La place des femmes dans la musique : « J’accuse ! »

J’ACCUSE…

Depuis au moins neuf siècles, le champ de la musique savante occidentale (aussi dite musique classique) n’a cessé d’être source d’injustices nombreuses envers les femmes, compositrices, interprètes, cheffes de chœur ou d’orchestre, directrices de théâtres ou festivals. Pourquoi ? Jusqu’au siècle des Lumières, on pourrait attribuer la responsabilité de cette marginalisation à l’Église, qui interdisait les voix de femmes dans l’interprétation des œuvres musicales, majoritairement religieuses. Malheureusement, si l’on met de côté les divas (chanteuses d’opéra les plus célèbres telles que Josepha Weber, Maria Malibran, Renata Tebaldi ou encore Maria Callas), cela a perduré bien au-delà du 18e siècle, et perdure encore aujourd’hui, sous d’autres formes, héritage de millénaires de patriarcat et de sexisme.

J’accuse donc les derniers siècles du Moyen-Âge d’avoir tout simplement empêché les femmes d’exister musicalement, à tel point que même l’immense Hildegard von Bingen, écrivaine, naturaliste, compositrice, médecin, religieuse fondatrice de plusieurs abbayes, en lien avec de nombreux personnages influents de son époque, n’a jamais remis en question la prétendue supériorité de l’homme sur la femme “autant dans l’esprit que dans la chair”, attribuant ses nombreux talents à une inspiration divine plutôt qu’à ses propres mérites. L’Église comme le monde de la musique classique l’oublièrent après sa mort, jusqu’à très récemment.

Est-ce juste ?
Que l’on juge :

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J’accuse la Renaissance de n’avoir pas fait mieux : les femmes n’avaient pas le droit de chanter dans les églises, les voix aiguës étant assurées par des garçons n’ayant pas mué. Ainsi, les plus grands compositeurs de musique sacrée (Allegri et Palestrina en Italie, de Victoria en Espagne, de Lassus en France, Tallis et Byrd en Angleterre) et surtout leurs contemporains, qu’ils fussent princes ou paysans, n’ont-ils jamais entendu leurs sublimes œuvres interprétées comme nous pouvons aujourd’hui les entendre en concert.

Est-ce juste?
Que l’on juge ici :

http://www.youtube.com/watch?v=XYjojFcMzUwhttp://www.youtube.com/watch?v=zG0MU5rCPqY

Ou là…

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Ou encore ici…

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Ou encore là !

Toujours à la Renaissance, mais dans la musique profane, les femmes n’étaient guère mieux choyées : tandis que d’importants poètes comme Pierre de Ronsard ou Clément Marot voyaient certains de leurs poèmes (Mignonne, allons voir si la rose par exemple, loin d’être le plus féministe des textes, ou Tant que vivray en âge florissant) mis en musique par de grands compositeurs comme Costeley ou de Sermisy…

http://www.youtube.com/watch?v=jQgwWFpHj4chttp://www.youtube.com/watch?v=I7MriaYZhuU

…l’incontournable poétesse Louise Labé n’a droit qu’à un sobriquet (La belle cordière) et à des pastiches ironiques de Du Bellay qui, dans Les Regrets, sonnet 91, s’inspire directement du si beau poème “Ô beaux yeux bruns”. Il faudra attendre 1990 pour que Louise Labé ait droit à une mise en musique, par Maurice Ohana, dans une œuvre intitulée Tombeau de Louize Labé.

Est-ce juste ?
Que l’on juge : 

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J’accuse la période baroque d’avoir atteint des sommets dans cette injustice : les castrats. Mutiler de jeunes garçons dans l’espoir, incertain, qu’ils gardent toute leur vie leur belle voix d’enfant. En plus de l’acte barbare que représentait la castration des enfants « choisis », encore une fois, on mettait ainsi les femmes de côté, les empêchant de monter sur la scène des théâtres. Même le prodigieux Monteverdi, l’un des pères de l’opéra, n’a jamais entendu ses merveilleux livres de madrigaux ou ses opéras interprétés avec la participation de voix de femmes. Lors de la création de son si émouvant Orfeo en 1607, tous les rôles de femmes furent confiés à des castrats. Le grand Haendel écrivit ses plus belles pages opératiques pour des castrats. Même Riccardo Broschi, compositeur et chef d’orchestre italien, écrivit des opéras où les rôles de femmes étaient réservés à des castrats, principalement son frère Carlo, le célèbre Farinelli.

Est-ce juste ?
Que l’on juge :

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(Le renouveau de la musique baroque dans la deuxième moitié du 20e siècle et la technique vocale développée par les contre-ténors ont montré que les pratiques du 17e siècle étaient en définitive absurdes).

