Édito de mai – Le plaisir est dans la variété !

Dans son compte rendu de la triomphale Anna Bolena proposée il y a quelques semaines par le Théâtre des Champs-Élysées, notre confrère Camillo Faverzani expliquait que le théâtre, devant l’afflux des demandes, avait dû diminuer le nombre des invitations distribuées notamment à la presse… Faut-il s’en étonner ? Ce succès s’explique non seulement par l’excellence de l’interprétation, mais aussi par le plaisir éprouvé à entendre un répertoire méprisé et ignoré de la plupart des directeurs de théâtre, comme nous le signalions déjà dans notre édito de février 2021.

Mais le bel canto du premier ottocento n’est pas le seul répertoire à être négligé. Pourquoi l’opéra espagnol est-il à ce point absent de nos scènes ? Les Goyescas de Granados, proposés par l’opéra de Limoges à la fin de l’année 2021, nous ont opportunément rappelé que l’Espagne n’avait pas laissé à la postérité, dans le genre lyrique, que des zarzuelas – lesquelles d’ailleurs sont elles-mêmes singulièrement absentes de nos programmations, même si leur existence est relativement bien connue du public français. Quelle salle osera un jour nous faire entendre, ne serait-ce qu’en version de concert, une œuvre de Ruperto Chapí qui, avant de connaître le succès avec ses zarzuelas, composa plusieurs opéras : Las naves de Cortés (1874), La muerte de Garcilaso (1876), et surtout Roger de Flor (1878) ? Ou encore un opéra du trop méconnu Felipe Pedrell, par exemple son Quasimodo (1875) ou La Celestina (1902) ?

Ruperto Chapí (1851-1909)

Felipe Pedrell (1842-1922)

Même le répertoire germanique (pourtant a priori plus familier au public français), en dehors de Mozart, Wagner et Strauss, est finalement bien peu représenté en France. Quant on constate la rareté du Freischütz sur nos scènes et l’absence quasi totale d’Oberon ou d’Euryanthe dans les programmations, on n’ose imaginer qu’un jour seront proposées à notre attention les œuvres de Johann Adam Hiller (le créateur du singspiel, dit-on),  Heinrich Marschner, Albert Lortzing [1], Peter Cornelius ou encore Karl Goldmark, dont il serait intéressant de comparer Die Konigin von Saba (1875) avec La Reine de Saba de Gounod, créée 13 ans plus tôt.

Projet de décor de Karl Friedrich Schinkel pour Undine ; le palais aquatique de Kühleborn (© bpk / Kupferstichkabinett, SMB)

 Quant à Hoffmann, l’auteur des « contes fantastiques », il est inconcevable que l’année du bicentenaire de sa disparition n’ait incité aucun de nos théâtres à proposer sa très belle Undine, créée en 1816 sur un livret de La Motte-Fouqué, et qui suscita l’enthousiasme de Weber…

« Le public ne suivra pas », nous dira-t-on. Est-ce si sûr ? N’est-ce pas oublier que le goût s’éduque, et que la curiosité, à force de ne jamais être sollicitée, finit par s’éteindre irréversiblement ? 
Qui aurait osé miser, il y a quelques années, sur les répertoires romantique et pré-romantique français, avant que le Palazzetto Bru Zane, entre autres institutions, ne les remette à l’honneur ? Aujourd’hui, deux salles (Tours et l’Opéra-Comique) consacrent quasi intégralement leur prochaine saison à ce répertoire, et les programmations de La Nonne sanglante à l’Opéra-Comique (ou à Saint-Étienne), de Hulda au T.C.E., de La Caravane du Caire à Tours, de La Reine de Saba à Marseille ou de Lancelot de Joncières à Saint-Étienne apparaissent on ne peut plus légitimes.

Puissent un jour les mêmes efforts être déployés pour d’autres répertoires aujourd’hui très injustement oubliés ou méprisés… Il est bien sûr impératif de continuer à programmer les piliers du répertoire, ne serait-ce que pour les faire découvrir aux jeunes générations – mais aussi parce que leur richesse et leurs enseignements sont inépuisables : « Les chefs-d’œuvre sont des pièces d’or dont on n’a jamais fini de rendre la monnaie », disait Louis Jouvet ! Le fait de monter pour la énième fois Carmen, Tosca ou La Walkyrie conduit cependant de plus en plus les théâtres à imposer des « relectures » chaque fois un plus extravagantes ou décalées, afin de ne pas donner l’impression de se répéter éternellement. Pour apporter un peu de sang neuf à l’opéra, il suffirait pourtant de faire revivre certaines œuvres qui ne demandent pas mieux que de sortir de l’oubli. Ou encore d’encourager la création… Mais ceci est un autre débat !

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[1] Signalons la courageuse entreprise d’Angers-Nantes Opéra qui a proposé en 2021 la rarissime Répétition d’opéra de Lortzing (en streaming, pour cause de confinement).