Talestri, Reine des Amazones, opéra méconnu de Maria-Antonia Walpurgis – Rencontre avec la metteuse en scène Bérénice Collet

L’ARCAL, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical dirigée par Catherine Kollen, exhume une œuvre oubliée : Talestri, Reine des Amazones, opéra de Maria-Antonia Walpurgis créé en 1760 au Nymphenburger Schloß, près de Munich (et repris à Dresde en 1763.) Elle sera représentée quatre fois : les 28 et 29 septembre prochains au Centre des bords de Marne (au Perreux-sur-Marne ), puis au Théâtre Roger Barat à Herblay les 14 et 15 avril.

Bérénice Collet

Pour nous parler de cette redécouverte, nous avons rencontré la metteuse en scène Bérénice Collet qui, entre les répétitions de cet opéra, un travail en cours sur la Médée de La Péruse (« Un texte fulgurant ! », dixit la metteuse en scène elle-même) et l’écriture de roman, a trouvé un moment pour accorder un entretien à Première Loge…

Comment s’est faite la redécouverte de cette Talestri, Reine des Amazones ?
Catherine Kollen cherchait une compositrice du XVIIIe siècle pour sa nouvelle création, avec comme défi de trouver bien sûr une partition intéressante, mais aussi un livret avec une vraie teneur dramatique et qui ne se soit pas une simple pastorale, comme on en écrivait beaucoup à l’époque. Or le livret de Talestri, écrit par la compositrice elle-même, est vraiment étonnant. Il n’a pas grand-chose à voir avec les livrets très formatés des opere serie traditionnels.

© Dusan Sarac

C’est-à-dire ?
La caractérisation des personnages notamment est très originale, et cette originalité provient sans doute du point de vue féminin de la librettiste : pas de femmes jalouses, pas de tentatrice détournant le noble héros de sa quête, pas d’agonie de la soprano pour clôturer l’œuvre, bref rien de ce qui constitue traditionnellement la base des livrets d’opéras. Ce sont cette fois-ci les femmes qui sont tiraillées entre le bien de leur communauté et leurs aspirations personnelles. Talestri est une reine éclairée : quand l’opéra commence, nous sommes dans un contexte de  guerre avec le peuple voisin (les Scythes). Les Amazones ont vécu une oppression très dure qui les a poussées à devenir ces femmes fortes, résistantes, et des guerrières redoutables. Mais Talestri, en devenant reine, refuse de prêter le serment qu’on attend d’elle, à savoir jurer la destruction systématique de tous les hommes : il se trouve qu’elle est amoureuse d’un jeune homme, Oronte, qu’elle a côtoyé dans son propre camp sans savoir qu’il s’agissait d’un homme (Oronte s’étant travesti en femme pour pouvoir l’approcher)… Finalement, le livret raconte, au-delà d’une opposition très violente entre femmes et hommes, l’histoire d’une réconciliation.
Les personnages masculins, Oronte et Learco, prêts à mourir l’un pour l’autre, sont magnifiques également, et d’une grande originalité

Marie-Antoinette de Bavière, ou Maria-Antonia Walpurgis par Anton Raphael Mengs (1752)

Maria-Antonia Walpurgis, femme du prince-électeur de Saxe de  Frédéric IV,  avait été régente pendant la minorité de son fils : sans doute le livret s’est-il nourri de sa propre expérience et de sa confrontation à un monde essentiellement masculin ?
Cela semble plus que probable ! Maria-Antonia Walpurgis est une femme étonnante : elle a non seulement eu de grandes responsabilités politiques, mais elle était aussi chanteuse (c’est elle qui a créé le rôle de Talestri), claveciniste, elle fut l’élève de Hasse… C’était une femme très cultivée et ayant bénéficié d’une éducation artistique très complète.  

