Le XXe siècle en cinq compositeurs : Regards sur l’infini par Katharine Dain

Bien qu’elle ait déjà eu l’occasion de chanter dans notre pays, les mélomanes français ne connaissent pas forcément le nom de Katharine Dain. La soprano américano-néerlandaise montre en revanche qu’elle connaît bien la mélodie française, avec un disque au programme original et alléchant.

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Entre janvier 2018 et janvier 2019, Katharine Dain fut notamment Konstanze de L’Enlèvement au sérail dans une production signée Emmanuelle Cordoliani que l’on put voir à Clermont-Ferrand, Avignon, Rouen, Massy et Reims, mais sa riche activité au concert lui permit de parcourir la planète, d’Innsbruck à Los Angeles, de Glasgow à Buenos Aires. En 2020, cette soprano américano-néerlandaise devait se produire en concert dans les Poèmes pour Mi, d’Olivier Messiaen, et le confinement fut pour elle l’occasion de travailler en plus étroite collaboration que jamais avec son pianiste, Sam Armstrong. Ces mois d’inactivité publique débouchent aujourd’hui sur un superbe programme discographique qui propose en cinq compositeurs une exploration de la mélodie française sur le « long XXe siècle », de 1892 à 2002.

C’est une excellente idée que d’avoir retenu, pour illustrer la production de Debussy, un cycle curieusement boudé dans les récitals : les Proses lyriques, musicalement magnifiques mais qui pâtissent sans doute d’avoir été composées sur des textes du compositeur lui-même. Et il faut bien avouer que Debussy fait du sous-Verlaine, du sous-Maeterlinck, et finit par ressembler aux parodies qu’il a pu inspirer à Proust ou Erik Satie. Ces partitions n’en sont pas moins de toute beauté, et ces vingt minutes de musique sont ici fort bien servies : le français de Katharine Dain est excellent, et sa voix atteint sans peine les extrêmes sollicités (qui expliquent peut-être aussi le relatif désamour dont ces quatre mélodies font l’objet, plus exigeantes qui bien d’autres).

Messiaen en couple

Le morceau de résistance occupe le centre du disque : les Poèmes pour Mi, dans lesquels Messiaen se montre meilleur poète, même si le rapprochement permet d’entendre combien sa musique constitue un prolongement « moderne » de celle de Debussy, où s’exprime pourtant une personnalité bien reconnaissable, notamment dans l’expression de la joie. C’est véritablement autour de ce premier des trois grands cycles de mélodies de Messiaen (suivront Chants de Terre et de Ciel et Harawi) que le programme est construit puisque ces Poèmes apparaissent comme encadrés symétriquement par les compositions de ses confrères et consœurs.

À commencer par ce qui semble une évidence, mais il fallait y penser : deux mélodies signées de la violoniste Claire Delbos, autrement dit « Mi » en personne, la première épouse de Messiaen, en l’occurrence le premier et le dernier numéro de son recueil L’âme en bourgeon, sur des poèmes de sa belle-mère, Cécile Sauvage. Datée de 1937, la composition en est exactement contemporaine de celle des Poèmes pour Mi, et l’on sera particulièrement sensible à l’extrême économie de moyens de la dernière, « Ai-je pu t’appeler de l’ombre » (la voix s’élance a cappella pendant tout le premier tiers de la mélodie, avant de laisser la place au piano seul pendant deux minutes).

Quelle modernité ?

On avance de quelques années seulement avec Henri Dutilleux, avec deux pages datées 1943-45 : malgré le beau titre du recueil Regards sur l’infini, que cette musique paraît timide, voire vieillotte, en comparaison de ce que composait le couple Messiaen ! Pour les deux extrêmes du disque, la première et la dernière plage, retour à une modernité plus intéressante, et à une compositrice avec deux mélodies écrites à vingt années d’écart par Kaija Saariaho, où le texte perd de son intelligibilité à cause du recours systématique au suraigu, mais pour un résultat indéniablement saisissant. On salue au passage le brio avec lequel Sam Armstrong se meut d’un style à l’autre, du symbolisme debussyste aux audaces « messiaeniques » en passant par le dépouillement des deux compositrices. Ce disque prouve aussi qu’il reste dans le domaine de la mélodie quantité d’œuvres à révéler, pour peu qu’on veuille bien s’éloigner des sentiers battus.