La reine Renata n’est plus…

C’est, avec Renata Scotto (24 février 1934 – 16 août 2023) une grande voix du XXe siècle ainsi qu’une authentique tragédienne lyrique qui disparaissent.

Rien, pourtant, ne prédisposait Scotto à devenir une des Tosca, Norma ou Butterfly les plus appréciées de son temps. Son timbre quelque peu pointu et un rien métallique semblait a priori la destiner à des emplois de soprano leggero, éventuellement de lirico-leggero, et la chanteuse aurait pu faire carrière sans sortir d’une zone de confort dont les limites auraient été marquées par les rôles de Giulietta de Bellini, Adina de Donizetti ou Gilda de Verdi. Mais c’était sans compter sans la pugnacité de la chanteuse qui, grâce à un travail soutenu et des efforts acharnés, parvint à donner une épaisseur certaine à son timbre et une projection très appréciable à son chant, même si le prix à payer fut, en contrepartie, l’apparition de certaines stridences et d’un vibrato – qui ne firent que s’accentuer avec les années – ainsi qu’une perte de précision dans la justesse vocale : de fait, il n’est guère difficile, en surfant sur le net, de trouver des exemples où la diva est en difficulté devant des aigus qui ne se délivrent qu’au prix d’efforts trop ostensiblement audibles, voire qui sonnent carrément faux.

D’où vient, alors, que Scotto acquit le statut de diva et mit très rapidement les principales salles lyriques du monde à ses pieds ? C’est qu’une certaine Maria, alors que Renata faisait son entrée dans le monde de l’opéra, venait tout juste de délivrer une stupéfiante leçon de chant et de théâtre, une leçon que la jeune Scotto (qui au demeurant chanta Glauce dans Médée aux côtés de la Divine et la remplaça à  Édimbourg pour une représentation de La Sonnambula) s’empressa de faire sienne…

Avec Callas à Milan en 1971

La Sonnambula avec Alfredo Kraus à Venise en 1961

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La scène finale de La Sonnambula à Venise en 1961

Comme Callas en effet, Scotto fait passer la beauté du chant avant celle de la voix.
Comme Callas, sa technique belcantiste trouve des ramifications dans tous les répertoires qu’elle aborde, au point de conférer aux esthétiques traditionnellement considérées comme plus ou moins vulgaires (celle de la fin du XIXe siècle italien notamment) des raffinements inattendus qui les transcendent : ainsi le chant d’Adrienne Lecouvreur, Tosca, Butterfly, Francesca da Rimini ou Madeleine de Coigny sont-ils portés par un legato souverain, colorés par un subtil clair-obscur, parés de piani ou de diminuendi qui leur redonnent toute la musicalité et toute la noblesse que d’aucuns leur refusent.
Comme Callas enfin, Scotto refuse de dissocier musique et théâtre. Ou plutôt elle considère que c’est dans la musique et le chant mêmes que réside l’essence du théâtre, tout en mettant un point d’honneur à donner aux mots leur juste poids dramatique, sublimé par la musique qui les porte.

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La scène de somnambulisme de Lady Macbeth à New York en 1984

Cette exigence artistique fait que Scotto sera l’une des très rares à pouvoir, avec Callas – envers qui elle eut pourtant parfois des mots assez durs -, être qualifiée de diva assoluta, capable de s’illustrer avec bonheur dans les répertoires les plus divers : le bel canto, le grand répertoire verdien, le vérisme, le répertoire français.

Difficile d’opérer une sélection dans la très abondante discographie de Renata Scotto, surtout si l’on prend en compte les nombreux enregistrements live, qui comportent de belles raretés, tels un Robert le diable en italien capté à Florence ave Boris Christoff en 1968, ou encore deux rares Bellini : La Straniera (Palerme, 1968) et Zaira (Catane, 1976. Ces trois enregistrements sont disponibles chez Myto). Pour ses Lombardi de 1969 (Rome), Scotto bénéficie d’un entourage prestigieux : Luciano Pavarotti, Ruggero Raimondi, et, à la baguette, Gianandrea Gavazzeni (Opera d’Oro).



Au studio, on retiendra, de ses incursions en terres pucciniennes, une Butterfly qui fit sensation à sa parution (Warner Classics, Barbirolli – Bergonzi – 1967) – avant qu’elle ne grave de nouveau cette œuvre avec Maazel et Domingo chez CBS en 1978, de même que de beaux Villi (Sony, Maazel – Domingo, Nucci – 1979) et Suor Angelica (Il Trittico, CBS, Maazel – Horne, 1976).

De Verdi, elle grava une intégrale de Rigoletto considérée comme l’un des meilleurs enregistrements verdiens jamais réalisés (DG, Kubelik – Fischer-Diskau, Bergonzi – 1964 ; mais la version Gavazzeni – Bastianini, Kraus – Ricordi, 1960 – n’est pas mal non plus !) En 1978, sous la direction de Muti, elle affronte la tessiture meurtrière entre toutes d’Abigaïlle. En ces années 80, le timbre s’est durci, le vibrato s’est élargi, certaines stridences gâtent la ligne de chant. L’incarnation, pourtant, est stupéfiante d’intelligence (EMI, réédition Warner Classics).

Signalons également, dans le répertoire français, une courageuse intégrale de studio du Prophète réalisée en 1976 sous la direction de Henry Lewis aux côtés de Marilyn Horne (CBS, réédité chez Sony).






Côté récitals :

  • Quelques curiosités :- Les deux French albums, où Scotto affronte des pages très rares, telles les versions françaises des airs d’Elisabeth dans Tannhäuser, ou de La Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski,… (Hungaroton, 1988-1989)

    – Un récital d’airs véristes (Il Verismo, airs de Puccini, Mascagni, Cilea et Catalani) gravé en 1975 sous la direction experte de Gianandrea Gavazzeni (CBS, 1975 – réédité chez Sony sous le titre Italian Opera Arias).



  • Et deux bijoux absolus :- Un récital de duos avec Mirella Freni (Decca, 1978)
    – Un récital Verdi absolument exceptionnel (Columbia, 1975, réédité chez Sony)

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Norma, avec l’Adalgise soprano de Mirella Freni

Enfin, gardons pour la fin deux intégrales absolument majeures :

  • Sa Norma de 1979, l’une des très rares à supporter la comparaison avec les versions Callas (Levine – Troyanos, CBS, 1979, réédité chez Sony)
  • Sa seconde Traviata, gravée en 1982 pour EMI sous la direction de Riccardo Muti : alors qu’en ces années 80 la voix de Scotto accuse d’évidents signes de fatigue, la chanteuse, pour cet enregistrement, retrouve stabilité dans l’émission et pureté du timbre, et délivre, aux côtés d’un Alfredo Kraus d’une surprenante juvénilité, une interprétation de Violetta d’une puissance dramatique exceptionnelle…



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« Addio, del passato » dans la version Muti (1982)

Pour voir Renata Scotto, signalons enfin les DVD de Luisa Miller, Francesca da Rimini et Manon Lescaut, tous parus chez DG.




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Manon Lescaut, « Sola, perduta, abbandonata » au Metropolitan Opera de New York en 1980