TERESA BERGANZA (1933-2022) : « Ah, Carmen, ma Carmen adorée… »

Teresa BERGANZA (1933-2022)

Un timbre doux et soyeux auquel certaines raucités, dans le grave notamment, viennent apporter une touche de gravité, voire d’âpreté ou de rudesse ; un respect absolu du style ; une sobriété interprétative extrême : telles sont les caractéristiques de l’art de Teresa Berganza, l’un des plus célèbres mezzo-sopranos de la seconde moitié du XXe siècle, et l’une des principales artisanes de la Rossini Renaissance, inaugurée par Maria Callas à la fin des années 50. Elle vient de nous quitter à l’âge de 89 ans.

Ces caractéristiques, liées à une technique accomplie acquise notamment auprès de sa professeure la soprano Lola Rodríguez Aragón, en firent une mozartienne et une rossinienne aujourd’hui encore inégalées. Rares sont les « Voi che sapete » faisant à ce point fusionner pureté instrumentale du timbre et discret frémissement de la ligne de chant, traduisant à merveille les premiers émois amoureux du jeune Chérubin. Et qui mieux que Berganza a jamais su traduire à la fois la candeur naïve de l’Angelina rossinienne, son inaltérable  bonté (merveilleux « Ah, signor, s’è ver che in petto » à l’acte II de Cenerentola) et la jubilation qui gagne le personnage au dénouement de l’ouvrage ? Certaines interprètes iront bien plus loin dans la pyrotechnie vocale : Berganza et Abbado, échaudés par des décennies d’interprétations parfaitement hors propos stylistiquement et dénaturant profondément l’esthétique rossinienne, refusèrent, au début des années 70, la moindre variation, le moindre aigu extrapolé avec une rigueur qui nous parait aujourd’hui peut-être excessive. Il n’empêche : la virtuosité à la fois tranquille, élégante et expressive de Berganza nous séduit infiniment plus que les actuelles rafales de vocalises de Mmes X ou Y, qui certes impressionnent dans un premier temps, avant de lasser par leur côté mécanique, répétitif et « tape-à-l’oreille » – ce à quoi le chant de Berganza a toujours échappé.

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Les Noces de Figaro, « Voi che sapete » (1977)

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Le Barbier de Séville, « Una voce poco fa » (1972)

Et puis vint Carmen, abordée pour la première fois à Édimbourg en 1977 avec Domingo en José et sous la direction d’Abbado… Un personnage que Berganza sembla réinventer, là encore en le dépouillant de certains effets faciles et vulgaires, et en choisissant de faire avant tout confiance à la musique. Le triomphe fut absolu, se renouvela dans tous les théâtres du monde (y compris à Paris, pour de légendaires représentations données à l’Opéra-Comique en 1980 – mise en scène de Piero Faggioni, direction Pierre Dervaux – avec une distribution incroyable : Domingo, Ricciarelli, Raimondi,…).

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Cette incarnation marquante entre toutes fit l’objet d’une très célèbre intégrale discographique gravée par Claudio Abbado pour Deutsche Grammophon.

Mais Berganza, ce furent aussi de mémorables interprétations de Händel (splendide Ruggiero aux côtés de l’Alcina de Sutherland, Decca/Bonynge, 1962), Scarlatti, Vivaldi ; d’autres incursions passionnantes dans le répertoire français (Charlotte, ou Dulcinée, dont il reste un témoignage live éblouissant datant de 1957, l’œuvre étant chantée en italien à la Scala avec Boris Christoff en Don Quichotte avant l’intégrale de studio gravée par Plasson pour EMI en 1992, hélas un peu tardivement…) ; une interprète exceptionnelle de Manuel de Falla ; une inattendue mais poignante Suzuki pour la seconde Madame Butterfly de Freni (DG/Sinopoli, 1988),…

Ce sont aussi quelques regrets : à l’instar d’une Mirella Freni, Berganza fut très prudente dans ses choix et n’aborda pas certains rôles où elle aurait excellé… Sans doute aurait-elle pu proposer une Dalila à la fois sobre et envoûtante ; un Nicklausse touchant ; à coup sûr, elle aurait bouleversé en Tancredi ou en Mignon  (les « Tanti palpiti », si souvent chantés en récital, étaient impeccables de tenue et de style ; le « Pays où fleurit l’oranger », lui aussi régulièrement offert en récital, irrésistible)… Qu’importe : la carrière de Berganza fut  exemplaire, et la chanteuse restera sans aucun doute comme l’une des interprètes majeures, et les plus stylistiquement irréprochables de la seconde moitié du siècle dernier.

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Rossini, Tancredi, 1990

document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});

Thomas, Mignon, 1986

Pour retrouver Teresa Berganza au disque :