Beethoven, LIEDER par Matthias GORENE

Les artistes

Matthias Goerne, baryton
Jan Lisiecki, piano

Le programme

Six lieder de Gellert, Resignation, An di Hoffnung op. 32, Gesang aus der Ferne, Maigesang, Der Liebende, Klage, An die Hoffnung op. 94, Adelaide, Wonne der Wehmut, Das Liedchen von der Ruhe, An die Geliebte, An die ferne Geliebte

Deutsche Grammophon, 2020
Aucun texte de présentation en français, pas de traduction des lieder en français

Matthias Goerne et Jan Lisiecki apportent une contribution exceptionnelle à la musique vocale beethovénienne, avec un album au programme remarquablement conçu.

Les pièces vocales de Beethoven ont souffert, du vivant même du compositeur, d’une réputation médiocre : la Allgemeine Musikalische Zeitung n’écrivait-elle pas, lors de la parution en 1805 des 8 lieder de jeunesse op. 52 : « Comment se fait-il qu’un homme pareil, non seulement produise quelque chose d’aussi banal, d’aussi pauvre, d’aussi plat, et même parfois d’aussi ridicule, mais aille en plus le publier ! » ? Quant au célèbre critique Hanslick, il ne sauve guère de la production mélodique de Beethoven que la célèbre Adélaïde op. 46, « le seul lied de Beethoven dont la perte signifierait une lacune dans le patrimoine spirituel de notre nation ». Est-ce pour cette raison que ces lieder n’atteignirent jamais la renommée de ceux d’un Schubert ou d’un Schumann ? Quoi qu’il en soit, le temps où l’on se permettait de les évoquer avec autant de mépris semble révolu, et les programmations de ces pièces au concert ou à l’occasion d’enregistrements de CD sont aujourd’hui bien plus fréquentes qu’il n’y a guère.

Matthias Goerne et Jan Lisiecki apportent une contribution exceptionnelle à cette célébration de la musique vocale beethovénienne, avec un album au programme remarquablement conçu. Les classiques du genre  (Adelaide, ou le superbe An die ferne Geliebte, premier cycle de mélodies connu en tant que tel) y côtoient certaines pièces plus rarement entendues, les quatre périodes créatrices de Beethoven se trouvant ainsi représentées : les années de la jeunesse bonnoise avec deux lieder de l’opus 52 (Maigesang et Das Liedchen von der Ruhe), celles de la formation du compositeur à Vienne (Adelaide), celles de la maturité (les six « lieder sérieux de Gellert », le splendide Wonne der Wehmut), les dernières années enfin (An die Hoffnung seconde manière, An die ferne Geliebte). Les pièces retenues demandent aux interprètes une capacité exceptionnelle à varier les couleurs et les atmosphères : des poèmes et de la musique émanent en effet tantôt une certaine austérité religieuse, tantôt diverses émotions profondément humaines (l’espoir brûlant, la déception amoureuse, le désespoir tragique, l’amour passionné, la tentation du suicide, la sérénité résignée…).

C’est peu de dire que Mattias Goerne et Jan Lisiecki y parviennent pleinement. Le jeune pianiste canadien excelle aussi bien dans l’écriture quelque peu austère, inspirée du choral, qui est celle des lieder de Gellert, que dans la mélancolie noire et tourmentée de Klage ou l’écriture mutine du Maigesang. Et surtout, une parfaite adéquation avec le chant de Matthias Goerne permet de donner à l’album une superbe cohérence stylistique, les deux artistes faisant de la sobriété, du soin apporté au détail, de l’infime variation des couleurs les vecteurs de l’émotion les plus efficaces et les plus précieux.

