CD – Paul Arma, Chants du silence – Le Hongrois militant

Les artistes

Anne-Lise Polchlopek, mezzo-soprano

Thomas Tacquet, piano

Le programme

Paul Arma : Chants du Silence

Cinq Esquisses d’après des thèmes populaires hongrois pour piano solo op. 117, Sonata da Ballo « d’après des thèmes populaires français » op. 71, Trois épitaphes pour piano solo op. 115, Première sonatine op. 57, Deuxième sonatine op. 58, Chants du Silence op. 97-107, Han Coolie op. 28

1 CD Hortus, enregistré à l’auditorium de Villethierry (Yonne). 73’53. Hortus 217

1 CD Alpha, (éventuellement minutage), date de parution

Bien oublié aujourd’hui, Paul Arma – de son vrai nom Imre Weisshaus – fut l’élève de Bartok, dut fuir dès 1926 l’antisémitisme de sa Hongrie natale, voyagea aux États-Unis, puis s’installa en Allemagne où il fut proche du Bauhaus et Hanns Eisler. En 1933, nouvel exil, vers la Suisse puis la France où il sympathise avec l’intelligentsia communiste. À Paris, il travailla pour la radio jusqu’à sa retraite en 1974. C’est pour l’ORTF qu’il composa plusieurs de ses pièces pour piano. Il mourut à Massy en 1987, à 83 ans.

Il convient de saluer l’audace du label Hortus et la curiosité du pianiste Thomas Tacquet, qualités sans lesquelles il y a tout à parier que les partitions de Paul Arma dormiraient encore chez leur éditeur. Le disque, au minutage copieux, s’ouvre sur une série d’œuvres pianistiques publiées dans les années 1960 mais composées bien antérieurement : une Sonata da Ballo de 1939 à l’énergie dissonante qu’on croirait volontiers toute balkanique, mais qui est écrite « d’après des thèmes populaires français » ; Trois épitaphes de 1945, pièces dont la modernité frappe, magnifiquement lugubres, sujet oblige, dédiées à Romain Rolland, grand défenseur de l’URSS, aux « amis torturés, massacrés », et à Bartok, le « maître et ami » ; Cinq Esquisses d’après des thèmes populaires hongrois (1946). Thomas Tacquet y déploie une belle vigueur percussive et sait trouver toute la gravité nécessaire pour l’évocation des disparus.

L’amateur de musique vocale sera peut-être plus sensible à la deuxième moitié du disque, pour laquelle le pianiste se fait accompagnateur de la mezzo Anne-Lise Polchlopek, lauréate de la fondation Orsay-Royaumont, sous l’égide de laquelle elle a participé au disque annuel des lauréats, Ombres chimériques, et donné en septembre un récital à l’auditorium du musée d’Orsay. On retrouve ici les qualités déjà remarquées chez cette jeune artiste : précision de la diction et expressivité naturelle. Composé entre 1938 et 1946 (même si Arma les datait des années 1942-44), Chants du silence est un cycle de onze mélodies, sur des textes émanant bien entendu d’intellectuels communistes ou « compagnons de route » (Paul Eluard, Vercors, Jean Cassou, Romain Rolland, Charles Vildrac) mais aussi de Claudel ou de Ramuz, entre autres, et dédiées notamment à Henri Matisse, à la seconde épouse de Bartok ou au baryton Lucien Lovano. Les textes vont de l’engagement anti-colonialiste de « Civilisation », dont les accents vengeurs rappellent le « Méfiez-vous des blancs » ravélien, au pacifisme néo-folklorique de « Le roi avait besoin de moi ». À ces trente-cinq minutes de musique dont le style varie au gré de l’inspiration des poètes s’ajoute un exemple de Kampf Musik : « Han Coolie ! », chanson militante initialement conçue sur un texte en allemand de Fritz Hoff, mise en français par Aragon, et pour laquelle Anne-Lise Polchlopek s’invente assez admirablement une voix « brechtienne » digne des illustres consœurs qui l’ont précédée dans ce genre, de Florelle à Marianne Oswald en passant par Lotte Lenya.