CD- Anna Netrebko : Amata dalle tenebre

Les artistes

Anna Netrebko, soprano

Orchestra del Teatro alla Scala di Milano, dir. Riccardo Chailly

Le programme

Amata dalle tenebre

STRAUSS
Ariadne auf Naxos (Ariadne), « Es gibt ein Reich, wo alles rein ist »

VERDI
Aida (Aida), « Ritorna vincitor! … Numi, pietà »

VERDI
Don Carlo (Elisabetta), « Tu che le vanità conoscesti del mondo »

WAGNER
Tannhäuser (Elisabeth), « Dich, teure Halle, grüß ich wieder! »

CILEA
Adriana Lecouvreur (Adriana), « Poveri fiori, gemme de’ prati »

TCHAIKOVSKY
La Dame de pique (Lisa), « Uzh polnoch blitzitsya … Akh, istomilas ya gorem »

PUCCINI
Madama Butterfly (Cio-Cio-San), « Un bel dì vedremo »

WAGNER
Lohengrin (Elsa), « Einsam in trüben Tagen »

PUCCINI
Manon Lescaut (Manon), « Sola, perduta, abbandonata »

PURCELL
Dido and Æneas (Dido), « Thy hand, Belinda… When I am laid in earth »

WAGNER
Tristan und Isolde (Isolde), « Mild und leise wie er lächelt »

1 CD Deutsche Grammophon, 2021. Enregistré en octobre 2020 et avril 2021 au Teatro alla Scala de Milan. Notice de présentation en anglais et en allemand. Durée totale : 67:25

Ce programme est surtout un témoignage de l’état actuel des moyens et de la voix de l’interprète

Arborant une photo et un graphisme qui imitent la couverture d’un magazine de mode, Amata dalle tenebre, millésime 2021 d’Anna Netrebko, affiche le prénom de la cantatrice en grandes capitales, et relègue son nom, les références à l’orchestre et au chef, et même le titre du cd, en second plan, renvoyant davantage à la pochette d’une chanteuse de variété de la fin du siècle dernier. Le titre en italien pourrait d’ailleurs induire en erreur, dans la mesure où le répertoire de la péninsule n’y est que secondaire, cinq airs sur onze. Comme le rappelle le texte de présentation, donné uniquement en anglais et en allemand, il se justifie par la constante menace de mort pesant sur les héroïnes qu’aborde ici la cantatrice russo-autrichienne, aimées des ténèbres, voire attirées par les ténèbres, quoique dans certains cas, telle Elsa de Lohengrin, cette approche paraît sujette à caution.

Un programme hétéroclite

Proposant un programme assez hétéroclite, cette livraison est surtout un témoignage de l’état actuel des moyens et de la voix de l’interprète et son intérêt réside principalement dans ce qu’elle fait côtoyer des rôles de son répertoire scénique (Aida, Elisabetta de Don Carlo, Adriana Lecouvreur, Elsa, Manon Lescaut) et des personnages peut-être en devenir, tels que l’Ariadne straussienne, l’Elisabeth de Tannhäuser, Lisa de La Dame de pique, Butterfly, Isolde). L’importance de l’expérience des planches est d’ailleurs soulignée par la diva elle-même : « I really become a character when on stage… ». Dans certains cas, on comprend que l’artiste a voulu se faire plaisir, comme pour le lamento de Didon (Dido and Æneas de Purcell), sûrement le moment le moins indispensable de cette gravure.

Rapprochements

Trois des cinq airs du répertoire italien apparaissaient déjà dans des programmes antérieurs. Il est donc tentant de les rapprocher afin de percevoir l’évolution au fil des ans. Ainsi de la méditation d’Elisabetta di Valois, gravée en 2012 pour le bicentenaire verdien (Verdi, Deutsche Grammophon 2013), plus retenue mais aussi plus lyrique et mélodieuse dans la première lecture, à laquelle fait place aujourd’hui une exécution sans doute plus dramatique, non exempte néanmoins de quelques légères aspérités. Quitte à refaire, pourquoi ne pas avoir abordé la version originale en français ? Les espoirs de Cio-Cio-San et la prostration de Manon Lescaut relaient l’interprétation de l’album Verismo (Deutsche Grammophon 2016) où la première sonnait plus juvénile, notamment sur des notes filées de haut vol, et la seconde plus claire et davantage investie dans le drame, grâce vraisemblablement à l’enregistrement de tout l’acte IV ; la geisha semble maintenant avoir perdu en légèreté ce que la séductrice gagne en velours. « Poveri fiori » (Adriana Lecouvreur) sert en revanche de complément à l’air de l’acte I (« Io son l’umile ancella ») que proposait ce même cd ; Anna Netrebko y maîtrise une ligne de chant en tout point saisissante, notamment sur un diminuendo magistral. Dans Aida, comme d’ailleurs dans l’Elisabetta de Don Carlo, l’opulence du timbre se ressent par moments d’une diction assez pâteuse, malgré la longueur du souffle et un vibrato parfaitement maîtrisé.

Des héroïnes en devenir

Pour ce qui est du répertoire allemand, les quelques minimes stridences que l’on peut percevoir dans « Es gibt ein Reich, wo alles rein ist » d’Ariadne auf Naxos n’entachent nullement l’ampleur du phrasé et l’autorité du propos. La clarté de l’accent de l’Elisabeth de Tannhäuser se singularise par la noblesse du portamento. Et si Elsa laisse parfois poindre un certain artifice, la pureté de la ligne n’en reste pas moins prodigieuse. Une mort d’Isolde d’anthologie clôt l’album, laissant tout de même l’auditeur sur sa faim, qui espère la réentendre bientôt à la scène ou du moins en concert.
Tout comme pour une Lisa royale chez qui madame Netrebko démontre encore une fois être entièrement chez elle par l’intelligence du texte et la luminosité voluptueuse de l’accent.

Elle trouve en Riccardo Chailly et en l’orchestre de la Scala, où a été enregistré ce cd, le meilleur support à l’épanouissement de son art.

Textes a minima : traduction en anglais et en allemand pour les vers en italien et en russe ; uniquement dans l’autre langue pour ceux qui relèvent du domaine anglosaxon ou germanique.