Anti-Melancholicus par Alias Mens : Bach ou l’harmonie des mondes

Les artistes
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Elodie Fonnard, Soprano
William Shelton, Alto
Thomas Hobbs, Tenor
Romain Bockler, Basse
Stéphanie Paulet, Premier violon
Camille Aubret, Violon (BWV 13)
Josh Cheatham, Andreas Linos, Violes
Neven Lesage, Hautbois
Julien Martin, Marine Sablonnière, Flûtes
Inga-Maria Klaucke, Basson
Octavie Dostaler-Lallonde, Cello
Christian Staude, Contrebasse
Yoann Moulin, Orgue
Olivier Spilmont, Direction
Prise de son, DA, montage et mixage : Gauthier Simon

Le programme

Johann Sebastian Bach, Anti-Melancholicus

Aus der Tiefen rufe ich, Herr zu dir – Cantate BWV 131
Meine Seufzer, meine Tränen – Cantate BWV 13
Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit « Actus tragicus » – Cantate BWV 106

1 CD, Paraty

Dans un silence ecclésial résonne une polyphonie grandiose, l’impétuosité de la musique embrasse la piété des paroles en une harmonie juste où le baroque des sons jouxte le classicisme – l’orthodoxie- du répertoire religieux. L’ensemble Alia Mens, dirigé par Olivier Spilmont s’est déjà fait connaître à travers son précédent disque La Cité Céleste, salué par la critique. Il s’agissait alors de trois cantates de J.S.Bach. Dans Anti-Melancholicus, du nom de l’ouvrage de théologie d’August Pfeiffer, protestant luthérien pourfendeur du calvinisme et que Bach avait lu avec intérêt, l’ensemble nous propose à nouveau trois autres cantates de J.S.Bach : BWV 131, 13 et 106.

La première est davantage de l’ordre du motet que de la cantate à proprement parler. En cinq parties elle laisse entendre les voix en exposition fuguée à travers un texte qui n’est autre que la traduction allemande du psaume 130 par Luther. Les canons adviennent et se poursuivent inexorablement dans un savant chassé-croisé des lignes mélodiques. Chacune se fait l’écho de la précédente et la rejoint dans une tonalité différente.

Les multiples variations s’affirment et s’harmonisent dans la diversité de leurs manifestations, jamais elles n’apparaissent comme des altérations du thème. La raison en est que le miracle de la voix les porte à leur faîte, l’arioso profond du baryton-basse Romain Bockler est mis en valeur par le choral de la soprano Elodie Fonnard comme l’arioso du ténor Thomas Hobbs se révèle sur le choral de l’alto William Shelton.

Les solistes sont aussi de très bons choristes, ils parviennent à trouver le juste équilibre entre leur voix pour que chacune se fasse entendre sans qu’aucune ne soit dissidente. Ils se vouent et se dévouent à la musique, Bach les investit et l’on apprécie leur investissement vocal quasi liturgique. Leur timbre toujours soutenu et lumineux magnifie la mélodie et exalte les paroles grâce à une articulation étudiée et distincte.

L’expressivité qui se dégage du beau CD d’Alia Mens (littéralement « autre esprit » en latin) évoque une spiritualité accomplie et suscite la dévotion. La deuxième cantate apparaît comme une méditation sur les Noces de Cana, la voix de la basse devient symboliquement voix christique dont nous suivrons la Passion jusqu’à la cantate suivante Actus tragicus. Les chromatismes bouleversants évoquent la détresse mais jamais la mélancolie, qui serait le « bain du diable » selon Luther. Les intervalles sont « écartelés » pour reprendre la belle formule de Gilles Cantagrel, avec les accords de quintes et de septième diminuée. La douleur existentielle que fait ressentir la musique, à savoir la certitude de la mort et l’espoir de la rédemption, met en évidence le caractère initiatique des cantates, sortes de « catéchèses sonores » de la Réforme.

La puissance vocale qui gonfle le tissu sonore n’alourdit à aucun moment le son, mais permet, bien au contraire l’élévation vers les cieux. De plus, la dimension anagogique de ces cantates de Bach est mise en relief par la direction fine et presque aérienne de l’ensemble. Les fins de phrases sont coupées proprement, les départs à l’unisson sont parfaitement exécutés, ce qui rend compte d’une attention portée aux détails, un grand soin apporté par chacun des musiciens à parfaire l’harmonie du tout.

Stéphanie Paulet et Camille Aubret sont les violonistes qui côtoient les vents avec brio : Julien Martin et Marine Sablonnière aux flûtes à bec. On retrouve Neven Lesage au hautbois, Andreas Linos et Josh Cheatham aux violes de gambes, instruments remis en lumière par Pascal Quignard dans Tous les matins du monde. Octavie Dostaler-Lalonde fait résonner les cordes de son violoncelle et Christian Staude celles de sa contrebasse. Enfin l’ensemble est parfait par Inga Maria Klaucke au basson et Yoann Moulin à l’orgue, instrument de prédilection de Bach.

Au service de la musique, les instrumentistes et les chanteurs s’attachent à l’exprimer avec clarté, puissance, piété et passion pour qu’elle les dépasse et leur montre la voie de l’harmonie divine. Dans ces cantates, le recueillement n’est pas prostré mais exalté, la prière est mue par ce qui meut toute chose. La richesse sonore du CD Anti-melancholicus nous enveloppe et nous éloigne des humeurs noires, de la mélancolie, bien qu’elle ne nous ménage pas sur la fatalité de notre destin. À mesure de l’exécution des cantates, de l’alternance entre les airs, les récitatifs et les choraux, l’écoute devient extatique et l’on se laisse emporter par le dynamisme de la musique.

L’évocation de l’Eternel est tout à la fois grave et légère, solennelle et enlevée, pareille au domaine du supra lunaire. Son expression n’est pas immobile, figée : elle est preste, et ce parce que la représentation de l’Eternel est proférée en adéquation avec notre nature muable, en devenir. Dès lors, le rythme des pièces se fait processuel, initiatique. Toutefois, cette envolée qui nous guide vers une spiritualité plus haute où les voix indiquent la voie, réussit le prodige de s’inscrire dans un ordre musical ineffable, imparable, auquel rien ne déroge.

Ecoutez le CD Anti-Melancholicus pour faire l’expérience bouleversante du sacré. L’ensemble Alia Mens met Bach à l’honneur pour faire entendre l’harmonie des mondes et sa beauté par-delà le désastre de l’humaine condition et la brièveté de l’existence.