Huit femmes puissantes – Händel : Enchantresses par Sandrine Piau

Les artistes

Sandrine Piau, soprano

Les Paladins, dir. Jérôme Corréas

Le programme

Handel : Enchantresses
CD Alpha 765, enregistré en octobre 2020 au Théâtre de Poissy

En 2004, Sandrine Piau enregistrait avec Christophe Rousset un disque intitulé Haendel, opera seria ; le programme s’ouvrait sur « Scoglio d’immota fronte », air tiré de Scipione, la soprano ayant déjà participé, dix ans auparavant, à l’intégrale de cet opéra, gravée avec les alors tout jeunes Talens Lyriques. En 2004, Renee Fleming y allait elle aussi de son disque haendélien, où figurait le même air, et les comparaisons n’avaient pas manqué. Le partage des territoires semblait alors clair : à l’Américaine les reines et les magiciennes, comme Alcina qu’elle avait incarnée à Garnier en 1999, à la Française les pucelles et les soubrettes, comme Morgana qu’elle fut en 2014 dans la même production. Sauf qu’en 2015 Sandrine Piau fit la bascule et devint elle-même Alcina dans un mémorable spectacle signé Pierre Audi à Bruxelles. Ainsi se justifie le propos de ce nouveau disque : « Si j’ai incarné, autrefois, des héroïnes virevoltantes et légères, ce nouvel album offre un portrait de femmes puissantes, souvent meurtries », déclare la soprano dans un texte d’accompagnement. De fait, à l’écoute de « Ah, mio cor », nul ne contestera la majesté de l’interprète, surtout dans cette partie rapide où elle s’exclame avec une fureur toute royale « Ma che fa gemendo Alcina ? son reina, è tempo ancora ». Et quand Sandrine Piau revient à son emploi premier, en ajoutant à cet air le « Tornami a vagheggiar » d’une Morgana particulièrement enjôleuse dans sa manière de dire « Già ti donai il mio cor », ce n’est pas simplement la petite sœur d’Alcina que l’on entend, mais bien une égale de la magicienne par l’autorité qu’elle déploie.

Après « Ah, mio cor », l’air le plus long de ce nouveau disque est le « Piangerò » extrait de Giulio Cesare. Cléopâtre est un rôle que la soprano fréquente depuis plus longtemps qu’Alcina : à Paris, elle l’a chanté en concert dès 2008 pour René Jacobs, puis sur scène en 2013 pour la reprise de Giulio Cesare dirigée par Emmanuelle Haïm à Garnier. Et pour prouver là encore que la noblesse d’accents n’interdit pas la virtuosité, cette Cléopâtre fait un sort à « Da tempeste » et à ses cascades de notes mitraillées. En fin de parcours, « Lascia ch’io pianga » complète cette série de tubes haendéliens, même si Almirena n’est peut-être pas la plus puissante des héroïnes possibles ; c’est la puissance de la séduction qu’illustre l’air des sirènes (ici réduit à une seule) également extrait de Rinaldo.

Le reste du programme s’aventure en terres un peu moins fréquentées : un fragment de la cantate Lucrezia, un air brillant tiré d’Amadigi et, en guise de première plage, une aria di paragone tirée de Lotario, « Scherza in mar la navicella ». De quoi donner un échantillon de tout ce dont quoi Sandrine Piau est capable, et que l’on regrette de ne pas assez souvent pouvoir applaudir dans les théâtres. Jérôme Corréas, avec qui la soprano avait enregistré en 2011 le superbe disque Le Triomphe de l’amour, consacré à la tragédie lyrique française, se montre tout aussi convaincant dans Haendel, toujours à la tête de son ensemble Les Paladins, que l’on entend à découvert non seulement dans une ouverture d’opéra (Amadigi), mais aussi dans trois extraits de concerti grossi où les instrumentistes s’imposent par la sensibilité de leur jeu.