Le temps semble ne pas avoir de prise sur le timbre de Matthias Goerne, qui demeure aujourd’hui l’un des plus beaux qui soient dans le registre de baryton. D’une homogénéité absolue, portée par une technique à ce point maîtrisée qu’elle en vient à se faire complètement oublier, la voix met son velours sombre au service d’une interprétation dont la teneur poétique est rehaussée par le soin constant apporté aux mots et une intelligibilité de tous les instants. Écoutez la facilité avec laquelle les registres sont liés, autorisant un legato parfait dans Adelaide, le soin gourmand apporté à la diction dans la première strophe de Gesang aus der Ferne, la merveilleuse tendresse qui colore le dernier vers de An die Hoffnung, les ineffables demi-teintes dont est nimbée la Resignation…  Dans ces conditions, même les lieder à construction strophique (dont certains chanteurs, parfois, ne chantent – ou n’ont chanté – qu’un seule strophe) ne donnent jamais un sentiment d’immobilisme et constituent, au contraire, des petits miracles de variété et de diversité.

Du très grand art !  Et un nouvel Appassionato pour Première Loge…

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Seule ombre au tableau : fidèle à sa politique actuelle, Deutsche Grammophon ne propose aucune présentation des oeuvres ou des artistes en français, ni aucune traduction en français des textes des lieder. Ces mélodies ne pouvant pleinement s’apprécier que dans le lien qu’ils tissent entre le texte et la musique, Première Loge vous propose ci-dessous la traduction française de tous les lieder présents sur ce CD. Les traductions en caractères gras sont empruntées, avec l’aimable autorisation de l’auteur, à Bernard Banoun, lequel les avait proposées  pour le récital Beethoven de Dietrich Fischer-Dieskau, également paru chez DG.

Six lieder, op. 48
Poèmes de Christian Fürchtegott Gellert

1. Imploration

Dieu, ta bonté a l’immensité
Des espaces que balaient les nuages,
Tu nous couronnes de miséricorde,
Pour nous assister tu te hâtes.
Seigneur, ma forteresse, mon rocher, mon asile,
Entends-moi supplier, écoute mes paroles,
Car je veux prier devant toi !

Je ne demande pas le superflu,                       
Ni tous les trésors de cette terre.
Laisse-moi ce que, selon ta grâce, je dois posséder.
Donne-moi seulement la sagesse et la l’esprit,
afin que je te reconnaisse, toi, mon Dieu, et celui que tu nous as envoyé, et moi-même.        

Ainsi, je ne te demande pas non plus, Dieu Sabaoth,
Une longue vie.
Daigne m’accorder
L’humilité dans la fortune, le courage dans l’adversité.

Ma vie est entre tes mains ;
Que ta miséricorde me soit accordée
Lorsque je me tiendrai devant toi dans la mort.  

2. L’Amour du prochain

Celui qui affirme aimer Dieu
Mais n’a que haine envers ses frères,
Bafoue la vérité de Dieu,
Il la piétine et la déchire.
Dieu est amour, et il ordonne :
Aime ton prochain comme toi-même.

Celui qui a bafoué l’honneur de son voisin
Et aime le voir méprisé,
Et se réjouit lorsque son ennemi meurt,
Ou que tout va mal ;
Celui qui ne contredit pas la calomnie ;
N’aime pas non plus son frère.

Celui qui soutient son prochain
En lui apportant conseils, réconfort et protection
Mais qui ne l’aide que par fierté, intérêt personnel ou veulerie
Et non par obédience ou par devoir
Ne l’aime pas non plus.

Un tribunal implacable
Le jugera,
Qui n’éprouve pas de pitié
Ni ne sauve ceux qui l’implorent.
Donne-moi donc, mon Dieu, par ton esprit.
Un cœur qui te loue par amour.

3. De la mort

Le temps de ma vie s’écoule,
D’heure en heure, je cours à la tombe.
Et qu’est-ce donc, ce qui – peut-être –
Ce qui me reste encore à vivre ?
Songe, humain, songe à ta mort !
Ne tarde pas, car tout finit.

Vaincs-la par la confiance.
Dis : je sais en qui je crois,
Et je sais que je le verrai un jour
Dans ce corps qui est le mien.
Celui qui s’est exclamé : « Tout est accompli ! »
A pris à la mort son pouvoir.

