Ravel, Chansons et mélodies (Victor Sicard, Anna Cardona) – Populaire et naturel plutôt que donquichottesque

Un programme Ravel qui permet à Victor Sicard de s’inscrire dans une tradition de chant français dont il se montre par bien des côtés le digne héritier.

Le baryton français Victor Sicard n’a pas encore incarné de grands rôles sur les scènes, mais on a pu le remarquer en Yamadori à Limoges et Rouen ou en saisissante Tisiphone dans L’Amour et Psyché de Mondonville (associé à Pygmalion de Rameau) à Dijon, Lille et Caen. Pour ce qui a tout l’air d’être son premier disque en solo, il a eu l’intelligence de choisir un répertoire qu’il fréquente depuis une dizaine d’années, dans sa langue, avec pour partenaire une pianiste qu’il connaît bien puisqu’ils forment également un couple à la ville, ainsi qu’il s’en explique très simplement dans le livret d’accompagnement.

Même si la plupart de ces œuvres ont été historiquement créées par des voix féminines, au premier rang desquelles figure la grande Jane Bathori, les mélodies de Ravel ont surtout été servies par des voix masculines, et en particulier des voix graves. Victor Sicard s’inscrit dans une tradition de chant français dont il se montre par bien des côtés le digne héritier, on y reviendra. Cependant, on avouera que le disque s’ouvre sur une déception. Les trois chansons qui forment Don Quichotte à Dulcinée était destinées à Chaliapine, c’est-à-dire à une basse, autrement dit à un vieillard, en termes de caractérisation lyrique. Victor Sicard est jeune, et baryton, et il n’est donc pas Don Quichotte. Le personnage – car il s’agit malgré tout de théâtre – n’est pas là ; c’est surtout sensible dans la prière, et les (contestables) effets d’ivrognerie introduits dans la chanson à boire n’y changent rien. Il est dommage que le programme démarre avec cette erreur de casting, car la suite est bien plus réussie.

Les Chansons madécasses pourront encore susciter quelques réserves, par le côté trop sautillant de la partie centrale de « Nahandove », par un relatif manque de liant dans cette première des trois, mais « Aoua » a la véhémence nécessaire et convainc tout à fait.  Il est heureux que son cycle ait pu être introduit, et sous sa forme originale, grâce à la participation d’une flûtiste et d’un violoncelliste.

Les deux groupes de mélodies « populaires » fonctionnent bien, surtout les grecques, où la jeunesse de la voix et le naturel de la diction coïncident idéalement avec les thèmes et le style. Anna Cardona n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de répondre aux sollicitations de Ravel qui ne relègue jamais le piano à l’arrière-plan.

Quant aux Histoires naturelles, elles sont l’œuvre par laquelle Victor Sicard fut initié à la mélodie ravélienne, et l’on y sent une intimité de longue date de l’interprète avec sa partition, et un très juste dosage des éléments expressifs.

La dernière plage du disque est une œuvre relativement peu fréquentée, « Sur l’herbe », où le Verlaine des Fêtes galantes fait dialoguer en un délicieux coq-à-l’âne plusieurs personnages issus d’un XVIIIe siècle fantasmé. Victor Sicard s’épanouit dans cette esquisse qui fait inévitablement songer au « Placet futile » des Trois poèmes de Stéphane Mallarmé, et l’on se dit qu’il y aurait là une autre partition ravélienne qui pourrait fort bien lui convenir, à condition bien sûr de réunir la formation de chambre nécessaire. Ce sera pour un prochain disque, peut-être…

Les artistes

Victor Sicard, baryton
Anna Cardona, piano
Aurélien Pascal, violoncelle
Mathilde Calderini, flûte.

Le programme

Ravel. Mélodies

Enregistré du 9 au 12 septembre en l’église protestante luthérienne de Bon-Secours, Paris

1 CD La Musica  LMU 020  68’30