Mitridate, re di Ponto chez Erato – Retour en terres raciniennes

Les artistes

Mitridate : Michael Spyres
Sifare : Elsa Dreisig
Farnace : Paul-Antoine Bénos-Djian
Aspasia : Julie Fuchs
Ismene : Sabine Devieilhe
Marzio : Cyrille Dubois
Arbate : Adriana Bignagni Lesca

Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski

Le programme

Mitridate, re di Ponto

Opera seria en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart. livret est de Vittorio Amedeo Cigna-Santi,  d’après la traduction italienne de Giuseppe Parini de la pièce de Jean Racine, créé le 26 décembre 1770 au Teatro regio ducale de Milan.

Enregistré à la Philharmonie de Paris du 19 au 23 novembre 2021-10-29
3 CD Erato   59’41 + 50’48 +  40’42

Contrairement aux chefs-d’œuvre de la maturité, les opéras de jeunesse de Mozart ne bénéficient pas encore tous d’enregistrements de référence. C’est avec de très sérieux atouts en mains que Marc Minkowski s’est donc lancé dans une nouvelle intégrale de Mitridate, avec l’indispensable Michael Spyres au sein d’une distribution entièrement francophone par ailleurs.

C’est toujours mieux la deuxième fois

En 2006, Marc Minkowski dirigeait Mitridate au festival de Salzbourg, dans une production signée Günter Krämer qui fit l’objet d’une captation commercialisée en DVD. Cette fois, le chef français n’est plus en fosse, mais dans les studios d’Erato, où l’on retrouve son approche musclée : l’ouverture et la plupart des airs du premier acte donnent l’impression de déchaîner à chaque fois la cavalerie et l’artillerie lourde, mais le climat guerrier du livret s’estompe par la suite, et les Musiciens du Louvre savent trouver des accents plus variés, conformément aux affects exprimés par les arias. En février 2016, Michael Spyres incarnait le roi du Pont dans la mise en scène assez tristounette présentée au TCE, avant d’enchaîner avec une version bruxelloise au mois de mai de la même année, et d’être le personnage à Londres lors d’une reprise de la mémorable production conçue en 1991 par Graham Vick. Un DVD avait immortalisé le spectacle parisien : c’est donc avec une expérience considérablement enrichie que le ténor américain a gravé le rôle en studio en novembre dernier. Au chapitre des deuxièmes fois, on pourrait même ajouter que Mitridate a déjà fait l’objet d’une intégrale confiée à une équipe en partie française : en 1998, Christophe Rousset l’enregistrait avec ses Talens Lyriques, et dans la distribution Natalie Dessay et Sandrine Piau. Mais cette fois, en 2021, ils sont tous français sauf le titulaire du rôle-titre. Le Mithridate de Racine avait inspiré celui de Mozart : par un juste retour des choses, Mitridate trouve en terres raciniennes ses meilleurs défenseurs.

Quasi total cocorico

Évidemment, il y a Michael Spyres, aujourd’hui incontournable dans ces tessitures inhumaines, même si les exigences de Mitridate sont un rien moins spectaculaires que celles du belcanto rossinien. Les suraigus sont là, et sans la laideur de timbre qu’il fallait parfois accepter chez les titulaires antérieurs. Une performance qui méritait d’être préservée. Et autour de lui, rien que des chanteurs français ! Dans les petits rôles, ce n’est peut-être pas si étonnant, mais jamais Arbate n’aura été campé avec autant d’opulence que par Adriana Bignagni Lesca, et Cyrille Dubois, déjà présent au TCE en 2016) est assez époustouflant dans l’air unique de Marzio, hérissé de vocalises. Paul-Antoine Bénos-Djian sera sans doute une découverte pour beaucoup de mélomanes car, jusqu’ici, le contre-ténor avait surtout fait remarquer ses grandes qualités dans un répertoire plus ancien : c’est donc une heureuse surprise de l’entendre arriver tout armé dans ce Mozart à castrats. Quant au trio de dames, il réunit miraculeusement trois profils mozartiens bien distincts : en Ismène, notre Reine de la Nuit, Sabine Devieilhe, reprend le délicat personnage qu’elle incarnait au TCE ; éblouissante Aspasie, Julie Fuchs montre qu’elle n’a pas volé les galons patiemment conquis, depuis sa Zerline aixoise en 2017 jusqu’à sa Susanna également aixoise cet été ; et en Xipharès, rien moins que la Fiordiligi de Salzbourg 2020-21, Elsa Dreisig. Si cette dernière n’a pas l’étoffe des mezzos à qui le rôle fut parfois confié, elle rejoint sans peine ses consœurs par la virtuosité et par l’émotion véhiculée par son chant. Bon, on reparle d’une troupe à l’Opéra de Paris, ou pas ?