JULIE FUCHS : « L’Opéra est déjà ouvert, il faut juste montrer qu’il l’est ! »

Elle fait partie de la nouvelle génération de chanteurs français reconnus au plan international, et vient de chanter Pamina à l’Opéra Bastille dans la production filmée de La Flûte enchantée mise en scène par Robert Carsen. 
Quelques jours avant son récital programmé à la fin du mois au Palais Garnier, Julie Fuchs évoque pour nous son parcours, ses projets, son sentiment sur la situation difficile que traversent actuellement les artistes, ou encore l’importance (relative) des réseaux sociaux dans le métier…

Quel regard portez-vous sur votre parcours, Julie Fuchs ?
Je n’étais pas du tout destinée à ce chemin. C’est un hasard que j’aie rencontré le théâtre, que j’aie fait du violon, que mon professeur de chant ait été si généreux avec moi. Ce parcours m’a apporté beaucoup de joie, de surprises, d’émerveillement. Et pendant mes années au CNSM, alors que j’en voyais certains déjà blasés, je me disais au contraire que tout était merveilleux, que ce soit les cours, les bibliothèques, ou mes collègues.

Après votre passage au CNSM de Paris, vous avez rejoint la troupe de l’Opéra de Zurich. Que retenez-vous de cette expérience ?
J’ai adoré. C’était à un moment de ma vie où j’étais très heureuse de vivre dans un autre pays. Aussi, l’Opéra de Zurich est un théâtre magnifique avec une dimension humaine, et qui travaille avec des metteurs en scène très innovants. C’était donc formidable, dès mes premières années de métier, de pouvoir travailler avec ces personnes extraordinaires. Et puis, c’était un peu le luxe pour moi, car j’avais seulement deux, voire trois rôles par an dans le théâtre, ce qui me laissait un peu de liberté pour d’autres projets ; et la troupe permet de faire des prises de rôles dans des conditions exceptionnelles. Enfin, cela m’a permis de discuter rapidement des rôles que je souhaitais chanter avec la directrice de casting : c’est une chance de pouvoir discuter de cela directement avec la direction.

Avez-vous pu infléchir une trajectoire de carrière en termes de rôles dès ce moment-là ?
Les deux premières années où j’étais dans la troupe, j’étais l’atout baroque de la maison. Et c’est vrai qu’en France, je trouve qu’il y a un savoir-faire assez exceptionnel que j’étais heureuse d’apporter là-bas. Assez vite, je me suis toutefois rendu compte que je ne voulais pas chanter que cela et développer ma voix dans d’autres directions. Il a donc fallu à un moment que je sois assez ferme avec moi-même et mes propres désirs. Aussi, dès la 3e année, j’ai commencé à chanter Rossini, et j’ai continué par la suite en tant qu’artiste invitée puisque j’avais décidé de ne plus appartenir à la maison. Aujourd’hui encore, j’y retourne pour une production bien choisie chaque année.

En 2012 vous avez remporté le Second Prix du concours Operalia. Quels souvenirs en gardez-vous ?
J’ai l’impression d’y être allée sans avoir conscience que c’était un concours aussi important. Et en réalité, c’est étrange que l’on en fasse toute une histoire alors que c’est le concours le plus facile en termes de répertoire parmi ceux que j’ai réalisés. On a quatre ou cinq airs à préparer, ce qui n’est rien en comparaison avec le concours Nadia Boulanger, par exemple, qui implique une heure de programme !

Dans quelle mesure ce prix a-t-il été déterminant dans votre carrière ?
Ce concours reste important, car de nombreux directeurs de maisons y sont présents. En même temps, je répète aux jeunes chanteurs qu’y aller, c’est quitte ou double ! Si cela se passe bien, cela permet d’obtenir 15 auditions d’un coup, mais si cela se passe mal… Me concernant, j’étais très heureuse de le réaliser pour l’expérience que cela apporte. Lorsqu’on est jeune chanteur, on a besoin d’être rassuré et de gagner en légitimité.

Vous avez récemment abordé le rôle de Pamina dans une version captée de La Flûte enchantée, mise en scène par Robert Carsen à l’Opéra de Paris. Comment avez-vous vécu cette production 100 % numérique ?
Au début, je n’avais pas vraiment envie de faire cette captation. Et en même temps, je savais bien qu’il fallait la faire. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à ce sujet, mais moi, je fonctionne avec le public. Après, bien sûr, c’est important que les artistes, techniciens et corps de métiers de l’opéra continuent de travailler, quelles que soient les circonstances. En ce sens, j’étais très heureuse de faire mon travail, et cela m’a beaucoup aidée de penser aux amis et connaissances qui ont regardé en direct le spectacle. Il reste qu’après avoir donné nos voix et nos émotions pendant 3 heures, le silence d’une salle vide est assez bouleversant… Ceci dit, l’absence d’applaudissements permet peut-être de vivre une expérience différente de l’œuvre, une expérience d’unité, car l’air de la Reine de la Nuit par exemple ne nous permet normalement jamais d’enchaîner directement avec l’action !

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Julie Fuchs chante Suzanne (Les Noces de Figaro, « Deh vieni non tardar ») au Palais Garnier

Que pensez-vous des spectacles en livestream, comme ceux proposés sur la plateforme de l’Opéra de Paris ?
On est tous d’accord pour dire que cela ne remplacera jamais l’expérience en salle. Et en même temps, cela ne suffira pas à donner envie à quelqu’un qui n’a jamais vu un opéra d’en regarder un. C’est en ce sens que les artistes ne doivent pas rester dans leur tour d’ivoire, mais donner des clefs sur leur art.

