Le Voyage d’hiver par DiDonato et Nézet-Séguin. Charlotte et Werther sont dans un bateau…

Winterreise DiDonato Nézet-Séguin

La mezzo-soprano Joyce Di Donato et le pianiste (et chef d’orchestre) Yannick Nézet-Séguin se lancent dans ce Voyage d’hiver portés par un concept simple et lumineux. Une approche, censément nouvelle, aussi séduisante soit-elle, suffit-elle à conduire sur les chemins de l’émotion ? À voir… ou peut-être à regarder.

Vous vous rappelez sûrement une certaine Charlotte relisant sans cesse les lettres de Werther ? Eh bien, imaginez maintenant une femme, amour perdu d’un narrateur, dont elle relirait le journal intime.   Ajoutez à cela un piano jouant le rôle du protagoniste originel de Schubert et vous obtiendrez un voyage musical parallèle, prometteur d’émotion.

Si l’approche de Joyce Di Donato et Yannick Nézet-Séguin semble couler de source, on peut se demander si elle ajoute quelque chose au chef-d’œuvre de Franz Schubert. L’oreille est pourtant immédiatement séduite par l’interprétation de nos deux artistes. Que cela est magnifiquement chanté ! Le travail sur les couleurs et la prononciation est superlatif et on n’en attendait pas moins de Joyce Di Donato, connaissant son amour des textes et ses perpétuelles recherches sur la vocalité et le travail des couleurs. On se plait aussi à retrouver d’ailleurs ici et là quelques graves alla Christa Ludwig qui ne sont pas pour nous déplaire. Le souffle est long, le legato exemplaire sans afféteries inutiles. À peine remarque-t-on quelques aigus plus tendus en deuxième partie du cycle (« Die Post ») mais mettons cela sur le compte d’une expressivité extravertie. Précisons tout de même que ce disque est un enregistrement live (comme en attestent quelques audibles toussotis récurrents), 70 minutes de chant autorisent évidemment quelques faibles baisses de régime. Remarquons aussi quelques [t] finaux peut-être trop marqués mais, au moins, ne pourrons-nous pas reprocher à notre mezzo-soprano de trembler devant les consonnes de la langue de Gœthe et du poète Wilhelm Müller, en l’occurrence, dans le Winterreise.

Au piano, Yannick Nézet-Séguin semble comme un poisson dans l’eau. Le chef d’orchestre est ici un accompagnateur aussi attentif qu’il sait l’être à l’opéra.

Son jeu est joliment perlé sans manquer de puissance aux moments utiles et les changements harmoniques sont bien marqués, voire soulignés (« Gute Nacht »). Dans cet enchaînement sans pause des lieder, on sent la profondeur du travail de notre binôme. Une rigueur aboutissant même à une jouissive forme de fusion dans les attaques et conduites des lignes musicales.

La prise de son est à l’avenant avec un piano bien présent et un bel équilibre piano-voix vacillant légèrement dans un « Der stürmische Morgen » au piano très présent.

Tout cela est beau, très beau,   mais à la fin, que reste-t-il du concept initial ?  Le narrateur au piano, l’amour perdu au chant, tout cela est bien genré mais peut-être un peu trop rangé. La dame, telle Charlotte, n’a-t-elle pas  un peu trop relu ces lettres ? Où sont la surprise, le soupir ou l’effroi à la découverte de ces mots ? Elle semble plus s’émoustiller elle-même qu’éveiller en nous un quelconque frisson. Peut-être s’est-elle un peu embourgeoisée avec le temps ? Pourquoi pas, elle en a le droit. Et imaginer le narrateur au piano n’apporte pas grand-chose au tableau sauf à se demander ce que serait devenu ce couple avec les années. Elle, gentiment rangée et lui, autrement dérangé…

Le chef d’œuvre de Schubert n’avait sûrement pas besoin de concept pour émouvoir, en tous cas au disque, mais il semble en être tout à fait autrement à la vue des vidéos de ce concert. Là, l’approche de Joyce Di Donato et de Yannick Nézet-Séguin prend tout son sens et la théâtralité du parti pris fait mouche. Nous attendons donc le DVD avec impatience, histoire de regarder ce qu’il y avait à entendre dans ce Voyage d’hiver.

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Les artistes

Joyce DiDonato, mezzo-soprano

Yannick Nézet-Séguin, piano

Le programme

Winterreise, Franz Schubert

1 CD Erato, avril 2021 
Enregistrement réalisé au Carnegie Hall en décembre 2019