4. La nature célébrant la majesté divine

Les cieux glorifient la majesté de Dieu,
Ils retentissent de son nom,
La terre, les mers, le célèbrent ensemble ;
Entends, humain, ce verbe divin !
Qui donc soutient les astres innombrables
Et guide le soleil hors de l’abri nocturne,
Ce soleil qui paraît, rayonne, nous sourit,
Allant sur son chemin, pareil à un héros ?

5. Puissance et providence divines

Dieu est mon chant !
Il est Dieu de la force,
Grandes sont ses œuvres,
Et sublime est son nom,
Il règne sur tous les cieux.

Telles sont sa volonté et sa parole.
Ainsi naissent et perdurent les mondes.
Et il ordonne ; sous le coup de sa colère,
Le ciel retourne à son néant.

Il connaît ma prière
Et mes plus profondes aspirations.
Il sait comme je peux faire le bien et comme je peux faillir,
Et il s’empresse d’être miséricordieux envers moi.

Rien, rien ne m’appartient
Qui n’appartienne à Dieu.
Seigneur, que la gloire de ton nom
Et tes  louanges soient à jamais sur mes lèvres.

6. Chant de pénitence

Envers toi seul, mon Dieu, envers toi j’ai péché,
Et devant toi souvent j’ai mal agi.
Tu vois mes erreurs, présages de ma damnation,
Mais vois aussi, ô mon Dieu, ma détresse.

Mes soupirs, mes prières, ne te sont pas cachés,
Devant toi je répands mes larmes.
Dieu, ô mon Dieu, combien durera mon souci ?
Combien de temps seras-tu loin de moi ?

Ne considère pas seulement mes péchés,
Ne juge pas mes seules fautes.
Je te cherche, Seigneur, je cherche ton visage,
Dieu d’indulgence et de patience.

Autrefois tu voulus me combler de ta grâce,
Dieu, père miséricordieux.
Réjouis-toi, car tu te nommes Joie,
Tu es un Dieu dispensateur de joie.

Laisse-moi dans la joie marcher sur ton chemin,
Enseigne-moi tes lois sacrées,
Apprends-moi à toujours agir selon ton gré,
Tu es mon Dieu, je suis ton serviteur.

Seigneur, mon bouclier, viens vite m’assister,
Montre-moi une voie sans embûches.
Il entend et exauce mes supplications,
Le Seigneur prend soin de mon âme.

Résignation, WoO 149
Paul Graf von Haugwitz

Éteins-toi, ma lumière ! Ce qui te manque
N’est plus ici, en cet endroit,
Tu ne pourras plus jamais le retrouver !
Il te faut maintenant t’en détacher.
Autrefois, tu t’es joyeusement consumée,
Maintenant, on t’a privée de ton air ;
Quand celui-ci s’est enfui, la flamme vacille,
Cherche, ne trouve pas ; éteins-toi, ma lumière !

À l’Espérance, op.32, première version (1805)

Christoph August Tiedge

Toi qui illumines les nuits sacrées,
Qui d’un doux voile recouvres le chagrin,
Tourment une âme sensible,
Ô Espérance ! Relève celui qui souffre,
Laisse-le sentir que là-haut
Un ange compte ses larmes !

Lorsque les voix aimées depuis longtemps se taisent,
Lorsque sous des branchages secs
S’étiole le souvenir :
Approche-toi du lieu où pleure
Qui tu abandonnas, dont l’unique soutien,
Dans la terrible nuit, sont des urnes ensevelies.

Et s’il lève les yeux, accusant le Destin,
Lorsque, disant adieu, se couchent
Les derniers rayons sur ses jours :
Montre-lui, sur les bords du rêve de la terre
Les nuages ourlés de lumière,
Éclat d’un tout proche soleil !

 

Chant du lointain, WoO 137 

Christian Ludwig Reissig

Quand je ne connaissais point
Les larmes de la nostalgie,
Quand les lointains envieux
Ne me séparaient de m’amie,
En ce temps-là ma vie était
Comme une couronne fleurie,
Un bosquet plein de rossignols,
Un jeu, une danse légère !

Désormais cette nostalgie
M’entraîne vers les collines,
Pour rêver au loin du sourire
De celle que chérit mon cœur !
Là, mes regards languissants
Scrutent longtemps les environs ;
Mais ils ne trouvent jamais
Ce qui pourrait me contenter.

