Marco Angioloni : « Lorsque vous avez commencé à interpréter un type de répertoire, on a tôt fait de vous y cantonner ! »

Il adore le baroque… mais pas que ! Rencontre avec Marco Angioloni, qui nous dit tout de ses projets, ses envies, son futur album, son amour pour Rossini… et son admiration pour Karine Deshayes !

Stéphane LELIEVRE : Vous parlez parfaitement français, cher Marco : depuis quand êtes-vous installé en France ?
Marco ANGIOLONI : Cela fait une dizaine d’années. Je suis en fait originaire de Toscane, et plus précisément d’Arezzo, où j’avais commencé une carrière d’hautboïste. À la fin de mes études, j’ai rencontré Nora Cismondi qui était alors premier hautbois à l’Orchestre national de France. Elle m’a invité à la suivre en France au Pôle Sup’ 93. Je me suis perfectionné un an en hautbois auprès d’elle, puis j’ai pris la décision de travailler ma voix. C’est quelque chose dont j’avais envie depuis longtemps : je savais que j’avais une voix naturelle, et on m’avait déjà conseillé de la travailler lorsque j’étais en Italie. Lorsque j’accompagnais des opéras lors des dernières années que j’ai passées en Italie, je me suis aperçu que, dès que je le pouvais, je me retrouvais sur le plateau : c’était un signe ! J’avais déjà pris quelques cours de chant à Florence, et en France je me suis décidé à franchir le pas, en m’inscrivant au Conservatoire de Cergy-Pontoise. J’ai ensuite été admis au Centre de Musique Baroque de Versailles où je suis resté deux ans.

S.L. : C’est de là que vient votre spécialisation dans le répertoire baroque ?
M. A.
: Oui ; même si j’ai une voix plutôt lyrique, je me suis toujours intéressé au baroque et le CMBV est une très bonne école dans la mesure où très vite, on se retrouve sur le terrain en participant aux jeudis musicaux ou même à certaines productions.

https://www.youtube.com/watch?v=iFMxa0gptus

Domenico Scarlatti : Air de Nourrice de L’Ottavia restituita al trono (Il Groviglio/Marco Angioloni)

S. L. : Le fait d’avoir été d’abord hautboïste a-t-il eu une incidence ou pas sur votre façon de chanter ?
M. A. : C’est une belle question… Il me semble que oui, peut-être même inconsciemment, notamment pour tout ce qui touche au phrasé ou au souffle – même si la technique est très différente : les choses se font de façon plus légère et plus souple dans le chant qu’avec l’instrument. La souplesse est d’ailleurs une des choses qu’il m’a fallu travailler lorsque j’ai commencé le chant.

S.L. : Dans le cadre de votre formation, vous avez suivi plusieurs master class… Ce furent  des expériences intéressantes ?
M. A. : Plus ou moins, en fonction des personnes qui les donnent, mais il y en a eu une, en tout cas, que j’ai trouvée absolument formidable : c’est celle donnée par Karine Deshayes. Cette chanteuse a atteint une telle maîtrise de son instrument que les exemples qu’elle donne sont incroyablement inspirants ; on mesure instantanément toute la maîtrise technique qu’il y a derrière… Son enseignement est d’une efficacité redoutable, tout simplement parce qu’il est très concret et très simple. Il n’y a aucune esbrouffe dans sa façon de faire, mais du travail, de la précision, de l’efficacité ! Qui plus est, c’est une femme extrêmement humaine et sympathique… Je garde aussi un souvenir très ému d’une master class avec Chris Merritt, que j’admire tant. Et pour le baroque, je citerais Claire Lefilliâtre.

S. L. : Comment qualifieriez-vous votre voix aujourd’hui ?
M. A. : Sur les conseils de ma professeure de chant, j’ai consulté, lorsque j’ai commencé le chant, un phoniatre (Franco Fussi) pour faire le point sur ma voix. Il m’a tout de suite dit que j’étais un tenore lirico puro : c’est la voix belcantiste par excellence, ni lirico leggero, ni lirico spinto, une voix adaptée à des rôles tels que Nemorino, par exemple. C’est en tout cas la voix avec laquelle je chante aujourd’hui, y compris le répertoire baroque où je fais surtout du taille . Idéalement, j’aimerais chanter Rossini.

