JORGE LAVELLI (1932-2023)

C’est, avec Jorge Lavelli, un très grand nom de la mise en scène, et plus généralement du théâtre, qui disparaît. Originaire d’Argentine (il naît à Buenos Aires en 1932), Lavelli choisit la France comme pays d’adoption (il sera naturalisé Français en 1977), s’installe à Paris et s’impose rapidement à l’attention du public et de la critique, notamment avec sa mise en scène très remarquée du Mariage de Witold Gombrowicz en 1963. Directeur du Théâtre de la Colline de 1987 à 1996, il accorde une très grande importance aux textes du XXe siècle et à la création. Il consacre également une large part de ses activités à l’opéra, réalisant plusieurs spectacles marquant les esprits et dont certains sont devenus des références : Idomeneo, Le Carnaval de Venise (Aix-en-Provence, 1975), L’Heure espagnole et L’Enfant et les sortilèges (Scala de Milan, 1975), La traviata (Aix-en-Provence, 1976), Pelléas et Mélisande (Opéra de Paris, 1977), Madama Butterfly (Scala de Milan, 1978), Alcina (Aix-en Provence, 1978), Salome (Zurich, 1986), La Flûte enchantée (Aix-en-Provence, une superbe production hélas jamais reprise), La Veuve joyeuse (Opéra de Paris, 1997, une production qui a peiné à trouver son public et que la critique dans son ensemble n’a guère appréciée, mais que nous avions, personnellement, adorée !), Ariodante (Opéra de Paris, 2001), Rienzi (Toulouse, 2012),…

Mais pour le public français, le nom de Jorge Lavelli reste indissociable du Faust de Gounod : en 1975, le public parisien découvrait, médusé, un Faust sans collants, une Marguerite sans tresse blonde, un Méphisto sans pourpoint rouge ni « plume au chapeau ». Les héros de Gounod, Barbier et Carré étaient devenus d’élégants personnages du second empire, évoluant dans un décor élégantissime : la grande roue de la kermesse est restée dans toutes les mémoires, de même que les grands draps blancs qu’étend Marguerite dans l’acte du jardin, ou l’image finale d’une fillette jouant à la marelle (montant « vers le ciel ») lors de l’apothéose finale, avatar moderne de la représentation médiévale des âmes s’échappant du corps des morts…

© Daniel Cande (Opéra de Paris)

Le spectacle regorgeait d’idées alors novatrices mais reprises depuis mille et mille fois par d’autres metteurs en scène, avec souvent bien moins de talent (Méphisto double ou « âme damnée » de Faust ; les soldats nullement triomphants mais brisés par les horreurs de la guerre – un tableau dont semble s’inspirer Kirill Serebrennikov dans son tout récent Lohengrin). On peine à croire qu’une mise en scène aussi élégante et intelligente ait pu en son temps faire scandale… Lorsque l’Opéra de Paris décida de la reprendre en 1992 à l’Opéra Bastille, nous étions sceptiques (le spectacle supporterait-il  sa transplantation du Palais Garnier au nouvel Opéra ? N’avait-il pas pris un « coup de vieux » ?…), avant de constater qu’il n’avait rien perdu de sa modernité ni de sa puissance poétique. Indémodable !

Jorge Lavelli nous a quittés dans la nuit du dimanche 8 au lundi 9 octobre. Il avait 90 ans.