CD – Joyce DiDonato, EDEN
Les artistes
Joyce DiDonato, mezzo-soprano Il Pomo d’Oro, dir. Maxim Emelyanychev
Le programme
Charles Ives : The Unanswered Question
Rachel Portman : The First Morning of the World
Gustav Mahler : « Ich atmet’ einen linden Duft » ; « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Rückert Lieder)
Biagio Marini : « Con le stelle in ciel che mai » (Nativitá di Christo, Scherzi e canzonette op. 5)
Josef Mysliveček : « Toglieró le sponde al Mare » ( Adamo ed Eva)
Aaron Copland : « Nature, the gentlest mother » (8 Poems of Emily Dickinson)
Giovanni Valentini : Sonata a 4 « enharmonica »
Francesco Cavalli : «Piante ombrose» (La Callisto)
Christoph Willibald Gluck : Danza degli spettri e delle furie (Orfeo ed Euridice) ; Scena ed aria « Misera, dove son – Ah ! non son io che parlo » (Ezio)
Georg Friedrich Händel : « As with rosy steps the morn » ( Theodora) ; « Frondi tenere e belle – Ombra mai fu » (Serse)
Richard Wagner : Schmerzen (Wesendonck Lieder)
1 CD Erato (février 2022)
Elle sème à tout vent !
Forte de son statut de star, Joyce DiDonato sait qu’elle doit désormais défendre un concept à chaque nouvel album, dans une industrie du disque où il faut de plus en plus se battre pour s’imposer. Après In War and Peace, après un Winterreise revu sous un angle féminin, la Pandémie lui a cette fois inspiré Eden, un disque où elle invite l’auditeur à planter chaque jour une graine, pour que mille fleurs s’épanouissent, pour que la nature reprennent ses droits face aux cataclysmes en tous genres (ce qui permet un choix de plages évoquant tantôt l’anéantissement de l’environnement, tantôt la sérénité retrouvée). À l’heure où le corps des mannequins apparaît peint de la tête aux pieds pour le défilé Diesel, la Yankee Diva opte presque sagement pour un discret saupoudrage bleu et vert sur son torse, sous un visage totalement androgyne. Quant aux graines, elle les sème à tous les vents possibles, puisque le programme de ce nouveau récital va des origines de l’opéra jusqu’à nos jours, avec une première mondiale. Rien de bien révolutionnaire, autant le préciser d’emblée, avec « The First Morning of the World » de Rachel Portman, compositrice britannique de nombreuses musiques de film, et à qui l’on doit notamment une comédie musicale d’après La Petite Maison dans la prairie. Bien qu’antérieures de près d’un siècle, les deux mélodies de Charles Ives sonnent nettement plus moderne (et donnent à la mezzo l’occasion de se prendre pour une trompette, puisqu’elle se substitue à l’instrument dans « The Unanswered Question »).
C’est dans Theodora que Paris a dernièrement pu applaudir Joyce DiDonato, et Haendel est présent par deux fois sur ce disque : avec un des airs d’Irene dans l’oratorio susmentionné, qui manque un peu ici de l’intensité d’émotion presque insoutenable que l’artiste savait mettre dans son incarnation lors du concert donné au TCE, et un « Ombra mai fu », hymne à une nature apaisée. Le bouquet d’airs baroques justifie le choix de l’orchestre Il Pomo d’Oro, avec à sa tête Maxim Emelyanychev, mais on avoue que la canzone de Marini « Con le stelle in Ciel che mai » n’a rien de bien palpitant dans sa forme impitoyablement strophique. Très bref, l’arioso « Piante ombrose », tiré de la Calisto de Cavalli, laisse un peu l’auditeur sur sa faim, que ne comble guère l’aria de l’ange exterminateur tirée de l’Adamo ed Eva de Mysliveček, dont la virtuosité un peu gratuite ne traduit pas très bien la véhémence des paroles. Heureusement, tout change avec Gluck et l’admirable interprétation que Joyce DiDonato offre de l’air déchirant de Fulvia dans l’opera seria Ezio, « Ah ! Non son io che parlo » (on connaît mieux la mise en musique de ce texte par Mozart).
Troisième série de « graines » que sème la chanteuse dans Eden : Wagner et Mahler, sous la forme assez frustrante d’emprunts à des cycles qu’on rêverait d’entendre dans leur intégralité. Un vibrant « Schmerzen » extrait des Wesendonck Lieder laisserait-il présager un virage wagnérien ? Deux des cinq Rückert-Lieder permettent de goûter les couleurs des instruments d’Il Pomo d’Oro, par-dessus lesquels s’élève avec pureté la voix de la mezzo, notamment dans un très réussi « Ich bin der Welt ».
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