S.L. : Dont vous avez déjà interpété le « Misere mie pupille » de La Donna del lago, du moins sur les réseaux sociaux !
M. A. : (rires) Je chéris le Rossini serio : Zelmira, Semiramide,…

S. L. : Mais c’est un répertoire qui, a priori, ne vous est pas interdit ?
M. A. : Non, si ce n’est que lorsque vous avez commencé à interpréter un type d’œuvres, on a tôt fait de vous y cantonner ! J’adore le baroque et je le pratique beaucoup, notamment parce qu’il permet de préserver la fraîcheur de la voix. Mais on a peut-être parfois tendance à penser que je ne peux ou ne dois chanter que cette musique. Or s’il m’arrive d’alléger ou d’éclaircir ma voix pour certaines œuvres baroques, elle n’en demeure pas moins d’essence lyrique. Prenez l’exemple de Karina Gauvin : sa voix est tout sauf légère, elle est lyrique, comme celle de Yoncheva qui d’ailleurs chantait aussi du baroque à ses débuts ! Si Karina Gauvin ne chante guère que des œuvres baroques, c’est vraiment par choix : elle pourrait bien sûr aborder d’autres répertoires. En ce qui me concerne, j’ai encore beaucoup à faire dans le baroque : j’y ai plusieurs projets à venir, j’ai fondé récemment l’ensemble Il Groviglio, avec lequel j’ai enregistré la Santa Editta de Stradella… Mais Rossini viendra sûrement dans quelques années !

S.L. : En fait, lorsqu’on lit la liste de vos rôles, on constate que votre répertoire est déjà assez varié…
M. A. : C’est vrai ! Ma galerie de rôles comporte des œuvres de Vivaldi, Mozart, Offenbach, Verdi, Puccini, Poulenc, Britten, Weill, Vaughan Williams,… Je suis curieux et donc prêt en fait à aborder tout rôle de tout répertoire, avec comme condition que je n’aie pas à alourdir ma voix – mais au contraire à l’alléger afin de préserver toujours sa souplesse.

S.L. : Et le répertoire français, pour vous qui parlez si bien notre langue ?
M. A. : Pour l’instant je ne l’ai pas beaucoup pratiqué, si ce n’est l’opérette et des œuvres légères – Offenbach par exemple, que j’aime beaucoup. Actuellement je travaille Pâris ! Et j’ai déjà chanté plusieurs fois le Brésilien, ou Pluton. Je travaille également le Roméo de Gounod… Le répertoire français est écrit d’une manière très spécifique, très différente du répertoire italien, et j’estime qu’il me faut encore travailler pour me l’approprier convenablement. Nadir, peut-être, serait aussi envisageable.

L’ensemble Il Groviglio

S. L. : Alors que les concerts avec public reprennent timidement, avez-vous des projets pour les mois à venir ?
M. A. : Oui, je vais donner un récital voix/théorbe en juillet prochain dans la mairie du XIXe arrondissement, avec des œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles. Je dois participer également à l’Eeemerging+ Academy d’Ambronay en juillet prochain. En août, il y aura deux concerts en Toscane avec Il Groviglio, d’abord à Grosseto puis à Florence dans le cadre du Festival baroque : ce sera un programme d’airs d’opéras italiens. Et en novembre 2021, je chanterai le Gouverneur dans le Candide de Bernstein : ce sera à Marly le Roi, avec l’Atelier Lyrique Opera Fuoco. Il y a aussi un disque en préparation…

S.L. : Peut-on en savoir plus ou est-ce encore top secret ?
M. A. : Ce sera un hommage à un grand ténor du XVIIIe siècle. Je me suis aperçu, chaque fois que je chantais des airs de son répertoire en concert, que je m’y sentais particulièrement à l’aise… J’ai donc voulu en savoir plus sur l’homme et l’artiste, et c’est comme cela que le projet du disque est né. Plus de la moitié du programme (des airs de Händel, Scarlatti, Vivaldi, Caldara et Sarro) sera composée d’inédits ! C’est un album réalisé pour Arcana avec Il Groviglio, et la basse Michele Mignone et le contreténor Filippo Mineccia m’ont fait l’amitié d’apporter leur concours au projet… Le CD devrait sortir début 2022.

Pour tout savoir des projets de Marco Angioloni, rendez-vous sur son site !