Il bat, ce cœur , comme si
Tu étais là, à mon côté ;
Viens, ô ma douce aimée,
Le voici, celui qui t’adore !
À toi je donnerai tout,
Tout ce que Dieu m’accorda,
Car jamais je ne connus
Amour si fort et si ardent.

Viens vite, ô mon adorée,
Pour célébrer nos épousailles ;
Je cueille les roses et myrtes
Qui orneront ton pur visage.
Viens par tes charmes changer
Ma cabane en temple paisible,
En sanctuaire des délices,
Dont tu seras la déesse !

Chant de mai, op. 52

Johann Wolfgang von Goethe

Comme la nature resplendit
Merveilleusement pour moi !
Comme le soleil brille !
Comme rit la prairie !

Des fleurs éclosent
De chaque branche
Et mille voix
Jaillissent des buissons

Et la joie, et la félicité,
De tous les cœurs !
Ô terre, ô soleil,
Ô bonheur, ô plaisir !

Ô amour, ô amour !
Du même éclat doré
que celui des nuages du matin,
Sur ces hauteurs !

Tu envoies une merveilleuse bénédiction
Sur les champs pleins de fraîcheur,
Dans une brume de fleurs,
Sur le monde tout entier !

Ô jeune fille, jeune fille
Comme je t’aime !
Comme ton regard brille,
Comme tu m’aimes !

Comme l’alouette aime
Le chant et l’air
Et la fleur du matin
Le souffle du ciel,

Ainsi je t’aime
D’un amour brûlant,
Toi qui m’apportes
Jeunesse et joie, et qui m’insuffles le désir

De nouvelles chansons
Et de danses.
Sois éternellement heureuse,
Comme tu m’aimes !

L’homme qui aime, WoO 139 

Christian Ludwig Reissig

Quelle merveilleuse vie,
Ce plaisir mêlé de douleur,
Mon coeur à présent palpite
D’une agitation inconnue !
Mon coeur, pourquoi bats-tu si fort ?
C’en est fini de ton repos;
Parle, qu’est-il advenu ?
Jamais je ne te vis ainsi.

L’œillet,  cette fleur des dieux,
A-t-il enflammé ton amour,
Lui qui dans le sanctuaire
De la pure innocence fleurit ?
Oui, cette belle fleur céleste
Au regard enchanteur et bon
Me tient prisonnier d’un lien
Qui ne se laisse pas rompre.

Quand je veux fuir mon adorée,
Des larmes tremblent dans mes yeux,
Et les génies de l’amour
Ont tôt fait de me retenir.
Car ce cœur sans cesse pour elle
Bat d’une violente ardeur.
Mais hélas, elle ne sent rien
De ce cœur qui par mes yeux lui parle.

 

Plainte, WoO 113 

Ludwig Hölty

Dans la forêt verte et fraîche de chênes
Tu répandais sur moi tes rayons argentés,
Ô lune, tu accordais un calme souriant
À l’enfant joyeux que j’étais.

Désormais ta lumière tombe par la fenêtre,
Sur le jeune homme que je suis,
Elle ne donne plus ni calme ni sourire
À mes yeux pleins de larmes et à mes pâles joues.

Bientôt, amie, bientôt ton éclat argenté
Luira, hélas, sur l’urne funéraire
Où mes cendres seront,
Celles du jeune homme que je fus.

À l’espérance
Op. 94, seconde version, augmentée (1815)

Christoph August Tiedge
(extrait du premier chant d’Urania)

Existe-t-il un Dieu ? Saura-t-il exaucer
Ce qu’un désir en pleurs appelle de ses vœux ?
Cet être, cette énigme, se révélera-t-il
Devant quelque jugement dernier ?
L’homme doit espérer, et non interroger !

Toi qui illumines les nuits sacrées,
Qui d’un doux voile recouvres le chagrin,
Tourment d’une âme sensible,
Ô Espérance ! Relève celui qui souffre,
Laisse-le sentir que là-haut
Un ange compte ses larmes !

