Édito de juin : la saison des saisons

Le printemps est, traditionnellement, la période où les salles d’opéra font paraître leur programmation pour la saison à venir. En théorie, composer une saison lyrique est très simple : il s’agit d’équilibrer les répertoires (en essayant de n’en oublier aucun) ; les raretés et les piliers du répertoire[1] ; les nouvelles productions et les reprises ; les artistes confirmés et les jeunes talents à découvrir. Dans les faits, les choses se compliquent évidemment… Certains impératifs pratiques ou économiques viennent en effet rappeler aux directrices et directeurs de salle une dure réalité bien souvent inconciliable avec un projet plus ou moins parfait virtuellement, mais condamné à rester à l’état de « fantasme » –  ou à se voir amputé de plusieurs de ses volets, souvent les plus intéressants, parce que les plus originaux mais aussi les plus « risqués » en termes de rentabilité… Comment représenter tous les répertoires dans une saison dont le budget ne permet de présenter que quatre ou cinq titres ? Comment oser la création ou les raretés, quand on connaît la (relative) frilosité du public – et quand le public commence par ailleurs tout juste à remplir de nouveau les salles ? Comment multiplier les nouvelles productions, inviter les grands noms du chant quand le budget, en raison de la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, devient de plus en plus serré, ou quand les subventions deviennent parfois plus difficiles à obtenir, du moins dans les mêmes proportions qu’autrefois ?

De fait, certaines programmations se ressentent quelque peu de ces difficultés. Ainsi, l’Opéra national de Bordeaux, après une saison 22-23 de transition un peu allégée, ne propose guère que trois opéras l’an prochain (si l’on excepte West side story et trois opéras « revisités ») : le nouveau directeur Emmanuel Hondré n’a d’ailleurs pas caché à nos confrères de Sud Ouest que la saison 23-24 avait été « très difficile » à programmer…

Pourtant la plupart des programmations parues à ce jour font bonne figure et témoignent des efforts fournis pour continuer à proposer des spectacles variés et attractifs. S’il reste très difficile de finaliser et de monter une saison lyrique riche et cohérente, il est en revanche extrêmement facile de critiquer, et les commentaires négatifs – voire carrément désobligeants – font florès et pleuvent notamment sur les réseaux sociaux comme chaque année. Untel estime que la Scala (qui programme en 23-24 Le Chapeau de paille de Florence de Nino Rota, Médée de Cherubini, L’Orontea de Cesti et La rondine de Puccini, autant de titres qui ne comptent vraiment pas parmi les plus programmés aujourd’hui) ne propose rien d’intéressant l’an prochain ; plusieurs de nos confrères trouvent la programmation de l’Opéra de Paris très pauvre (ce n’est pas notre avis…), etc.

Nous sommes pour notre part, au contraire, heureux de constater que globalement, malgré les incontestables difficultés, nombreux sont les théâtres qui parviennent à renouer avec une dynamique positive. À titre d’exemples : sept opéras (dont un baroque, un classique, deux romantiques, deux véristes et une création) sont programmés l’an prochain à Toulon, en dépit de la fermeture de l’Opéra pour travaux) ; Strasbourg programme le très rare Guercœur de Magnard aux côtés du Lohengrin de Michel Spyres, ou de la Norma de Karine Deshayes ; Toulouse propose une programmation originale et équilibrée ; certains théâtres jouent même franchement le jeu de l’originalité et de la rareté (Lyon, ou, à l’étranger, Madrid)… Observons également le fait que les salles semblent de nouveau – enfin ! – faire le plein (même si les spectateurs ont apparemment changé leurs habitudes de réservation et achètent de plus souvent leurs places au dernier moment), et choisissons, à rebours d’une sinistrose plus ou moins généralisée, d’être résolument optimistes !

Pour consulter la liste des saisons 2023-2024 déjà parues, c’est ici !

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[1] Qui doivent impérativement continuer à être programmés : les amateurs confirmés connaissent bien sûr par cœur Die Götterdämmerung, Pellés et Mélisande ou Turandot, mais n’ont pas le droit de priver la jeune génération – ou tout simplement le public de néophytes – de ces chefs-d’œuvre, ni d’ailleurs des lectures renouvelées que les jeunes chefs, chanteurs et metteurs en scène peuvent en proposer.