Édito de juillet-août : « Il nous faut de l’humour, n’en fût-il plus au monde ! »

En ce début d’été et au terme de deux années bien tristes sur le plan culturel (on espère ardemment qu’il n’y en aura pas une troisième…), nous aimerions placer cet édito sous le signe de la gaieté et de la légèreté, dans le sillage du triomphe récemment remporté par La Fille de Madame Angot de Lecoq au Théâtre des Champs-Élysées. Depuis trop d’années, ce répertoire, qui faisait les délices de nos grands-parents, arrière-grands-parents et arrière-arrière-grands-parents, se réduit presque exclusivement à Offenbach, et les classiques du genre, qui vivotaient encore tant bien que mal sur les scènes de province à la fin du XXe siècle, ont fini par déserter presque complètement nos théâtres… Comment expliquer ce phénomène ? Par l’évolution du goût, sans doute, mais aussi peut-être une certaine lassitude face à des œuvres qui ont été programmées et re-programmées sans bénéficier forcément du soin apporté aux ouvrages plus « sérieux » : mises en scène poussiéreuses  reprises à l’infini, distributions pas toujours adéquates,…

Certains rôles de ce répertoire ne sont en effet pas si faciles à distribuer : si les chanteurs trop légers ou à la technique trop fragile peuvent ne pas rendre justice à la qualité des partitions, a contrario, les grands gosiers peuvent également ne pas être à l’aise dans le genre léger, et plomber des œuvres dont la délicatesse et la légèreté sont souvent les premières caractéristiques (rappelons-nous La Périchole de Michel Plasson avec Teresa Berganza et José Carreras, si dénuée de fantaisie…). Sans parler de l’alternance parlé/chanté, pas toujours évidente à gérer pour les interprètes…

© Gallica / BnF

On a ainsi laisser s’éteindre et disparaître un pan entier de notre culture, et de très nombreux titres d’opérettes, opéras-comiques, opéras-bouffes, opérettes-bouffes, opéras-bouffons, féeries, comédies-vaudevilles ou bouffonneries musicales [1] ne sont plus guère aujourd’hui, dans le meilleur des cas, que des titres au souvenir plus ou moins lointain… Même les classiques du genre (Véronique, Les Cloches de Corneville, Les Saltimbanques, la Mascotte, Les Mousquetaires au couvent, ou, dans le répertoire étranger, Le Pays du sourire) ne sont plus qu’exceptionnellement proposés sur nos scènes. Que dire alors de Hans le joueur de flûte (Louis Ganne), Giroflé-Girofla ou Le Petit Duc (Lecoq), Rip (Planquette), Monsieur Beaucaire (Messager) ou Les Dragons de Villars (Maillart) ?

Pourtant, les efforts conjugués de plusieurs institutions (entre autres le Théâtre de l’Odéon à Marseille, dont les productions bénéficient souvent de distributions soignées, le Palazzetto Bru Zane, ou encore les Frivolités parisiennes) ont permis de reproposer certaines œuvres au public, avec le plus souvent un franc succès : c’est ainsi que Mam’zelle Nitouche ou V’lan dans l’œil d’Hervé, Le Diable à Paris de Lattès, Passionnément ou Les P’tites Michu de Messager, Normandie de Misraki, La Fille de Madame Angot de Lecoq ont (entre autres exemples) pu renouer avec le succès.

Espérons que nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin : outre le fait que le répertoire léger possède de grandes vertus pédagogiques et constitue un excellent moyen d’intéresser les enfants au genre lyrique, notre époque si morose a bien besoin de divertissement et de légèreté, et le très beau succès remporté tout récemment par l’équipe réunie par le Palazzetto Bru Zane pour La Fille de Madame Angot montre que le public d’aujourd’hui est parfaitement disposé à apprécier ces œuvres, pour peu qu’elles soient montées avec soin et sérieux.

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[1] Rappelons que le souci d’étiqueter et de nommer le genre des œuvres avec précision n’était pas aussi rigoureux autrefois qu’il l’est aujourd’hui. Ainsi bon nombre de simples pochades ou d’œuvres qui, de notre point de vue, ressortissent plus à l’opéra-bouffe ou à l’opérette, étaient-elles assez souvent qualifiées d’ « opéras-comiques » (ainsi en est-il, par exemple, de Luc et Lucette ou Bagatelle d’Offenbach, considérés comme des « opéras-comiques » par le compositeur et ses librettistes, mais comme des « opérettes » par plusieurs critiques de l’époque).