À la fin du 17e siècle et au début du 18e siècle, on pourrait croire que la situation s’améliore puisque des femmes ont le droit de chanter devant un public. Un exemple, le fameux Gloria (RV 589) composé par Vivaldi. En fait, les femmes qui sont destinataires de cette œuvre sont les orphelines de l’Ospedale della Pieta à Venise, vivant quasiment comme des religieuses mais recevant une éducation musicale relativement poussée. Lors des concerts, les jeunes filles étaient cachées derrière des paravents. Et en définitive, personne ne les vit jamais réellement chanter. On dit que leurs voix étaient merveilleuses…

Est-ce juste ?
Que l’on juge :

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J’accuse donc également le 18e siècle de n’avoir pas laissé aux femmes la place qui leur était due : le siècle des Lumières ne fit guère mieux ! Pour ne citer qu’un autre exemple, prenons Maria Anna Mozart, sœur du génial Wolfgang Amadeus : eh bien, Leopold, leur père, empêchera le développement du grand talent (de compositrice) de Nannerl (reconnu par Wolfgang lui-même), ne la prenant plus en voyage à travers l’Europe dès ses 18 ans (elle avait atteint l’âge de se marier), lui interdisant d’étudier le violon, lui imposant de donner des cours de piano à Vienne pour financer les tournées de son frère.

Est-ce juste ?
Que l’on juge (menuet composé par Nannerl Mozart à l’âge de 9 ans) :

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J’accuse également le 19e siècle d’avoir empêché des femmes d’exception d’exprimer tout leur talent musical : citons deux exemples. Fanny Mendelssohn, pianiste et compositrice extrêmement douée, avait une mémoire musicale prodigieuse et son célèbre frère, Félix, lui demandait souvent conseil pour ses propres compositions. Malheureusement, sa famille (père et frère) ne souhaitait pas que ses œuvres soient publiées ! Les compositeurs français Berlioz et Gounod reconnurent l’exceptionnel talent de cette femme. De son vivant, ils furent à peu près les seuls, en plus de son mari. Clara Schumann -Wieck eut une carrière artistique, en tant que pianiste, relativement épanouie. Elle était connue et appréciée à travers le monde. Cependant, sa vie de compositrice ne put jamais véritablement prendre son envol, dans la mesure où elle eut avec son célèbre mari, Robert Schumann, huit enfants. Et bien entendu, la charge de leur éducation lui incomba entièrement.

Est-ce juste ?
Que l’on juge…

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… ici…

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… ou là !

Au 20e siècle, tout cela continue encore et toujours : Alma Mahler-Schindler, peintre, musicienne, compositrice, à la personnalité affirmée, épouse en 1902 Gustav Mahler, de 19 ans son aîné. Bien que compositeur de génie et directeur de l’opéra de Vienne, il lui impose d’abandonner la peinture et la musique, ce dont elle ne se remettra jamais. Elle aurait composé une centaine de lieder, mais seuls quinze d’entre eux sont à ce jour enregistrés. Et l’on n’entend quasiment jamais sa musique au concert.

Est-ce juste ?
Que l’on juge :

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Toutefois, les interprètes féminines parviennent à accéder à une certaine égalité par rapport à leurs collègues masculins (notamment grâce à l’engagement de femmes telles que Nadia et Lili Boulanger) bien qu’en dehors des orchestres, ensembles vocaux et instrumentaux, les inégalités salariales des solistes restent criantes. Et quelques rares compositrices parviennent à s’imposer et se faire reconnaître (Ethel Smyth et Florence Price par exemple).

Malheureusement, les inégalités persistent dans une très large mesure, au détriment des compositrices et cheffes d’orchestre : il suffit pour cela de lire n’importe quel entretien dans la presse donné par des femmes pourtant unanimement reconnues dans le milieu musical telles que les cheffes d’orchestre Barbara Hannigan, Susanna Mälkki, Laurence Equilbey, Marin Alsop, ou les compositrices Kaija Saariaho, Betsy Jolas, Edith Canat de Chizy, pour comprendre la difficulté (infiniment plus grande que pour un homme) d’arriver à la position qu’elles ont atteinte.

Est-ce juste ?
Que l’on juge :

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J’accuse donc, enfin, le 21e siècle de ne pas régler définitivement ces problèmes, qui sont toujours d’actualité. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les statistiques : en 2020, sur les 780 orchestres symphoniques professionnels recensés dans le monde, environ 50 sont dirigés par des femmes (moins de 6,5%!) ; en France, le chiffre tombe à 4 %.

Admettons toutefois que cela se règle petit à petit dans les décennies à venir (ce qui est loin d’être acquis), il resterait encore le problème de l’inégalité des sexes dans le management de la musique classique. En Europe, les grands théâtres et maisons d’opéra, les festivals majeurs, les conservatoires de premier ordre (ainsi qu’en France, les scènes musicales) sont, hormis quelques rarissimes exemples, dirigés par des hommes. Les chiffres, que nous n’osons même pas rapporter ici, sont sans appel… Pourquoi ?

Devrons-nous attendre le 22e siècle pour que cette question appartienne enfin au passé ?

Il ne s’agit bien entendu pas, ici, de dénigrer tout ce que l’Histoire de la musique classique a produit : certains ensembles uniquement constitués d’hommes (tels que The King’s Singers, l’Ensemble Clément Janequin, l’ensemble Chanticleer, le Hilliard Ensemble aujourd’hui dissous), certaines voix de contre-ténors (tels A. Deller, A. Scholl, etc…) sont absolument incontournables. Certains chefs d’orchestre et compositeurs de sexe masculin, trop rares, militent pour plus d’égalité. Certains directeurs de maisons d’opéras, de théâtres, de festivals ont permis l’élaboration de merveilleux spectacles et ont bien entendu mis en avant autant d’hommes que de femmes.

Toutefois, 900 ans (au moins) d’injustice envers les femmes dans la musique classique, cela suffit !