CD – Alexandre Dumas et la musique

Un bouquet de mélodies françaises inspirées de l’œuvre d’Alexandre Dumas

Alpha Classics propose un CD de romances, chansons et mélodies composées par divers musiciens du XIXe siècle, et toutes inspirées par l’œuvre d’Alexandre Dumas – ou de poètes qui lui étaient contemporains. Elles sont interprétées par Karine Deshayes et deux jeunes chanteurs français : Marie-Laure Garnier er Kaëlig Boché.

Si les albums de « mélodies sur des poèmes de … », tels ceux restés célèbres que Felicity Lott consacra à Hugo ou Baudelaire, présentent une (relative) homogénéité littéraire, ils sont souvent fort disparates quant à la musique, les poètes ayant pu susciter l’inspiration de musiciens appartenant aux époques ou aux écoles les plus diverses. Ce CD Alexandre Dumas et la musique (qui contient par ailleurs six mélodies composées sur des poèmes non signés par l’auteur du Comte de Monte-Cristo) n’échappe pas à la règle : s’y côtoient des musiciens nés au tout début du XIXe siècle – voire à la fin du XVIIIe –, et d’autres dont le talent s’épanouit essentiellement dans la seconde moitié du siècle, ou même au début du XXe.

Mais c’est peut-être précisément la grande variété de cet enregistrement qui en fait l’intérêt : en mêlant ainsi romances à l’ancienne, mélodies plus novatrices, pièces sollicitant deux voire trois chanteurs, un piano et parfois (à quatre reprises) un violoncelle (bravo à Raphaël Jouan et Alphonse Cemin pour leur accompagnement empreint d’une poésie sobre, toujours en symbiose avec l’interprétation vocale), ce CD offre un panorama sinon complet, du moins assez représentatif de la romance et de la mélodie françaises au XIXe siècle, telles qu’elles fleurirent notamment dans les salons de l’époque romantique.

Ne nous leurrons pas : si nous découvrons ici ou là, à côté de quelques pièces bien connues (Élégie de Massenet, La Belle Isabeau ou La Captive de Berlioz, la « Berceuse » tirée du Jocelyn de Godard) plusieurs mélodies ravissantes et/ou touchantes, d’autres sont d’un intérêt musical relatif, parfois  insignifiantes, ou même ratées (le « Soleil couchant » tiré des Feuilles d’automne d’Hugo, à la versification délicate et aux subtils jeux rythmiques, est ainsi franchement dénaturé par la musique de Massenet !). Mais l’on découvre avec plaisir et intérêt certains compositeurs parfois (fort) peu connus (Joseph Doche, Edmond Guion, Henri Reber, Francis Thomé), ou une page composée par le célèbre ténor Gilbert Duprez (« Nita la gondolière ») ; on prend plaisir à écouter certaines pages restées célèbres mais rarement entendues (le « Chœur des Girondins » du Chevalier de Maison-Rouge d’Alphonse Varney)…

                  Costume de Chollet pour l’acte II de Piquillo, Théâtre de l’Opéra-Comique, 1837

Jenny Colon et Chollet à l’Acte II de Piquillo (Opéra-Comique, 1837)

…et l’on est ravi que nous soit proposé un extrait du rare Piquillo qu’Hippolyte Monpou (le livret est signé Dumas et Nerval) fit représenter à l’Opéra-Comique à la fin de l’année 1837.

Vocalement, les choses sont inégales : Karine Deshayes fait valoir ses habituelles qualités d’interprète (elle se montre constamment sensible au sens des mots et à la teneur poétique des textes qu’elle dit), et la grande clarté d’un timbre qui reste rond et doux même dans les notes les plus aiguës de la tessiture. Ce n’est pas tout à fait le cas de Marie-Laure Garnier qui est parfois en difficulté dans l’aigu, le timbre perdant de son velouté et la diction de sa clarté. Soprano, la chanteuse possède, dans le médium, une voix aux couleurs paradoxalement bien plus sombres que celles de sa consœur mezzo, et est capable de délivrer de beaux graves, sonores et légèrement poitrinés : et si cette chanteuse était finalement plus mezzo que soprano ?… Le ténor Kaëlig Boché (dont Laurent Bury avait déjà apprécié le talent dans un CD consacré à Jean Cartan) se montre quant à lui parfaitement à l’aise dans les huit pièces qui lui échoient. Si la voix est peut-être (encore) un peu mince – mais l’interprète est tout jeune, elle a encore le temps de gagner en épaisseur ! –, le timbre est d’une couleur très agréable, la musicalité sans faille et la diction impeccable. Une voix qui semble faite pour l’opéra-comique, l’opérette, la mélodie, ou certains emplois mozartiens légers (il serait sans doute un excellent Pedrillo de L’Enlèvement au sérail !)