CD – DEBUSSY, La Demoiselle élue, Le Martyre de Saint Sébastien, Nocturnes

Les artistes

Melody Louledjian, soprano
Emanuela Pascu, mezzo-soprano

Orchestre Philharmonique de Radio-France, direction Mikko Franck
Maîtrise de Radio France, direction Sofi Jeannin

Le programme

CLAUDE DEBUSSY (1862-1918)

LA DAMOISELLE ÉLUE (1887-1888)
Poème lyrique pour 2 voix de femme solo, chœur et orchestre, sur un texte de Dante Gabriel Rossetti traduit par Gabriel Sarrazin

LE MARTYRE DE SAINT SÉBASTIEN (1910-1911)
Fragments symphoniques du ballet avec voix solistes et chœur mixte sur un texte de Gabriele D’Annunzio

NOCTURNES (1897-1899)
Triptyque symphonique avec chœur de femmes

1 CD Alpha Classics (69’), avril 2022

Langueurs mystiques et vertiges païens

 La première qualité de ce CD est de réunir, à côté des célèbres Nocturnes, deux œuvres à la discographie moderne assez restreinte, pour ne rien dire de leur présence au concert : La Damoiselle élue, troisième des quatre envois commandés aux lauréats du Prix de Rome, et les quatre fragments symphoniques du Martyre de saint Sébastien. Ce programme qui part d’Achille-Claude, jeune pensionnaire de la Villa Médicis, pour arriver à Claude presque « de France » est parcouru par deux fils rouge : une même thématique picturale, et cette façon unique qu’a Debussy d’apparier le sacré au profane. Ainsi, la Damoiselle décrite par le compositeur comme un « petit oratorio dans une note mystique et un peu païenne » met en musique les vers et les tableaux préraphaélites de Dante Gabriele Rossetti ; le mystère médiéval du Martyre reprend une iconographie religieuse bien connue, où les douleurs du supplicié se troublent d’une extase équivoque ; enfin, le triptyque des Nocturnes auxquels Debussy adjoint des descriptions imagées amorcent l’élan panthéiste qui s’épanouira pleinement dans La Mer.

À la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio-France depuis l’automne 2015, Mikko Franck s’est d’emblée fait fort de visiter les partitions les moins fréquentées de Claude de France (L’Enfant prodigue et la suite Printemps, notamment). Ici, sa maîtrise de l’idiome debussyste impressionne. Sous sa baguette, le Philhar produit des couleurs tantôt diaphanes (Damoiselle élue), tantôt sombres et comme cernées du plomb des vitraux (Martyre de saint Sébastien), avant de déployer une palette tout en chatoiements dans des Nocturnes whistlériens dont on regrettera juste le tempo un peu sage des Fêtes. Qu’elle se mue en sirènes ou en chœur  séraphique, la Maîtrise de Radio France emmenée par Sofi Jeannin pare les œuvres du même séduisant sfumato vocal. Les deux solistes de la Damoiselle élue privilégient la beauté timbrique et l’expressivité dramatique à la lisibilité du texte : noblesse de la récitante d’Emanuela Pascu, au beau vibrato grave, et incarnation vibrante de Melody Louledjian en Damoiselle. Sa voix jeune mais d’une puissance étonnante laisse imaginer à quelle Mélisande elle pourrait un jour donner naissance. À suivre, donc…