Édito de juin 20: « Voyons, écoutons… et jugeons ! »

Durant le confinement, les artistes ont rivalisé d’ingéniosité pour continuer à pratiquer leur art, à se faire plaisir et à nous en-chanter. Le Gala « at home » du Met n’est que l’événement le plus spectaculaire parmi toute une série de petits concerts virtuels organisés par les uns et les autres, et publiés sur les réseaux sociaux : Marc Mauillon a interprété quotidiennement, a capella et avec une magnifique générosité, des airs de son choix ; Marina Viotti a offert plusieurs duos concoctés avec la complicité de Lawrence BrownleeVittorio Prato ou Petr Nekoranec, lequel a interprété un duo de West Side Story avec Christine Price ; sans parler de l’étonnant opéra commandé par le Théâtre Coccia de Novare : Alienati, dans lequel se produisent Jessica Pratt et Daniela Barcellona ! (Nous mettrons en ligne plusieurs de ces concerts virtuels dans notre rubrique « la vidéo du jour »).



Marc Mauillon (© Inanis)

Marina Viotti
(© Aurélie Raidron)

Petr Nekoranec
(© Zoltan Matuska)

Ces initiatives, généreuses et stimulantes, ont permis de ne pas rompre totalement avec le spectacle vivant et de tisser un lien, aussi ténu soit-il, entre l’avant et l’après-confinement vers lequel nous nous dirigeons.

Car après deux mois d’arrêt complet, la vie musicale et lyrique semble renaître enfin, même très timidement : le festival de Pesaro a été l’un des premiers à annoncer qu’il maintenait son édition 2020, moyennant une adaptation de son programme et de son organisation, tout comme le festival de la vallée d’Itria (Martina Franca). L’Opéra de Zurich réouvrira en juin pour une série de récitals (Diana Damrau, Camilla Nylund, Julie Fuchs, Sabine Devieilhe, Piotr Beczała, Thomas Hampson, Javier Camarena, Benjamin Bernheim, Fabio Luisi et Riccardo Minasi sont attendus !)

Puissent ces bonnes nouvelles être annonciatrices d’une reprise durable des activités culturelles et du retour tant attendu des artistes dans les salles de concert et dans les opéras.

Puissent-elles également ne pas nous faire oublier trop vite la crise sans précédent que nous venons de vivre – et qui n’est d’ailleurs peut-être pas tout à fait terminée : si l’horizon semble s’éclaircir légèrement, la prudence reste de mise, le risque d’une  deuxième vague de coronavirus n’étant bien sûr pas écarté. Que peut-on retenir de ces deux mois de quarantaine, qui ont privé les mélomanes de leur passion, mais surtout les artistes de leur métier ? Sans doute une prise de conscience de l’importance extrême que prend l’art, sous quelque forme que ce soit, dans nos existences. Mais cela suffira-t-il à infléchir les politiques culturelles ? Nos dirigeants retiendront-ils les leçons que l’on doit tirer de cette crise sanitaire, à savoir que la culture en général – et la musique en particulier – sont des éléments absolument indispensables, ne serait-ce qu’économiquement (selon plusieurs universitaires qui ont cherché à mesurer l’ampleur des pertes économiques induites par les annulations des festivals, les pertes pourraient atteindre 2,6 milliards d’euros…) (1), mais aussi et surtout humainement ? À voir la lenteur et la timidité des réactions de nos dirigeants face aux cris d’alarme lancés par les artistes, on est malheureusement en droit d’en douter…

La décision pour le moins inattendue d’Emmanuel Macron de rouvrir de façon précoce  le parc du Puy du Fou alors que rien n’avait encore été décidé pour les grandes manifestations culturelles estivales a suscité une grande incompréhension parmi les principaux acteurs de la vie culturelle du pays. Franck Riester, interrogé depuis par nos confrères de France Info, a affirmé militer pour qu’on puisse rouvrir progressivement les salles de spectacles, pour qu’on réorganise des concerts en extérieur en respectant les normes sanitaires, afin de permettre aux artistes de retrouver leur public (2). « Personne ne sera laissé au bord du chemin. La Culture est essentielle à nos vies », avait-il également déclaré le 30 avril sur son compte Twitter. Que la Marie de Donizetti nous permette de lui emprunter une de ses répliques : « Attendons… et jugeons ! »

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[1]  Source : La gazette.fr
[2] Le 26 mai, au micro de France Inter.