Faire dire aux œuvres ce qu’elles ne disent pas ?

C’est entendu : le revirement du Comte à la fin des Noces et le pardon de la Comtesse seraient peu crédibles  « dans la vraie vie ». Netia Jones choisit donc de montrer, au finale de l’opéra de Mozart, une Comtesse refusant de pardonner et quittant son époux en lui remettant les bijoux et l’alliance qu’il lui avait donnés. Mais nous ne sommes pas « dans la vraie vie », et nous aurions, personnellement, été heureux de pouvoir observer dans la sphère de la fiction la réconciliation des femmes et des hommes qui semble encore impossible aujourd’hui dans la sphère du réel… D’autant que la Comtesse, en pardonnant, loin de s’engluer dans son rôle de victime, se grandit et se place très nettement au-dessus des hommes et de son monstre de mari (« Je suis plus généreuse que vous et vous accorde mon pardon… »). Mais soit : Netia Jones choisit l’impossible réconciliation, et tant pis si la musique et le livret disent l’exact contraire de ce que font les personnages (il est un peu perturbant de voir le Comte et la Comtesse se quitter, désespérés, tout en chantant « Nous sommes tous contents, cette journée se conclut dans la joie et l’allégresse ! Ô amis, à la danse, aux jeux ! Allumez les feux de joie, courons tous festoyer ! »)

Mais il y a plus gênant : au moment où arrive la quatrième scène de l’acte IV, Netia Jones choisit d’interrompre la musique de Mozart : Marceline entre en scène et traverse lentement le plateau, tandis qu’est projetée une réplique du personnage tirée de la scène 16 du troisième acte de la comédie de Beaumarchais. Une réplique étonnamment féministe, dans laquelle Beaumarchais, via son personnage, condamne les hommes « plus qu’ingrats » qui « flétrissent les femmes par leur mépris », ne leur accordent qu’une « considération dérisoire », et dont la conduite « fait horreur ou pitié ». Or le texte de cette réplique, sur la scène de l’Opéra, est accompagné de cette indication : « supprimé ». Ce qui laisse croire que Mozart et Da Ponte n’ont pas cru bon de conserver dans leur opéra cette mise en accusation des hommes, et vient accréditer l’accusation de misogynie, à l’encontre de Da Ponte, développée par Netia Jones dans ses « Notes sur la mise en scène »…

Le problème est qu’à ce moment précis de l’opéra prend place en principe une scène de Marceline montrant que non seulement Da Ponte et Mozart avaient bien connaissance de cette tirade, mais qu’ils lui ont même accordé une importance toute particulière puisqu’ils ont choisi d’en faire ni plus ni moins qu’un air (« Il capro e la capretta »)… coupé lors de ces représentations (par la metteuse en scène et/ou le chef et/ou la chanteuse ?) Pour rappel, dans cet air, le librettiste octroie aux hommes un rang inférieur à celui occupé par les animaux, lesquels, dit Marceline, laissent toujours en paix leurs femelles ou se montrent tendres avec elles, tandis que « les femmes sont toujours traitées avec cruauté par ces perfides » !

La nécessaire dénonciation des violences faites aux femmes et la défense plus que légitime de cette cause essentielle auraient sans doute eu plus de force encore sans ce qui s’apparente, il faut bien le dire, à une forme sinon de malhonnêteté, du moins de mauvaise foi.