Jéliote, haute-contre de Rameau: au plus haut de Rameau !

La mode est aux disques concept. Mais avec le « Jéliote » que signe Reinoud van Mechelen et ses comparses d’A Nocte Temporis, il n’y a rien d’un suivisme. Au contraire, il y a une vraie recherche pour brosser un portrait sensible. Après un précédent et magistral enregistrement consacré à Dumesny, haute-contre de Lully, le musicien fait revivre une autre gloire du chant lyrique de l’Ancien Régime. C’est ici un portrait tour à tour joyeux, martial, dramatique, poétique – touchant – qui s’offre à l’auditeur dans un subtil agencement.                      

Ce n’est pas le premier enregistrement consacré au chanteur favori de Rameau. Jéliote, à la voix de ténor aiguë, était un homme des lumières, interprète de nombreux compositeurs dont Rousseau  (il créa Le Devin du village) instrumentiste maniant le violoncelle ou la guitare, compositeur bien oublié, dont Zélisca fut pourtant créé à Versailles en 1746 – un air se trouve très à propos au milieu de ce disque. Né à Pau sous Louis XIV, il mourut sous la Révolution en 1797. Pierre Jéliote aimait chanter en basque ou en langue d’oc et ici, les deux airs de Mondonville sont particulièrement savoureux.

Formé à Toulouse, Jéliote monta rapidement à Paris où il connut une carrière fulgurante. Bien que certain critique lui trouvait un manque de noblesse, Marmontel écrivait de lui : 

« On tressaillait de joie dès qu’il paraissait sur scène, on l’écoutait avec l’ivresse du plaisir; et toujours les applaudissements marquaient les repos de sa voix. Cette voix était la plus rare qu’on eût entendue, soit par le volume et la plénitude des sons, soit par l’éclat perçant de son timbre argentin. Il n’était ni beau ni bien fait, mais pour s’embellir, il n’avait qu’à chanter ; on eût dit qu’il charmait les yeux en même temps que les oreilles. Les jeunes femmes en étaient folles… »

La vie de Jéliote fut effectivement parsemée d’incroyables moments. À preuve cette étonnante anecdote qui dit tant de sa renommée : en 1750, le ténor annonça qu’il se retirait de la scène de l’Opéra de Paris en raison d’une santé fragile. Une collecte d’admirateurs fut improvisée. La pression fut à l’égal de la générosité des spectateurs et Jéliote rempila pour cinq saisons, comme nous l’apprend le passionnant livret signé Benoît Dratwicki.

Il y a quinze ans, Jean-Paul Fouchécourt nous avait déjà offert un album portrait chez Naxos. Il restait ramiste du début à la fin, avec la subtilité musicale et le timbre d’un haute-contre en pleine possession de ses moyens, Fouchécourt puisant dans huit œuvres lyriques du dijonnais. Une façon de souligner la fidélité de Rameau à son ami-interprète, de 1733 à 1763.

Ici, Reinoud van Mechelen nous offre un tout autre portrait, diversifié, car la construction d’un tel programme est aussi musicale que… chronologique. Les quatre moments de ce disque proposent les débuts de Jéliote, de ses vingt ans en 1733 à 1741, puis ses premiers grands rôles, de 1741 à 1750. Suivent ces moments du faux départ, de 1750 à 1755 et une fin de carrière qui le remet au contact direct et exclusif de la Cour. À chaque acte de cette carrière, Rameau a toute sa place avec un florilège d’airs tirés d’Hippolyte et Aricie, des Fêtes d’Hébé, de Platée, de Castor et Pollux et des Boréades. Mais il se mêle aux partitions de Colin de Blamont, Rebel et Francoeur, Leclair, Mondonville ou des oubliés Mion, Berton et de La Borde.

La réussite de cet enregistrement exemplaire tient d’abord à l’agencement des partitions où les moments instrumentaux ne sont pas des intermèdes, mais des parties intégrantes du projet musical. Le sens de la déclamation comme la science du chant et de ses inflexions, font de l’interprétation de Reinoud van Mechelen, chanteur et chef de son ensemble, une réussite totale et de ce portrait un moment de pur plaisir, attisé par la curiosité de la découverte de partitions délaissées aux noms d’Erosine, Ismène et Isménias, Nitétis ou Zélisca.

« La voix de ce divin chanteur
Est tantôt un Zéphir qui vole dans la plaine,
Et tantôt un volcan qui part, enlève, entraîne,
Et dispute de force avec l’art de l’auteur. »

Ces vers de Jean-Baptiste Thiaudière de Boissy dépeignant Jéliote pourraient s’adresser à Reinoud van Mechelen.

 Au cœur de cette réussite, il ne faudrait pas oublier le formidable travail d’Aline Blondiau. Car c’est à elle que l’on doit cette prise de son, ample, attentive à l’extrême netteté des plans comme de la balance entre les instruments, toute en finesse.

Tout concourt donc au bonheur d’une écoute sans cesse relancée grâce au timbre, à l’intelligence du texte du chanteur comme à l’engagement musical de tous les interprètes. Les flûtes tressent une guirlande fleurie autour de la voix pour évoquer les oiseaux du Temple de la gloire comme le Séjour de l’éternelle paix de Castor et Pollux ; le basson souligne les noirceurs de Dardanus dans Les lieux funestes que le héros doit affronter ; le hautbois bucolique se répand sur les Prés fleuris des Amours de Tempé signés Dauvergne… Et l’on admire le travail d’Emmanuel Resche, premier violon emmenant ses complices avec délicatesse, entrain, fougue.

 À l’instar de ce qu’écrivait, en 1753, un contemporain à propos de Jéliote, Reinoud van Mechelen et son ensemble savent « l’art de rendre le véritable esprit de la musique française ».

Les artistes

Reinoud Van Mechelen

A nocte temporis

Le programme

Airs extraits d’œuvres de Jean-Philippe Rameau, François Colin de Blamont, François Rebel et François Francoeur, Charles-Louis Mion, Pierre de Jéliote, Jean-marie Leclair, Antoinde Dauvergne, Pierre ontan Berton et Jean-Benjamin de la Borde. 

1 CD Aplha Classics, septembre 2021.