Lorsque les voix aimées depuis longtemps se taisent,
Lorsque sous des branchages secs
S’étiole le souvenir :
Approche-toi du lieu où pleure
Qui tu abandonnas, dont l’unique soutien,
Dans la terrible nuit, sont des urnes ensevelies. 

Et s’il lève les yeux, accusant le Destin,
Lorsque, disant adieu, se couchent
Les derniers rayons sur ses jours :
Montre-lui, sur les bords du rêve de la terre
Illuminant la crête des nuages,
Éclat d’un tout proche soleil !

À l’espérance, op. 94, seconde version, augmentée (1815)

Christoph August Tiedge

Existe-t-il un Dieu ? Saura-t-il exaucer
Ce qu’un désir en pleurs appelle de ses vœux ?
Cet être, cette énigme, se révélera-t-il
Devant quelque jugement dernier ?
L’homme doit espérer, et non interroger !

[Strophes suivantes identiques à celles de la version de 1805]

Adelaide, op. 46 

Friedrich von Matthisson

Solitaire, ton ami erre dans le jardin printanier
Baigné d’une délicieuse et magique lumière
Qui tremble à travers les ondoyants rameaux en fleurs,
Adélaïde !

Reflétée par le torrent ou la neige des Alpes,
Dans les nuages d’or du jour déclinant,
Dans la voûte étoilée, ton image rayonne,
Adélaïde !

La brise du soir chuchote à travers le tendre feuillage,
Les cloches argentées de mai tintent dans l’herbe,
Les vagues bruissent et les rossignols sifflent,
Adélaïde !

Un jour, ô merveille, sur ma tombe naîtra une fleur
Des cendres de mon cœur ;
Sur chaque feuille pourpre brillera clairement ton nom,
Adélaïde !

Délices de la mélancolie, op.83 

Johann Wolfgang von Goethe

Ne séchez pas, non, ne séchez pas,
Larmes de l’éternel amour !
Les yeux, même à peine séchés,
Ne voient que désert, vide et mort !
Ne séchez pas, non, ne séchez pas,
Larmes de l’amour malheureux !


Chansonnette du repos, op. 52 

Hermann Wilhelm Frantz Ueltzen

Il ferait bon reposer dans les bras de l’amour,
Tout comme au sein de la terre.
Que je trouve le repos
Ici ou là,
C’est ce que mon âme cherche, ce à quoi elle pense, elle médite,
Et elle  supplie la Providence de le lui apporter.

Il ferait bon reposer dans les bras de l’amour !
Mais en vain, hélas, il me fait signe.
Près de toi, Elise, je trouverais
Sans doute le repos.
De dures lois humaines t’écartent loin de moi
Et je m’étiole dans la fleur de l’âge !

Il ferait bon reposer dans le sein de la terre,
Tranquillement, sans importuns.
Ici le cœur est plein de chagrin,
Rien là-bas ne lui pèsera.
Le sommeil est si doux, si calme
Qui nous conduit au paradis.

Hélas, où pourrais-je bien trouver l’apaisement
De tous mes tourments ?
Il ferait bon reposer dans les bras de l’amour,
Tout comme au sein de la terre.
Bientôt, je devrai me reposer ; il importe peu à l’homme fatigué
De savoir où.

À la bien-aimée, WoO 140 (1811)

Joseph Ludwig Stoll

Laisse-moi de ton œil tranquille
Et tout illuminé d’amour
Dérober sur ta joue ces larmes
Avant que la terre ne les boive !
Hésitantes, brûlantes, elles coulent,
Toutes vouées à la fidélité !
Puisque mon baiser les reçoit,
Ta souffrance aussi est à moi !

À la bien-aimé lointaine, op. 98  

1.
Je suis assis sur la colline, regardant,
Le paysage bleu embrumé,
Et les pâturages lointains
Où je t’ai trouvée, toi, ma bien-aimée.

Je suis parti loin de toi,
La montagne et la vallée nous coupent
de notre tranquillité,
de notre bonheur et de notre souffrance.

