Hommage à Camille Saint-Saëns (2/3) : SAINT-SAËNS ET L’OPÉRA

Pianiste et organiste de renommée internationale (voir notre précédent feuilleton), symphoniste diffusé par toutes les Sociétés de concert, co-créateur de la Société nationale de musique en 1871, Saint-Saëns a subi des entraves pour conquérir une place sur les scènes lyriques de la capitale. Bien qu’élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1881, la concurrence demeure rude à l’Opéra et à l’Opéra-Comique … Durant sa période de production d’opéra (1864 à 1910), la diffusion européenne des œuvres italiennes et allemandes est une réalité portée par tout Théâtre dans l’espace national. En outre, ses contemporains – Gounod, Delibes, Massenet (son rival) – sont de féconds auteurs dont la visibilité de « compositeur lyrique » s’affirme clairement dans la presse et auprès des publics.  Cependant, ni ses « parrains »  – Berlioz avant sa disparition, Bizet son frère d’armes, Barbier et Carré, librettistes du Timbre d’argent (1877), puis Louis Gallet, son collaborateur privilégié[1] à compter de La Princesse jaune – ne lui ont fait défaut. Ni même son amie protectrice, la cantatrice Pauline Viardot, interprète du rôle de Dalila en privé, lorsqu’elle a cessé sa carrière scénique.

Comment trouve-t-il le temps de composer 12 opéras en sus de symphonies, poèmes symphoniques, oratorio et pièces instrumentales ? Saint-Saëns est un insatiable compositeur protéiforme, radicalement novateur au moins jusqu’en 1900, plus académique ensuite lorsqu’il son œuvre côtoie celle de Debussy ou Stravinsky sur les scènes internationales.

Ces deux premiers opéras, oscillant entre réalité et onirisme, marquent une avancée dans l’histoire culturelle. Le fantastique hoffmannien opère une percée sur la scène lyrique française avec Le Timbre d’argent, opéra-comique de 1864 (créé en 1877). Sa récente production salle Favart (2017) valorise le talent d’orchestrateur du jeune compositeur, apte à imaginer des combinaisons instrumentales inédites pour coller à l’intrigue, celle des mésaventures du peintre Conrad, entre cauchemar et emprise du diable. Quant à l’orientalisme de La Princesse jaune, mettant en miroir l’atelier hollandais et la princesse japonaise fantasmée, il est à relever car c’est la première création artistique évoquant le Japon en France, et la France au Japon.

Voyez nos comptes rendus du récent CD de La Princesse Jaune, ainsi que de la production scénique proposée par l’Opéra de Tours.

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[1] Gallet signe cinq livrets d’opéras : La Princesse jaune, Étienne Marcel, Ascanio, Proserpine, Déjanire, en sus de l’oratorio Le Déluge.



Charles Léandre, aquarelle La Princesse jaune, 1872 (Musée Carnavalet)

A. Marie, lithographie du final de Samson et Dalila (fonds de l’éditeur Leduc).

Si les directeurs des scènes parisiennes ne soutiennent guère Saint-Saëns durant les décennies 1860-1890, c’est l’appui de Franz Liszt (que Saint-Saëns a soutenu) qui permet la programmation de Samson et Dalila à l’Opéra de Weimar (1877). Son succès déclenche un retournement progressif de situation. Lorsque la première française tarde à venir (Théâtres des arts de Rouen, 1890), la diffusion internationale de l’opéra à teneure biblique assure de belles carrières aux ténors et contralto vedettes de tout continent.  Écoutons l’air de la meule de Samson avec Roberto Alagna et le Vienna Orchestra, dir. Marco Armiliato (2018) :

https://www.youtube.com/watch?v=IjG6keInZLc

C’est à l’Opéra de Lyon qu’Etienne Marcel passe la rampe (1879). Enfin, à l’Opéra de Paris, Henry VIII est créé (1883) après son élection à l’Institut, suivi d’Ascanio (1890), puis de Frédégonde (1895). Non seulement le genre du Grand opéra est abordé avec maestria dans Henry VIII, mais l’idéologie républicaine sous-tend l’intrigue historique. La scission entre la royauté anglaise et la papauté  (livret de L. Détroyat et A. Silvestre) est le prétexte pour promouvoir l’entreprise anticléricale du gouvernement de Jules Ferry.

Le baryton basse Jean Lasalle dans le rôle-titre d’Henry VIII (Musica, 1903)

Affiche Phryné. Meyriane Héglon dans le rôle de Dalila (Musica, 1913)

Entretemps, pour composer Proserpine (Opéra-Comique, 1887), figure de la courtisane sous la Renaissance, il a séjourné à Florence. Les plus grands interprètes s’intéressent à son œuvre : la sculpturale Sibyl Sanderson crée le rôle-titre de Phryné (1893), avant d’incarner Thaïs de Massenet ; Meyriane Héglon endosse celui de la capiteuse Dalila après 1900.

Fidèle en amitié, Saint-Saëns compose la Messe de Requiem (1878) à la mémoire de son ami Albert Libon, dont le legs important décida de son affranchissement économique, et donc, de son émancipation artistique. Le final du Requiem sera repris lors des funérailles nationales du président Sadi Carnot (assassiné) à Notre-Dame de Paris, Saint-Saëns tenant les orgues (1er juillet 1894). Ce mois de décembre 2021, le concert du Centenaire Saint-Saëns par l’Orchestre national de France et le Chœur de Radio-France, dirigés par Cristian Mācelaru, lui permet de sortir d’un injuste oubli : visionnez ce concert sur les sites d’Arte/France Musique.

Fidèle également à ses confrères, Saint-Saëns achève l’orchestration de l’opéra Brunehilda d’Ernest Guiraud (décédé) durant son séjour à Saïgon (1895). Plus tard, il recommande son disciple Gabriel Fauré au mécène du Théâtre des arènes de Béziers, ce qui lui vaudra la commande-création de Prométhée (1900).

À suivre…