À ce titre vous portez sur les réseaux sociaux le projet #operaisopen visant à « rendre accessible l’opéra pour tous » via des contenus visant à permettre aux abonnés d’accéder aux backstages, de gagner des places, etc. Deux ans après sa création, quels retours avez-vous reçus de la part de vos collègues artistes et du public ?
Vous savez, on ne parle pas de ce genre de choses entre artistes (rires). Par contre, j’ai des retours merveilleux du public, notamment dans le cadre du concours visant à faire gagner des places à des personnes qui ne sont jamais allées à l’opéra. C’est une expérience qu’ils ont envie de revivre, et souvent ils achètent des places pour une première représentation, ce qui est le but, s’agissant d’éveiller l’appétit pour l’opéra. Je suis un peu fatigué d’entendre : « Il faut rendre l’opéra accessible ». L’opéra est déjà tout ouvert, il faut juste montrer qu’il est ouvert !

À côté de cela, à l’heure d’une toujours très forte concurrence entre les artistes, pensez-vous qu’il soit nécessaire pour un chanteur aujourd’hui d’être son propre média via les réseaux sociaux pour faire carrière ?
Le problème, c’est qu’on imagine qu’avec les réseaux sociaux on va pouvoir créer quelque chose. Mais ce n’est pas la vraie vie, même si c’est comme la vraie vie. Si l’on ne chante pas très bien, on ne chantera pas bien non plus sur les réseaux sociaux ! Et ce n’est pas parce qu’on aura un Instagram bien léché que le chef d’orchestre nous appréciera. Il nous appréciera parce qu’on sera sérieux, qu’on aura travaillé la partition, et parce qu’on aura pris le temps de s’inspirer de choses autres que celles sur nos écrans. Je crois que paradoxalement il faut prendre beaucoup de distance avec ces plateformes pour y être authentique.

Pour en revenir au chant, quels répertoires vous sentez-vous aborder pour la suite ?
L’année prochaine je vais chanter Juliette, Mélisande, je vais reprendre des rôles comme Poppea, Susanna, Comtesse Adèle aussi. Je vais chanter ma première Cléopâtre, ma première Gilda dans les années qui arrivent. J’espère continuer à explorer, à découvrir, tout en préservant ma voix sur les bons rails.

Avec un souci de vigilance ?
De vigilance oui, mais plus d’ « hypervigilance » : je l’ai pratiquée dans mes premières années, mais je me suis rendu compte que cela ne me convenait pas, car moi et ma voix étions dans un carcan. Et à un moment, il faut y aller, il faut lâcher les fauves… Donc cela ne me plaît pas de dominer un rôle dès le premier jour, car je deviens paresseuse par la suite. Il me faut un peu de challenge, de rêve, de désir.

Qu’en est-il de Pamina ?
C’est un rôle délicat, car assez central dans la voix, et assez court par rapport à ce que j’ai déjà chanté. Et puis il faut bien le dire, Mozart est vraiment mon terreau. Donc je n’ai pas vraiment transpiré ! Mais cela m’a obligé à aller chercher dans quelque chose de peut-être plus profond dans la voix comme dans ma concentration, et à ne pas compter sur le challenge ou la virtuosité pour m’énergiser. Je devais préserver en moi quelque chose de dynamique malgré le calme et le contrôle inhérents au rôle.

On vous attend prochainement en récital à l’Opéra de Paris aux côtés du pianiste Alphonse Cemin. Comment ce programme s’est-il construit ?
C’est une coquetterie qui pose problème parfois, mais j’aime toujours construire un récital en fonction du lieu. Et j’ai beaucoup de mal à concevoir un programme quand je ne connais pas le lieu où je vais chanter. 

Ce n’est pas tant une question d’acoustique, mais de ce que le lieu m’inspire. Quand j’ai su que j’allais chanter au Palais Garnier, j’ai ressenti qu’il fallait chanter de l’opéra. Cela fait longtemps que je conçois des programmes autour des femmes, donc j’ai naturellement souhaité y intégrer davantage de compositrices. Enfin, je voulais un programme sans entracte, en 3 parties. Je trouve les programmes en 2 parties un peu surfaits (rires). J’aime bien les choses ternaires.

À ce titre, envisageriez-vous un prochain CD exclusivement dédié à des compositrices ?
Je réfléchis à la pertinence de ce projet. Je n’ai rien contre les quotas, mais j’aime la mixité !

On a le sentiment d’avoir une jeune génération de chanteurs français très talentueuse, avec notamment cette attention à la diction si caractéristique. Sentez-vous ce mouvement ?
Comme pour toute chose, lorsque l’on naît dedans, on ne se rend pas compte. Mais c’est vrai que l’on m’en parle souvent (rires). Et pas seulement les journalistes, mais aussi les metteurs en scène, les chefs d’orchestre, les chanteurs, ce que je trouve formidable. J’ai beaucoup de respect pour mes collègues et j’ai la chance de travailler avec eux, que ce soit pour la Flûte ou le dernier Mitridate que l’on a capté. Et à chaque fois que je les entends en vrai, je me dis : « Ah ouais, c’est vraiment bien  ! » (rires). C’est formidable car cela crée de l’émulation et du respect mutuel. Et puis, il faut dire ce qui est, il y a un très bon état d’esprit général. On ne reste pas dans notre coin, mais on échange sur nos vies. Quand on est maman, on échange des conseils, on parle de nos difficultés. Et si je sors du cadre purement artistique, avec Unisson par exemple, on échange sur d’autres problèmes très concrets comme celui des contrats, et cela rend notre métier beaucoup plus sain.

Les projets de Julie Fuchs :

  • Récital (Palais Garnier) le 30 mars 2021. Informations ici !
  • Les Noces de Figaro (Aix-en-Provence et Madrid), juin et juillet 2021.
  • Roméo et Juliette (Opéra-Comique, Rouen, Toulon), décembre 2021.