Serge Dorny, Penser l’opéra à présent – Métamorphoses du dionysiaque

Alors que s’ouvre cette saison le mandat de Richard Brunel à l’Opéra de Lyon, celui qui fut directeur de cette institution de 2003 à 2021 et qui vient d’entrer en fonctions au Staatsoper de Munich fait paraître chez Actes Sud un volume en forme de bilan et d’interrogation sur le devenir de l’art lyrique, ce que Régis Debray appelle dans sa préface les métamorphoses du dionysiaque, avec la participation d’un certain nombre d’acteurs du monde de l’opéra.

Mémoires d’un Belge

Le fil rouge ou fil d’Ariane du volume – métaphore rendue visible par le dessin d’une pelote aux deux extrémités du trait rouge qui traverse toutes les pages – est constitué par les propos de Serge Dorny, en réponse à un interlocuteur qui n’est jamais nommé : ce n’est peut-être qu’un artifice, mais s’il s’agit bien de réponses à des questions, on peut supposer qu’elles ont été posées par Nathalie Moine, sous la direction de laquelle est publié l’ouvrage. L’ex-directeur de l’Opéra de Lyon commence assez naturellement par retracer son parcours, qui fut radicalement transformé par la rencontre avec son compatriote Gerard Mortier : nommé dramaturge au Théâtre de la Monnaie en 1984, il garde de son mentor la conviction en la valeur politique de l’opéra, en « l’efficience sociale de l’art » (même si l’on peut s’étonner de trouver Ravel parmi les « grands créateurs profondément enracinés dans la cité »). Serge Dorny exprime son admiration pour les metteurs en scène qu’il a vu aboutir à une certaine radicalité, il souligne la nécessité des créations lyriques, et surtout la nécessité de reprendre ces créations, sans cacher son peu de goût par la « commande en aveugle » dans le cadre de coproductions internationales – sa préférence va, et on le comprend, à la rencontre personnelle avec un compositeur et au travail en commun avec lui et le librettiste. La pandémie lui paraît favorable à un retour au système des troupes, favorable selon lui à la démocratisation culturelle, avec cet idéal constant : « Labourer et semer ».

Le chœur des dissonances

Une douzaine de témoignages s’intercalent tout au long du livre, avec des discours parfois assez contrastés. Il y a le noyau germanique composé de metteurs en scène, dramaturges, cinéastes et critiques, dont certains avancent des idées qui feront bondit plus d’un lecteur : recours généralisé à l’électronique lors des représentations d’opéra, liberté totale de tripatouiller les partitions… Krzyszof Warlikowski (dont on n’a vu à Lyon que De la maison des morts) livre une interview non exempte de propos abscons, et le metteur en scène polonais n’est pas loin de l’Annoncier du Soulier de satin lorsqu’il déclare « Dès qu’il y a quelque chose d’intelligent, le public d’opéra s’énerve ». Le lecteur français découvrira avec intérêt ce qu’Alexander Neef souhaite dire sur ses fonctions à la tête de l’Opéra de Paris, sa volonté d’instaurer une relation de confiance avec les spectateurs : « La raison d’être de tout théâtre est bien de servir le public, n’est-ce pas ? » Longtemps directrice de l’Opéra de Marseille, Renée Auphan évoque avec nostalgie un temps où il n’y avait ni syndicats, ni grèves, et où l’administratif n’était pas encore hypertrophié. Et il revient à Christian Merlin de souligner que sont venus à Lyon tous les grands noms qui ont renouvelé la mise en scène d’opéra au cours des vingt dernières années. Il rejoint Georges Banu pour considérer que comme Dieu, l’opéra vomit les tièdes (voir page 50 et page 78), et l’on peut retenir cette belle formule du critique du Figaro : « à l’opéra, les prédateurs sont souvent plus intéressants que les serviteurs, et il ne faut pas en avoir peur ».

Serge Dorny, Penser l’opéra à présent

[Actes Sud] Beaux-Arts
Hors collection
Novembre, 2021

ISBN : 978-2-330-15434-9