Hommage à Camille Saint-Saëns (3/3) : SAINT-SAËNS ET L’OPÉRA (fin)

Saint-Saëns compositeur lyrique devient fort courtisé à la Belle époque. Devenu compositeur officiel de la IIIe République, et par ailleurs curieux de toute découverte scientifique, il reçoit la commande de la cantate Le Feu céleste (avec soprano soliste) en vue de l’ouverture de l’Exposition universelle de Paris en mai 1900, dont la thématique est le triomphe de la science. La fée électricité en est effectivement l’attraction majeure, dans le fastueux Palais de l’électricité situé à l’extrémité du Champ de Mars.

Le Palais électricité de l’Exposition universelle de Paris en 1900 (carte postale)

L’Opéra de Paris reprend ses œuvres antérieures tout en assurant la création des Barbares (1901), dont le livret de V. Sardou et P.-B. Gheusi est imprégné d’un nationalisme ouvertement germanophobe.

Décor des Barbares à l’Opéra de Paris (Le Théâtre, 1901)

Prévu pour les représentions au Théâtre antique d’Orange, artisan d’une latinité militante lors de ses Chorégies, l’opéra en 3 actes et un prologue (avec récitant) narre l’affrontement entre barbares teutons et gallo-romains à Orange. Figure de l’interculturalité avant la guerre de 1870, le compositeur devenu patriote (voir la devise Ars gallica de la Société nationale de musique) accuse son militantisme anti-allemand dans les tribunes de L’Écho de Paris, de 1914 à 1915.

Écoutons un fragment des Barbares, avec Catherine Hunold soprano, Orchestre de Saint-Etienne (2014) :

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La passion de Saint-Saëns pour l’antiquité gréco-romaine correspond certes à son esthétique classique et au nationalisme gallican, lui qui dirige l’édition monumentale de l’œuvre de J.-P. Rameau. Mais elle entre en convergence avec l’engouement pour les civilisations anciennes autour de la Méditerranée, centre névralgique de la géopolitique (et des fouilles archéologiques) à l’heure des colonisations.

Hélène, affiche de Rochegrosse

Sous la direction musicale de Raoul Gunsbourg, l’Opéra de Monte Carlo lui commande Hélène en 1904 (un acte découpé en 7 scènes), où  s’exhale la sensualité de la reine de Sparte, dans les pas de la Didon des Troyens. Deux ans plus tard, sur la même scène monégasque, Felia Litvinne crée L’Ancêtre (1906), drame lyrique de la vengeance corse.

Saint-Saëns au pupitre de chef dans les Arènes de Béziers, photo ca 1900 (Archives de Béziers)

Entre temps, Saint-Saëns collabore à la fondation du Théâtre des arènes de Béziers en restaurant la tragédie à l’antique, tant par les sujets choisis avec ses librettistes que par l’alliance rénové du parlé / chanté / dansé sur une scène de plein air. L’engagement républicain du compositeur et du mécène biterrois, Castelbon de Beauxhostes, se traduit par la mutualisation d’interprètes amateurs et professionnels. Déjanire en 1898, Parysatis en 1902 associent en effet les orphéons locaux (chorales masculines constituées d’ouvriers), les harmonies régionales aux tragédiens et chanteurs des théâtres subventionnés de la capitale.

Déjanire, 2e acte au Théâtre des arènes de Béziers (carte postale, fonds des Musées de Béziers)

Parysatis au Théâtre des arènes de Béziers (carte postale, fonds des Musées de Béziers)

La scénographie imposante des réalisations biterroises – décors peints de 3.000 m2, 450 instrumentistes et 250 choristes occupant divers plateaux pour évoquer la Perse de Parysatis – innove en préfigurant les futurs péplums cinématographiques. La grandiloquence de cette antiquité « kitsch » touche un large auditoire socialement mixte puisque la jauge des arènes est d’environ 12.000 spectateurs ! Une décennie plus tard, Saint-Saëns signe l’une des premières musiques de film avec un sujet également historique, L’assassinat du duc de Guise, film muet d’A. Calmettes et C. Le Bargy (1908).

En 2021, Samson et Dalila n’est plus l’arbre qui cache la forêt ! Grâce aux maisons d’Opéras et à l’activité de la Fondation Bru Zane (sélection discographique ci-dessous), spectateurs ou auditeurs redécouvrent Les Barbares, Le Timbre d’argent, La Princesse jaune, Proserpine, en sus de l’enregistrement d’Hélène. Prochainement, les productions et enregistrements de Phryné, puis de Déjanire complèteront la connaissance de ce pan de l’œuvre de Saint-Saëns. Curieux et rempli d’acuité, il prévoyait les configurations des salles des XXe et XXIe siècles où nous pourrons écouter/voir ces opéras : « Pour avoir un théâtre rationnel, adapté à nos représentations modernes, où tout le monde pût voir et entendre commodément, il faudrait renoncer au plan « fer à cheval » et revenir au demi-circulaire ; réserver l’orchestre aux musiciens (…) pour étager les spectateurs sur les gradins montant. » (Préface », Annales du théâtre et de la musique, 1905).

Sélection discographique

  • Les Barbares, livre-CD de la collection « Opéra français » Bru Zane label, Orchestre symphonique de Saint-Etienne-Loire, avec Catherine Hunold, Julia Gertseva, Edgaras Montvidas, Jean Teitgen.
  • Hélène – Les Nuits persanes, CD label Melba recording (2008), Orchestra Victoria, dir. Guillaume Tourniaire, avec Rosamund Illing, Steve Davislim.
  • La Princesse jaune, livre-CD de la collection « Opéra français » Bru Zane label, Orchestre national du Capitole de Toulouse, dir. Leo Hussain, avec Mathias Vidal, Judith van Wanroij.
  • Proserpine, livre-CD de la collection « Opéra français » Bru Zane label, Münchener Orchester, dir. Ulf Schirmer, avec Véronique Gens, Frédéric Antoun, Marie-Adeline Henry, Jean Teitgen, Mathias Vidal.
  • Le Timbre d’argent, livre-CD de la collection « Opéra français » Bru Zane label, 2020, Orchestre les Siècles, dir. F.-X. Roth, avec Hélène Guilmette, Jodie Devos, Edgaras Montvidas, Yu Shao, Tassis Christoyannis, Jean-Yves Ravoux, Matthieu Chapuis.

Pour aller plus loin

  • « Saint-Saëns l’insaisissable », documentaire réalisé par David Unger, diffusé sur ARTE le 12 décembre à 23h50, disponible en replay sur arte.tv à partir du 05/12/2021 et jusqu’au 09/02/2022    
  • Stéphane Lelièvre, «  Palimpsestes littéraires et musicaux du Timbre d’argent », colloque Saint-Saëns de l’Opéra-Comique : disponible en ligne sur le site du Palazzetto Bru Zane.  
  • Stéphane Leteuré, Camille Saint-Saëns, le compositeur globe-trotter (1857-1921), Actes Sud-Palazzetto, 2017.
  • Saint-Saëns, Écrits sur la musique et les musiciens, 1870-1921, Marie-Gabrielle Soret (édit.), Paris, Vrin, 2012.
  • Sabine Teulon Lardic, « à pleine voix et en plein air : créations et reprises de Saint-Saëns (1894-1921)», colloque Saint-Saëns de l’Opéra-Comique : disponible en ligne sur le site du Palazzetto Bu Zane