Camille Saint-Saëns, LE TIMBRE D’ARGENT

Les artistes

Conrad   Edgaras Montvidas
Hélène   Hélène Guilmette
Spiridion   Tassis Christoyannis
Bénédict   Yu Sho
Rosa   Jodie Devos 
Patrick   Jean-Yves Ravoux
Un Mendiant   Matthieu Chapuis

Chœur accentus, Les Siècles, dir. François-Xavier Roth

Le programme

Le Timbre d’argent

Drame lyrique en 4 actes de Camille Saint-Saëns, livret de Jules Barbier et Michel Carré,  créé le 23 février 1877 au Théâtre National Lyrique à Paris.

2 CD Palazzetto Bru Zane 8409201909
Enregistré au Studio de la Philharmonie de Paris les 26 et 27 juin 2017
Durée 147′ 29′

Nous l’aurons attendu, cet enregistrement du Timbre d’argent, qui paraît trois ans après les représentations données à l’Opéra-Comique (en juin 2017, dans une mise en scène de Guillaume Vincent). Mais notre attente est bien récompensée puisque ce livre-disque, volonté de l’éditeur ou hasard du calendrier, arrive à point nommé pour lancer le bicentenaire de la disparition de Saint-Saëns, et comble tous nos vœux en termes de qualité artistique.

La genèse du Timbre d’argent, extrêmement complexe (il existe pas moins de dix versions de l’ouvrage, la première revêtant la forme d’un opéra-comique avec dialogues parlés) ainsi que sa richesse musicale sont, comme toujours dans cette collection, minutieusement étudiées par des spécialistes à l’érudition aussi incontestable qu’accessible (Hugh Macdonald, Marie-Gabrielle Soret et Gérard Condé). L’œuvre est ici enregistrée dans sa version de 1914, conçue par le compositeur à l’occasion de représentations données à Bruxelles. Les dialogues parlés y font place à des récitatifs : selon les mots mêmes de Saint-Saëns, « l’opéra-comique est devenu un grand opéra ».

L’œuvre retient l’attention par de nombreuses qualités qui lui sont propres  : richesse de l’orchestration, utilisation originale de « motifs » musicaux, coupe étonnamment libre de certains airs, extrême diversité des tons : « Il y a de tout dans cet ouvrage, qui va de la Symphonie à l’Opérette en passant par le Drame lyrique et le Ballet », déclarait Saint-Saëns lui-même dans son texte de présentation de l’ouvrage rédigé à l’occasion des représentations bruxelloises. Mais indépendamment de ces qualités, Le Timbre d’argent surprend également par une intertextualité et une interopéralité, si l’on nous permet ce néologisme, absolument étonnantes : l’influence d’Hoffmann est bien sûr indéniable, mais le motif même d’un timbre diabolique dont l’usage permet de réaliser ses vœux est directement emprunté aux Mémoires du diable de Frédéric Soulié ; l’influence du Faust de Goethe ou de La Dame au collier de velours de Dumas est tout aussi incontestable ; quant aux opéras que la partition et le livret évoquent ou, parfois, annoncent, ils sont tout aussi nombreux. Le Timbre d’argent s’inscrit ainsi dans une longue tradition que le mélomane s’amuse à reconstituer, et témoigne également de la façon dont les librettistes – et les musiciens – s’inspirent des œuvres qui les ont précédés, et  « plongent parfois dans le connu… pour créer du nouveau ! »

Le Timbre d’argent à l’Opéra Comique (bande-annonce)

L’enregistrement a eu lieu en juin 2017, soit précisément dans la foulée des représentations données à l’Opéra Comique. Il préserve ainsi l’enthousiasme des interprètes et l’urgence de la scène, très nettement audibles notamment dans la lecture à la fois pleine de finesse, de nervosité et de poésie délivrée par François-Xavier Roth, à la tête d’un formidable orchestre Les Siècles et d’un chœur (Accentus) étonnant de clarté et d’intelligibilité.

L’intelligibilité, c’est aussi la première qualité de Yu Shao, Bénédict exemplaire dont l’émission franche et le timbre clair conviennent particulièrement bien au personnage. Son « Demande à l’oiseau qui s’éveille » du premier acte est particulièrement touchant. Tassis Christoyannis ne lui cède en rien en termes de diction et d’intelligibilité. Sans histrionisme, il rend compte de chacune des facettes de son personnage, diable tour à tour inquiétant et drôle, mais aussi médecin attentif et protecteur.

C’est à Edgaras Montvidas qu’échoit le rôle-titre. La voix possède un petit vibrato qui a tendance à s’accentuer dans l’aigu, et peut-être pourrait-on reprocher au ténor une expression un peu trop uniformément plaintive. Mais enfin le rôle est long, plutôt lourd (avec de nombreux épanchements lyriques et quelques éclats dramatiques), et le ténor l’affronte avec beaucoup de probité. Les voix des sopranos (Hélène Guilmette en Hélène, Jodie Devos en Rosa) manquent parfois un peu de rondeur et de velouté (défaut peut-être accentué par l’enregistrement car on ne se souvient pas l’avoir remarqué lors des représentations scéniques), mais elles se distinguent suffisamment l’une de l’autre pour permettre une caractérisation individualisée des personnages, tout en se mariant harmonieusement dans la belle prière du premier acte : « Ô Vierge mère » – dont les paroles  et l’attribution à deux voix de sopranos évoquent curieusement celle de Mireille et Vincenette dans l’opéra de Gounod : « Ô patronnes des amoureux »…).

Défauts bien sûr minimes qui n’entachent en rien la réussite de cet enregistrement que tout amateur d’opéra français se doit de posséder ! Après les remarquables enregistrements des Barbares et de Proserpine, toujours par le Palazzetto Bru Zane, la résurrection des opéras de Saint-Saëns se poursuit brillamment…  Gageons que cette année du bicentenaire sera l’occasion de nouvelles belles découvertes !