitude de proposer des arrangements et orchestrations qui cherchent à revenir aux intentions premières des compositeurs : cette fois, il n’a guère eu besoin d’intervenir, tant les partitions ici présentées, souvent transcrites par Caplet lui-même, se prêtent à son entreprise par la diversité des effectifs qu’elles requièrent (comme la Legende pour ensemble avec saxophone principal). Il convient néanmoins de saluer l’orchestration des Trois fables de La Fontaine écrites pour voix et piano. Caplet n’avait apparemment eu le temps d’orchestrer que la première, « Le Corbeau et le renard », mais parmi les manuscrits conservés à la BnF figuraient seulement quelques esquisses et fragments pour « La Cigale et la fourmi », et rien pour « Le Loup et l’agneau » : qu’à cela ne tienne, Takénori Némoto s’est chargé de compléter la deuxième et d’orchestrer entièrement la troisième, avec un résultat tout à fait digne d’admiration.