Ah! tu ne peux pas voir ce regard,
qui, éclatant, se hâte vers toi
et les soupirs s’envolent
dans l’espace qui nous sépare !

Plus rien ne peut donc plus te toucher ?
Plus rien ne peut être messager de l’ amour ?
Je veux chanter, chanter des chants
qui te portent ma plainte et ma souffrance !

Car le son d’une chanson abolit
L’espace et le temps,
Et un cœur aimant parvient à faire sienne
L’offrande d’un autre cœur aimant.

2.
Là où les monts si bleus
Hors de la brume grise
Se laissent apercevoir,
Là où le soleil est ardent,
Là où s’avance le nuage,
Je voudrais être! Douceur ineffable 

Là-bas dans la vallée tranquille
Se taisent les douleurs et la souffrance.
Là où sur la pierre,
La primevère médite tranquillement,
Là où le vent souffle si légèrement,
Je voudrais être.

Vers la forêt pensive
La force de l’amour me pousse.
Tourment intérieur…
Ah! mais rien ne me ferait partir d’ici
Si je pouvais, ma bien-aimée, près de toi
Rester éternellement !

3.
Oiseaux légers dans les cieux,
Et toi, petit ruisseau,
si vous pouvez voir ma bien-aimée,
saluez-la de ma part des milliers de fois !

Vous, nuages, si vous la voyez marcher
En méditant dans la vallée tranquille,
Laissez mon image s’élever devant elle
Sous la voûte céleste.

Si elle se tient près des buissons
Qui, en cet automne, ont perdu couleurs et feuillage,
Racontez-lui ce qui m’est arrivé,
Petits oiseaux, racontez-lui ma douleur !

Calmes vents d’ouest, portez, par votre brise,
À l’élue de mon cœur
Mes soupirs, qui s’éteignent
Comme le dernier rayon du soleil.

Susurre-lui ma peine d’amour,
Laisse-la, petit ruisseau,
Voir fidèlement dans ton onde
Mes larmes sans nombre !

4.
Ces nuages dans les cieux,
ce joyeux envol des oiseaux
vont te voir, ô bien-aimée!
Emmenez-moi avec vous dans votre vol léger ! 

Ces vents d’ouest vont s’amuser
en riant sur tes joues, ta poitrine,
tes boucles soyeuses.
Puissé-je partager ce bonheur avec vous !

De ces collines,
Ce ruisseau s’empresse de descendre vers toi.
Si l’image de ma bien-aimée se reflète dans tes eaux,
Alors, remonte vite vers moi !

5.
Le mois de mai revient, les prairies fleurissent,
L’air souffle de façon si douce, si tiède,
Et les rivières coulent maintenant  en bavardant.
L’hirondelle rentre à son logis,
Elle s’affaire à construire sa demeure nuptiale,
L’amour doit y habiter.

Elle apporte d’ici et là
Des brins plus doux pour le lit nuptial,
Des brins plus chauds pour les petits.
Maintenant les époux habitent ensemble et vivent fidèlement ;
Ce que l’hiver avait séparé, mai le rassemble à présent,
Ce qui s’aime, il sait le réunir. 

Le mois de mai revient, les prairies fleurissent,
L’air souffle de façon si douce, si tiède,
Moi seul ne peux partir d’ici.
Alors que le printemps réunit tout ce qui s’aime,
Notre amour seul ne voit aucun printemps
Et n’a, en partage, que des larmes.

6.
Accepte-les donc, ces chansons
que je te chantais, ma bien-aimée,
Chante-les à ton tour le soir
Au doux son du luth.

Quand le crépuscule descend
Vers le lac calme et bleu
Et que son dernier rayon disparaît
derrière cette crête montagneuse ;

Et que tu chantes ce que je chantais,
Ce qui, de mon sein,
S’exhalait sans artifice,
Avec la seule conscience de cette nostalgie :

Alors, que ces chansons abolissent
Ce qui nous a séparés,
Et qu’un cœur aimant parvienne à faire sienne
L’offrande d’un autre cœur aimant.

(Traductions : Stéphane Lelièvre et Bernard Banoun)