Vase à figures rouges (The Metropolitan Museum of Art )

Musicalement, de quelles autres œuvres pourrait-on rapprocher Talestri ?
C’est un opéra à la fois ancré dans l’esthétique baroque et annonciateur, par certains aspects, du classicisme. Le style musical de Walpurgis préfigure les opéras de jeunesse de Mozart. Nous avons affaire à un opera seria, avec une alternance de récitatifs et d’airs, des arie da capo souvent empreints de virtuosité, mais également chargés d’émotion… Les airs peuvent permettre un focus sur un état d’esprit, certains évoquent un affrontement violent avec un autre personnage, d’autres sont des moments de réflexion philosophique, ou d’introspection… Je pense en particulier à un très bel air qui revient à Talestri : elle pense qu’Oronte est mort et fait une sorte de cauchemar éveillé dans lequel elle le voit réapparaître. C’est un air bouleversant dans la tradition des arie d’ombra, les « airs de fantômes » de l’opéra baroque !  

C’est la première fois je crois que vous vous confrontez au genre de l’opera seria, qui impose un rythme très particulier, avec d’un côté l’action dévolue aux récitatifs, et de l’autre les airs qui sont comme autant de « pauses » qu’il faut parvenir à habiter et faire exister au plan dramatique…
L’esthétique baroque m’a toujours un peu impressionnée, notamment en raison d’airs parfois très longs construits sur seulement deux ou trois phrases et auxquels il faut effectivement parvenir à donner corps. Mais c’est passionnant de relever le défi ! Pour rendre vivantes et touchantes les personnages des Amazones, je me suis efforcée de construire leur univers de façon détaillée. Avec Christophe Ouvrard, qui signe la scénographie, nous avons imaginé leur vie quotidienne, l’agencement de leur camp, en nous rapprochant des femmes qui, aujourd’hui, doivent elles aussi lutter et s’armer pour leur survie et celle de leur famille : les Kurdes, les Yézidies… Il y aura donc une transposition mais qui, dans mon esprit, est née directement de la lecture du livret et des émotions qu’il suscite : je n’apprécie guère les concepts plaqués a priori sur une œuvre, sans qu’on comprenne toujours ce qui les justifie.

Indépendamment du point de vue féminin porté sur les personnages, y a-t-il d’autres aspects du livret qui vous ont séduite ?
Le livret de Maria-Antonia Walpurgis (librement inspiré de Cassandre, un roman de Gautier de Costes de la Calprenède) est empreint d’une forme d’urgence permanente, le contexte guerrier faisant que les personnages sont toujours sur le qui-vive. Il y a aussi chez les Amazones une forte spiritualité qu’incarne notamment le personnage de la prêtresse. L’équivalent de cette spiritualité, dans la mise en scène, sera une forme de chamanisme, que peuvent pratiquer certains peuples dans des régions proches de la Mer Noire. Enfin, ce que j’ai trouvé très agréable, c’est que je n’ai pas eu à me « battre » contre le livret, lequel, contrairement à tant d’autres, ne contient pas de propos qui confortent certains stéréotypes contestables !

Comment se passent les répétitions ?
Très bien ! L’Arcal a notamment dans ses missions celle de donner une visibilité aux jeunes artistes en début de carrière. Nous avons donc une équipe jeune, dynamique, et pleine de qualités : Anara Khassenova, qui a fait partie de l’Académie Jaroussky, chante Talestri ; Anaïs Yvos (qui est passée par l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin) est sa sœur Antiope ; la soprano franco-américaine Emilie Rose Bry incarne la grande prêtresse ; Iannis Gaussin, qui a intégré la classe de Mireille Delunsch au Conservatoire de Lyon, sera Oronte et João Pedro Cabral, qui faisait partie de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, sera Learco. Ils seront dirigés par Franck-Emmanuel Comte, le chef du Concert de l’Hostel Dieu. Toute l’équipe est formidablement impliquée, c’est un plaisir !

Propos recueillis par Stéphane Lelièvre, le 17 septembre 2021.

Anara Khassenova

Iannis Caussin

Franck-Emmanuel Comte – © Jean Combier

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