Entre gens bien élevés…

L’impolitesse est la chose la mieux partagée du monde, et aucun peuple, aucun quartier, aucune catégorie sociale ne peut s’en prétendre exempt. À l’Opéra, l’impolitesse peut revêtir des formes variées, du monsieur très comme il faut qui squatte une place qui n’est pas la sienne et refuse absolument de la rendre à son occupant malgré les demandes réitérées de l’ouvreuse (scène observée de mes yeux au Théâtre des Champs-Élysées) à la dame qui double sans aucune vergogne la file d’attente pour entrer plus vite dans le théâtre ; des spectateurs qui continuent de s’invectiver d’un fauteuil à l’autre alors que les premières mesures de l’ouverture se font entendre à ceux qui, lassés du spectacle, décident de quitter la salle avant la fin de la représentation et obligent toute une rangée de personnes à se lever ; des huées agrémentées de noms d’oiseaux adressées par le public aux artistes au doigt d’honneur élégamment pointé vers un spectateur par Iréne Theorin à la fin d’une représentation de la Götterdämmerung lors du dernier festival de Bayreuth.

Mais il est une autre forme d’impolitesse, plus insidieuse, qui se manifeste parfois et contre laquelle il semble qu’on ne puisse pas faire grand-chose… Je veux parler des bruits qui parasitent les représentations d’opéras ou les concerts, et qui sont autant d’insultes adressées aux musiciens qui font de leur mieux pour satisfaire les mélomanes venus les écouter. Au nombre des bruits divers et variés, les quintes de toux et les sonneries de téléphone remportent sans doute la palme de l’insupportable. On peut évidemment être enrhumé et avoir du mal à réfréner un accès de toux ou un éternuement en pleine mauvaise saison. Mais que dire de ceux qui crachent, toussent, éternuent sans aucun effort de discrétion ? Qui se retiennent pendant le recitativo secco, occupés qu’ils sont à lire les surtitres pour suivre l’action, mais qui crachent leurs poumons pendant le « Dove sono » ou le « Porgi amor » de la Comtesse – qui les barbent ? Le pompon est probablement atteint lors des récitals de mélodies ou de lieder, au cours desquels, entre chaque pièce interprétée, tous les enrhumé.e.s du théâtre, comme d’un commun accord, interrompent pendant d’interminables secondes le concert par d’intempestives quintes de toux. On en vient parfois à souhaiter que des annonces soient faites, incitant les gens à ne pas tousser ou à le faire le plus discrètement possible, comme on leur signale l’obligation d’éteindre leurs téléphones. (Seul Laurent Brunner ose faire ainsi à Versailles, notamment lorsque le concert fait l’objet d’un enregistrement…).

Mais de telles annonces seraient-elles suivies d’effet ? Les préconisations faites oralement ou les messages écrits dans les cartouches des surtitres n’empêchent pas des rythmes de samba de retentir en pleine représentation, spécialement après les entractes, alors que les spectateurs et spectatrices ont réallumé leur téléphone pendant la pause… et oublié de l’éteindre. La pauvre Sabine Devieilhe en sait quelque chose qui, lors de la première de Lakmé à l’Opéra Comique, a dû différer de longues secondes l’attaque de la vocalise lançant l’air des Clochettes, le temps que la ou le coupable daigne enfin éteindre son téléphone…

On ne demande peut-être pas l’immobilité parfaite, ni le silence absolu pendant toute la représentation. Simplement un peu de discrétion – et de respect pour les musiciens et pour les mélomanes venus écouter leur œuvre, leurs artistes préférés – et non des quintes de toux bien peu mélodieuses ou des sonneries électroniques jouant d’horripilantes ritournelles !