CD – Saint-Saëns : La Princesse jaune

Les artistes

Léna : Judith van Wanroij
Kornélis : Mathias Vidal
Une voix : Anaïs Constans

Philippe Estèphe, Jérôme Boutillier, Éléonore Pancrazi, Artavazd Sargsyan, Axelle Fanyo

Orchestre national du Capitole de Toulouse, dir. Leo Hussain.

Le programme

La Princesse jaune

Opéra comique en un acte de Camille Saint-Saëns, livret de Louis Gallet, créé à l’Opéra-Comique (paris) le 12 juin 1872.

Mélodies persanes

Cycle de 6 mélodies de Camille Saint-Saëns sur des poèmes extraits des Nuis persanes d’Armand Renaud, composées en 1870.  Version orchestrée.

Dans son inlassable exploration du répertoire romantique (au sens large) français plus ou moins oublié, Bru Zane propose cette fois-ci, en version scénique et discographique, La Princesse jaune de Saint-Saëns. La version scénique vient d’être proposée à l’Opéra de Tours (avec Djamileh de Bizet en complément de programme : voyez le compte rendu de Gilles Charlassier), et pourra de nouveau être applaudie au Théâtre municipal Raymond Devos de Tourcoing en mai prochain.

Si La Princesse jaune n’est pas la première œuvre lyrique composé par Saëns, il s’agit de la  première ayant eu les honneurs de représentations scéniques (à l’Opéra-Comique, en 1872), lesquelles se soldèrent par un échec public et critique. Depuis, l’œuvre ne s’est guère imposée sur les scènes, en dépit de quelques reprises au XXe siècle : un concert à radio-France en 1957 (dirigé par Tony Aubin) ; un autre à Lugano en 1996 (dirigé par Francis Travis ; concert ayant fait l’objet d’un CD paru chez Chandos) ; une production montée par l’Opéra-Comique en 2004, une autre par l’Opéra de Rennes en 2012. L’œuvre, pourtant, n’est pas sans atouts : d’une inspiration vive et fraîche, elle fait entendre deux grands duos dont Saint-Saëns se disait fier ; le rôle de Kornélis est particulièrement soigné, avec trois airs très réussis (« J’aime, dans son lointain mystère », qui reprend le beau thème empreint de mélancolie que l’on entend dans l’andantino de l’ouverture ; la chanson japonaise « Sur l’eau claire et sans ride », et la « Vision de Kornélis »  au cours de laquelle l’artiste croit voir s’animer la figure de femme japonaise dont il est tombé amoureux – une scène qui préfigure directement le « C’est elle, elle sommeille » d’Hoffmann dans l’opéra d’Offenbach. Les couleurs extrême-orientales de la musique enrichissent subtilement la partition, en évitant tout excès d’exotisme ou de couleur locale. L’usage de la gamme pentatonique, par exemple, y est relativement discret (on l’entend dans l’allegro giocoso de l’ouverture puis dans le second duo, lorsque Kornélis est assailli par la vision fantasmée d’un paysage japonais). Elles forment par ailleurs un plaisant contraste avec certaines formes musicales qui nous sont plus familières, par exemple lorsque le premier air de Léna, qui essaie de déchiffrer tant que bien mal des inscriptions japonaises, fait soudainement entendre un rythme de valse.

Ce CD du Palazzetto Bru Zane propose une affiche entièrement différente des représentations tourangelles. C’est Leo Hussain qui dirige l’orchestre (un Orchestre national de Toulouse subtil et précis), en préservant toute la délicatesse et la poésie de cette œuvre courte et touchante.
Les deux chanteurs possèdent des voix assez différentes de celles des artistes entendus à Tours : la voix de Mathias Vidal est plus naturellement ancrée dans le grave que celle de Sahy Ratia, ce qui ne l’empêche nullement de délivrer des aigus piano ou pianissimo avec aisance. Les différentes facettes du personnage, tour à tour rêveur, touchant, délirant, sont parfaitement rendues, et c’est au total un portrait fort touchant du personnage qui nous est proposé. L’incarnation de Léna par Judith van Wanroij n’est dénuée ni d’esprit, ni d’émotion, ni de vivacité, et le texte parlé est très convenablement dit. (Quel dommage cependant que personne n’ait remarqué la disparition, dans les dialogues parlés, d’un hémistiche – « Ce que ta lèvre dit… » –, rendant l’alexandrin à la fois bancal et incompréhensible). Le timbre de la chanteuse, un peu mince et parfois légèrement acide, est presque opposé à celui, richement coloré et foncièrement dramatique, de l’interprète tourangelle Jenny Daviet. Pourtant, on fera au final aux deux chanteuses le même (léger) reproche, à savoir un manque de douceur et de suavité dans les quelques répliques émues ou tendres qui échoient à Léna (en particulier dans la section finale du dernier duo : « Félicités promises »). Mince reproche qui n’entache en rien la réussite globale de l’enregistrement.

Merci enfin au Palazzetto d’avoir très judicieusement complété ce CD par le cycle des six  Mélodies persanes fort bien interprétées par la fine fleur du jeune chant français (Philippe Estèphe, Jérôme Boutillier, Éléonore Pancrazi, Artavazd Sargsyan et Axelle Fanyo) et proposées non avec un accompagnement de piano mais avec l’orchestration écrite par Saint-Saëns lorsqu’il intégra ces mélodies en 1891 dans le cycle Nuit persane.
Il aurait toutefois été très intéressant d’entendre précisément ce cycle Nuit persane, conçu par Saint-Saëns pour être interprété par un contralto, un ténor, un récitant, un chœur mixte et un orchestre… Lors d’un prochain concert du Palazzetto, peut-être?…

Un CD à écouter tout en feuilletant le récent volume L’Orient et l’Opéra, tout juste paru à la Libreria Musicale Italiana !